Thursday, November 30, 2017

Citation du 1er décembre 2017

De tous les animaux qui s'élèvent dans l'air, / / Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer, De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome, / Le plus sot animal, à mon avis, c'est l'homme.
Boileau – Satire
- La sottise dénote, traduit une absence d'intelligence, de jugement, de bon sens.
CNTRL
On reconnaît dans ce jugement de Boileau l’esprit de la satire qui attaque son objet (ici : l’homme) par le point le plus sensible, c’est à dire par l’intelligence dont nous nous faisons orgueil.
Oui, mesdames et messieurs, arrêtez de vous croire très intelligents, du moins plus que votre chien-chien ou que le bœuf dont vous avez dévoré la côte à midi. Ne vous croyez pas très malin simplement parce que vous possédez le pouvoir de contraindre ces pauvres bêtes à ployer sous votre joug. Etes-vous le plus fort simplement parce que, d’un claquement de doigt le cochon de votre étable va passer de vie à trépas ? Mais alors que dire du virus qui sans crier « Gare ! » vous met sur le flanc – quand ce n’est pas une mise à mort en règle ? D’ailleurs si vous parvenez à vous débarrassez des microbes, ce n’est pas à votre intelligence que vous le devez mais à la Nature qui a donné à certains champignons un pouvoir antibiotique.
Non ces pouvoirs ne sont pas suffisants pour attribuer à l’espèce humaine la supériorité sur les autres espèces ; c’est ce que les débats anti-spécistes actuels rappellent fortement.
o-o-o
Mais alors : qu’est-ce qui caractérise l’homme, si ce n’est pas l’intelligence ?
Lisons Kant : « Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur terre. Par-là, il est une personne ; et grâce à l’unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c’est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise » (Anthropologie du point de vue pragmatique. – Lire ici)
Loin de la toute-puissance, loin de toute filiation divine, l’homme s’intériorise et se caractérise par la conscience de soi. Et tant pis si certains scientifiques nous font part d’expériences où l’on voit des singes se reconnaitre dans un miroir, car le philosophe voudra qu’on lui prouve que c’est d’abord dans la pensée que cette représentation s’élabore. Et là, il est très malin, le Philosophe : car il sait bien que personne ne pourra prouver à quiconque qu’il possède bien une conscience et donc qu’il n’est pas un robot.
D’ailleurs chacun ici est familier de ces tests (imaginés par Turing) qui sont susceptibles de prouver que vous n’êtes pas un robot :



Voilà donc à quoi on arrive : nos rivales ce ne sont pas les bêtes ; ce sont les machines.

Wednesday, November 29, 2017

Citation du 30 novembre 2017

Ecrire, c'est tenter de savoir ce qu'on écrirait si on écrivait - on le sait qu'après - avant, c'est la question la plus dangereuse que l'on puisse se poser. Mais c'est la plus courante aussi. L'écrit ça arrive comme le vent, c'est nu, c'est de l'encre, c'est l'écrit et ça passe comme rien d'autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie.
Marguerite Duras
Il arrive qu’on aime un livre, un texte parce qu’il dit quelque chose qu’on pense, quelque chose né dans une sphère très intime de notre âme, et qui est resté là, bien au chaud, comme ignorant la réalité et le monde extérieur. Et voilà que, tout à coup, il nous saute à la figure comme ça, sans crier « Gare ! », et alors on aime ce livre pardessus tout – ou bien on le jette avec dépit et on crie « Au voleur ! » comme si on nous avait dépossédé de quelque chose de précieux. 

Je disais récemment à une amie : « Je n’écris pas pour être lu (encore que ce soit un vrai plaisir) ; j’écris pour savoir ce que j’ai à dire ».
Alors, je n’aime pas me répéter, parce que justement je sais déjà ce que je vais dire, mais quand même repasser de l’encre fraiche sur de l’encre sèche, c’est une façon de la renforcer.
Ce que Marguerite Duras évoque très fortement, c’est l’imprévu de la création. Le fait est que ces mots, ces phrases arrivent comme ça, venus sans qu’on sache d’où – oui, mais ces mots-là c’est comme la encontre de l’amour : on ne les connaît pas encore, mais on sait tout de suite que ce sont ceux-là qu’on attendait. On se doute alors que créer c’est se mettre en situation, ouvert à l’inflexion de ces pensées qui s’invitent sans qu’on les ait appelées.

Là où je me sépare de la pensée de Marguerite Duras, c’est lorsqu’elle dit que l’écrit, ça passe, sans doute bousculé par d’autres écrits. Chez moi, l’écrit ne passe pas : il s’incruste et devient un objet de recherche et de réflexion qui va appeler de nouvelles pensées, à moins que ça reste comme ça, simple objet sur le quel travailler, refaire et parfois détruire.
Ecoutez Boileau – il disait bien :
Avant donc que d’écrire apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
L’art poétique – Chant I
Mais il ajoutait :
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
L’art poétique – Chant I

(Lire ici le poème de Boileau)

Tuesday, November 28, 2017

Citation du 29 novembre 2017

Le chèque sans provision est une opération bancaire prévue au Code d'Instruction Criminelle, et c'est justice qu'il soit sévèrement puni. Je serais volontiers partisan d'une identique sévérité à l'égard des provisions sans chèques. L'homme qui thésaurise brise la cadence de la vie en interrompant la circulation monétaire. Il n'en a pas le droit.
Sacha Guitry - Mémoires d'un tricheur (Voir Citation du 9 avril 2006)

Consommation III
Si Guitry avait raison, les prisons déborderaient de thésauriseurs ! Car la période trouble dont nous sortons (si Dieu le veut !) nous a conduit à faire de l’épargne de précaution et donc à retenir le flot de liquidités qui arrivait dans nos mains d’honnête travailleurs.
Mais voilà : les travailleurs honnêtes doivent contribuer à la circulation des biens sans le quel l’économie se grippe. Et, tout comme eux, les retraités doivent dépenser leur pension pour en faire profiter les artisans qui gravitent autour des vieux : remplaceurs d’ampoules grillées, déboucheurs de lavabos, torcheurs d’incontinents.

Oui, Sacha Guitry qui faisait dans ses pièces l’éloge des flambeurs souligne ici quelque chose dont on n’est pas forcément conscient, mais qui anime les périodes de liesse consumériste : pour le bien de tous, il faut accélérer la circulation monétaire, faire sortir des banques l’argent, et casser les tirelires lorsque l’occasion s’en présente.

Oh-Éh, messieurs, vous « les porcs du hachetag » ! Montrez-vous impitoyable avec votre porcelet de faïence ! Cassez vos tirelires, n’hésitez pas, même si vous devez pour cela sacrifier ce porcelet – qui n’est peut-être qu’un petit neveu ?



Et si ça ne suffit pas, faites flamber votre CB


Monday, November 27, 2017

Citation du 28 novembre 2017

Il [Socrate] disait que (…) plus réduits étaient ses besoins, plus il était proche des dieux.
Diogène Laërce – Vies et doctrines des philosophes illustres (Livre II, § 27)

Consommation II
Qu’est-ce que vivre ? Je veux dire : qu’est-ce que c’est que cette existence dont on attend qu’elle soit plus qu’une série de phénomènes biologiques ? Qu’elle soit plus « bios » que seulement « zoé » ? (1)
Cette question n’est en général pas posée, parce qu’autrefois, notre société, notre civilisation même la résolvait pour nous. Faire une carrière admirée de tous, fonder une famille harmonieuse et féconde, jouir d’un prestige quelconque : voilà ce qui donne à la vie son prix.
Dans le même temps étaient dépréciés les soucis liés à la sphère des besoins vitaux, ceux du corps qui exigent d’être satisfaits chaque jour de la même façon, sorte d’absurde roue sans fin.
On aura reconnu l’origine de la caractéristique du sage : être capable de vivre de si peu que la recherche des moyens de satisfaire les besoins vitaux se trouve réduite au maximum, laissant à l’étude et aux exercices spirituels le meilleur du temps.
Seulement voilà : nous sommes à l’opposé de ce genre d’attitude. Nous sommes prisonniers de la sphère de bios, à satisfaire nos besoins corporels qui n’apportent de véritable satisfaction qu’au ventre – voire même au bas ventre.
Comment pouvons-nous supporter pareille chose ? Espérer toute la journée de nous retrouver ainsi à l’heure du repas :



Mais ce n’est pas tout à fait vrai : en allant au-delà des besoins vitaux, nous n’écoutons que leur variante qui fait du besoin un désir, du plaisir de leur satisfaction une jouissance : fini le gavage des porcs : place aux banquets des Dieux ! Raffinons nos repas, faisons assaut de science dans la gastronomie !
Socrate n’imaginait sans doute pas qu’on puisse mettre du raffinement dans son assiette. Il n’était qu'un rustre qui ne savait que se nourrir et rien d’autre. Mais, même à son époque on connaissait déjà tous ces raffinements et les Dieux de l’Olympe banquetaient joyeusement, ils se gavaient d’ambroisie et s’enivraient de d’hydromel…
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(1) Les Grecs n’avaient pas un terme unique pour exprimer ce que nous entendons par le mot vie. Ils utilisaient deux termes sémantiquement et morphologiquement distincts :
            - Zoé ou zoï (ζωή), qui exprimait le simple fait de vivre commun à tous les êtres animés (animaux, hommes ou dieux).
            - Bios (βίος) signifiait la forme ou la manière de vivre propre d’un être singulier ou d’un groupe (vivant, mais indifféremment animé ou non). (Art. Wki)
Pour un développement voir ceci.

Sunday, November 26, 2017

Citation du 27 novembre 2017

Le journaliste est un interprète de la curiosité publique.
Bernard Pivot / Le Métier de lire
En pays démocratique les journalistes sont protégés par la loi et leur emprisonnement est toujours l’indice d’un virage autoritaire du pouvoir.
Mais on pourrait demander pourquoi cette protection des journalistes est-elle si essentielle ? Que perdait la démocratie en perdant la libre information, liée au libre exercice de la profession de journaliste ?
La réponse est simple : les journalistes sont protégés parce qu’ils doivent satisfaire à un besoin fondamental des citoyens : celui d’être informés.
Quel est donc ce besoin ? En quoi est-il fondamental ? Faut-il voir en lui une expression des droits de l’homme et du citoyen ? Certes, pour agir politiquement, le citoyen a besoin d’être informé et on doit le mettre en mesure de comprendre l’information. Le journal est donc de ce point de vue aussi essentiel que l’Ecole qui apprend à lire et à analyser l’information.

Mais est-ce bien cela que le peuple réclame ?
Et déjà : qu’est-ce que l’information ? Sans entrer dans des détails qui n’auraient pas lieu ici, on peut rappeler la définition de Shannon : l’information est proportionnelle à son improbabilité ; à la limite, une « nouvelle » n’est une information que lorsqu’on en prend connaissance la première fois. Les chaines d’info en boucle sont de ce point de vue tout à fait inutiles pour qui les regarderait plus de 5 minutes.
Maintenant Bernard Pivot nous invite à considérer ce besoin de nouveauté comme étant l’effet d’une curiosité.
Maurice Barrès fait l’éloge de la curiosité « La curiosité! C'est la source du monde, elle le crée continuellement; par elle naissent la science et l'amour... J'ai vu avec chagrin un petit livre pour les enfants où la curiosité était blâmée... ».
En lisant cela on songe à l’éloge de l’étonnement qui, selon Descartes, pousse à la recherche insatiable de la vérité. Sans curiosité, ce n’est pas seulement la vie politique qui viendrait à s’éteindre, mais aussi la science...  et l’amour ( ?)
Le CNTRL signale en 1268 une première occurrence du terme curiosité comme étant : « désir d'apprendre des choses obscures sans nécessité ».
Au fond, la curiosité est source de plaisir, mais il lui arrive d’être peu exigeante vis-à-vis de ce qui va lui apporter cette satisfaction.

Entre le Débat et Gala, choisi ton camp, camarade !