[...] pour ce qui est des sorcières, je ne pense pas que leur sorcellerie soit un pouvoir véritable ; mais je pense qu'elles sont châtiées justement, à cause de cette croyance fausse qu'elles ont d'être capables d'accomplir de tels méfaits, croyance jointe au dessein de les accomplir si elles le peuvent ; car leur profession se rapproche davantage d'une nouvelle religion que d'une technique artificieuse ou d'une science.
Hobbes – Léviathan / 1651
Aujourd’hui, c’est halloween, date funeste où plein de petites sorcières et de micro sorciers vont venir déglinguer votre sonnette en vous réclamant je-ne-sais-quoi sur un ton menaçant. Il est regrettable qu’il ne soit plus permis de les mettre au bûcher, d’autant qu’ils risquent bien de se radicaliser un jour…
Mais au fait : Faut-il brûler les sorcières ? C’est à cette grave question que Hobbes a répondu on ne peut plus sérieusement : oui, il faut les brûler, non pas parce qu’elles sont réellement sorcières mais parce qu’elles affirment l’être. Et d’ajouter : « leur profession (de foi) se rapproche davantage d'une nouvelle religion que d'une technique artificieuse ou d'une science » ; bref une sorcière est une hérétique et elle peut être brûlée vive pour cela. Inutile de demander alors s’il est juste de brûler les hérétiques, puisque la religion étant un des piliers du pouvoir politique, il est indispensable de la protéger de tout ce qui pourrait l’affaiblir.
On comprend alors que la sorcellerie est vraiment ce qu’il y a de pire et ce qui se passe aujourd’hui le prouve abondamment. La science peut bien démontrer que la sorcellerie est pur fantasme et que jamais personne n’a su voler sur un manche à balai – et ça, on le savait déjà en 1651 (date de publication du Léviathan) ; ce qui n’empêche qu’aujourd’hui encore on égorge des infidèles au nom de Dieu-le-Tout-Puissant, ce qui prouve bien qu’on reste en dehors du champ scientifique.
Occasion de rappeler que la croyance est plus solide que la science parce que la science repose sur des preuves qui demandent une certaine maitrise pour être seulement comprise : c’est ainsi que les créationnistes affirment que rien ne prouve que la science a raison quand elle affirme que les espèces vivantes ont évolué au cours du temps.
Monday, October 31, 2016
Saturday, October 29, 2016
Citation du 30 octobre 2016
L’exercice du pouvoir, c’est le respect du secret.
Manuel
Valls, Premier Ministre
J'aime ce Dieu Harpocrate, son index sur sa bouche.
Maurice
de Guérin Journal, lettres et poèmes – Edition 1865 (cité le 18 juillet 2015)
Statue
d’Harpocrate Dieu du secret exposée au Palais du Luxembourg (siège du Sénat)
Qu’on me permette de revenir sur le livre, qui fait scandale
en ce moment, où on peut lire les propos privés et en principe non destinés à
être répandus sur la place publique de François Hollande. Le Premier Ministre
rappelle comme un principe absolu que gouverner c’est garder le secret.
Il ne s’agit pas pour moi de reprendre les confidences du
Président pour gloser dessus. Il s’agit de s’interroger sur la concomitance de
l’exercice du pouvoir et du secret. Certes Machiavel a largement expliqué que
le secret est indispensable au Prince qui veut exercer le pouvoir sans avoir à
affronter une opposition qui le mettrait en péril. Mais Machiavel explique
aussi que les hommes sont naturellement méchants et que vouloir les gouverner
avec leur accord est impossible – d’où la nécessité de leur dissimuler les
vraies intentions du pouvoir ; nous autres démocrates avons cru qu’il en
allait autrement. Si notre idéal est la démocratie directe, alors plus de
secret : le pouvoir s’exerce au grand jour, sur la place publique car
c’est d’elle que procèdent les lois – qu’on songe aux votations suisses.
… Mais justement : voyez les lois issues de ces
votations : suppression des minarets ; refus de laisser des étrangers
pénétrer sur le territoire ; interdiction du salaire minimum… Et si pour
exercer un pouvoir égalitaire et magnanime il fallait mentir au peuple, et
garder le secret sur les hospices qu’on ouvre et sur les lieux de détention
qu’on ferme ?
Quelle belle idée ! Que la politique soit un domaine où
l’on fait le bien en se dissimulant, où la générosité doit se cacher sous les
traits austères du refus – comme d’accorder l’asile à des malheureux en
faisant mine de les reconduire à la frontière ?
Friday, October 28, 2016
Citation du 29 octobre 2016
La vie m'a appris qu'il y a deux choses dont on peut très
bien se passer : la présidence de la République et la prostate.
Georges
Clemenceau
C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du
pouvoir est porté à en abuser, il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites.
Montesquieu
– De l’esprit des lois, Livre 11 chapitre 4
Voici des propos qui ont pris une nouvelle signification
avec le temps : car n’est-ce pas, à présent les femmes accèdent à la plus
haute magistrature et elles n’ont évidemment pas besoin de prostate…
Sérieusement, ces propos désabusés sont certainement ceux
d’un candidat malheureux à la Présidence – on sait que Clémenceau fut
battu lors du vote préparatoire des républicains en 1920, sortes de Primaires
avant la lettre et qu’ensuite il se retira de la vie politique.
Ici, il y a deux possibilités : soit prendre Clémenceau
au sérieux et constater que la Présidence de la République est un honneur
facultatif ; soit dire que si cela était vrai sous la 3ème
République, ce ne l’est plus sous la 5ème puisque la Magistrature
suprême, associée à l’élection législative, donne au Président un pouvoir qui
n’a pas son équivalent en France depuis la Monarchie absolue (ajoutons
l’Empire).
On dira alors que vraiment, un homme politique n’a jamais
assez de pouvoir et qu’il ne s’arrête jamais de le rechercher puisque, même
quand parvenu au sommet, il cherche encore à s’y maintenir ! Occasion de
se rappeler la phrase de Montesquieu citée plus haut : qui donc
oserait en douter ? Qui donc nierait qu'en politique, s’il y des morts vivants
qui reviennent d’un lointain désert pour briguer à nouveau le pouvoir, c’est que
par delà les frontières de la vie politique, le même invincible besoin de
gouverner habite encore leurs corps et les rappelle à la vie publique.
Bon – ça on le sait. Mais alors que penser des déclarations
de patriotisme et de sacrifice au bien public qui accompagne leur profession de
foi ?
- Ici, certains diront : « Ces hommes sont peut-être
sincères, et ils refuseraient le pouvoir s’il ne permettait pas de réaliser
leur idéal ».
A vous de choisir votre conclusion.
Thursday, October 27, 2016
Citation du 28 octobre 2016
Ah Dieu! que
la guerre est jolie. Avec ses chants, ses longs loisirs.
Guillaume Apollinaire – Calligramme,
L’Adieu du cavalier (1913-1916)
Ce poème
qu’Apollinaire publia en 1918 peu avant de mourir de la grippe espagnole, était
dédié à un soldat mort au Chemin des Dames, là justement où le Poète fut blessé
par un éclat d’obus.
Ce poème est
imprégné de la douloureuse expérience de la vie dans les tranchées, lorsque le
front stabilisé, les hommes de la première ligne tuent le temps faute de
pouvoir tuer du boche. Mais la mort rôde, elle avance masquée sous le parfum du
printemps réminiscence de la bien-aimée. L’adieu
du cavalier est un peu comme le destin du Dormeur du val (1), lorsque la mort se cache sous les aspects les
plus riants de la vie. Qui donc ne trouverait pas déchirant d’expirer dans un
champ de fleurs ?
Je crois que
c’est tout cela qu’il faut entendre dans le poème d’Apollinaire, et plutôt que
d’ironiser sur le mode sarcastique, il faut imaginer que la guerre c’est tout
cela à la fois, et le printemps et le sang versé – et le souvenir de la
bien-aimée, et les entrailles qui se répandent ; et le poète qui rimaille
pour tout le bataillon (2), et l’éclat d’obus qui pénètre dans son cerveau… Oui,
rien de tout cela n’est plus aujourd’hui ; c’était du temps où la guerre
durait suffisamment pour que la vie se développe autour, qu’elle l'enlace ses
élans, de ses volutes, un peu comme le lierre qui grimpe sur les ruines.
Aujourd’hui, on est juste un peu de conscience flottant dans l’air alors que
notre corps vient d’être atomisé en 1/20ème de seconde…
----------------------------
(1) Arthur
Rimbaud – Le dormeur du Val, à lire ici.
(2)
Apollinaire fabriquait à la demande de ses compagnons de tranchée des poèmes
pour leurs maitresses.
Wednesday, October 26, 2016
Citation du 27 octobre 2016
Rosie a un chéri Charlie / Charlie est un Marine / Rosie
protège Charlie / En travaillant sans limite avec sa riveteuse… Je suis Rosie
la Riveteuse.
(Rosie’s got a
boyfriend, Charlie / Charlie, he’s a Marine / Rosie is protecting Charlie / Working
overtime on the / riveting machine …I'm Rosie, hm-hm-hm-hmm, the riveter
Chanson
des quatre vagabonds – 1943 (lire ici – écouter ici)
Affiche
de Rosie la Riveteuse de N. Rockwell
qui
s’est inspiré d’une peinture du prophète Isaïe
réalisée
par Michel-Ange pour la chapelle Sixtine
Lisez ici
Appréciez la pose (imitée du plafond de la Sixtine !)
montrant la jeune femme au moment du déjeuner avec son énorme pistolet riveteur
sur les genoux et le pied posé sur le livre de Hitler…
Ecoutez la chanson pour découvrir les vertus patriotiques de
Rosie, avec son acharnement au travail qui lui fait rejeter les frivolités qui
occupent habituellement les jeunes filles, patriotisme qui va jusqu’à acheter
les bons du Trésor pour soutenir l’effort de guerre.
Mais tout cela c’est encore peu de choses pour Rosie, car
voilà qu’en rivetant les carlingues, d’avions, elle ne fait pas seulement
avancer l’Amérique vers la Victoire ; elle protège aussi son Chéri qui se
bat sur le front et qui aura le bénéfice de la couverture aérienne grâce à ces
avions que Rosie vient de fabriquer.
On le voit, si les femmes amantes et ouvrières-citoyennes ont
gagné en émancipation grâce à la guerre, elles ne l’ont pas eue gratuitement.
Curieusement on retrouve à peu près le même thème que dans
la propagande soviétique pour célébrer le courage des femmes qui ont pris la
place des hommes sur les tracteurs et dans les usines : même vêtements
même attitude, mêmes « biscoteaux ».
Affiche
de J. Howard Miller (1942)
Au fond ce qui différencie ces images de la femme de
celles qu’on voit aujourd’hui, c’est que de nos jours, les femmes peuvent
rester beaucoup plus féminines lorsqu’elle sont au travail comme les hommes.
Tuesday, October 25, 2016
Citation du 26 octobre 2016
Personne ne
peut ruiner le gouvernement mieux que le gouvernement lui-même.
Boris Vian – Henri Salvador s'amuse
(1956)
Un président
ne devrait pas dire ça.
François Hollande (titre du récent livre
de confidences du Président français)
Il y a un
moment où la vie politique s’anime, où les hommes et les femmes qui s’y agitent
baissent le masque, où la vérité crue parvient à percer. D’habitude il s’agit
des moments de trahissons, de débauches qui font scandales, de photos volées –
bref, on a coutume de découvrir la réalité en regardant par le trou de la
serrure.
Et puis, il y
a des moments plus rares où c’est
l’homme ou la femme politique qui vous ouvre la porte de son cabinet secret et
qui vous invite à y entrer pour faire l’inventaire de ce qui s’y trouve caché.
Simplement il y a habituellement un décalage temporel : on attend d’avoir
quitté le pouvoir pour publier un livre de souvenirs ou de règlement de comptes :
les élus gardent leur secret inviolé durant l’exercice de leur mandat.
C’est là que
se situe l’épisode actuel : François Hollande, Président de la République,
a donné carte blanche à deux journalistes pour glaner auprès de lui des
informations, confidences, réparties ironiques ou cruelles sur les proches amis
ou ennemis ; il a renoncé à l’avance à relire le livre avant parution pour
en rectifier certains passages ; et pour faire bonne mesure il ne s’est pas
donné le contrôle de la date de la publication. Bref, voilà notre Président
pieds et poings liés avec son consentement. Ça vous fait penser à quelque
chose ?
Oui, c’est
cela n’est-ce pas ? Vous imaginez que le Président français est un adepte pervers
et délirant du bondage, et qu’après
avoir révélé au grand public ses frasques d’homme infidèle soumis aux turpitudes
ses pulsions, le voilà qui s’affiche dans une posture de masochiste qui fournit
lui même les cordes pour l’entraver ?
Peut-être.
Mais supposez que vous ayez là une audace d’homme libre, un élu du peuple qui
se tourne vers lui et qui lui dit : « Voyez, j’ai le courage de me montrer devant vous, tel que je suis.
Soyez mon confesseur et que votre absolution me rende ma légitimité pour
briguer un nouveau mandat. »
Voteriez-
vous pour un homme pareil ? Iriez-vous donner votre confiance à celui
qui ose tout révéler, qui refuse les replis de conscience où se cachent – chez
les autres – de bien vilaines choses ? – Non !
Hélas…
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