Saturday, January 31, 2015

Citation du 1er février 2015

L'univers m'embarrasse, et je ne puis songer / Que cette horloge existe et n'ait pas d'horloger.
Voltaire, Poésies
Selon Voltaire, notre univers est une vaste et infaillible horloge, qui non seulement nous permet de régler nos montres, mais qui est encore (et jusque dans ses moindres rouages) organisée en vue de cette régularité.
Cette citation est fréquemment évoquée pour montrer le déisme de Voltaire : qu’on m’autorise à laisser de côté cet argument « cosmologique » de l’existence de Dieu (1) – et qu’on veuille bien s’interroger sur cette comparaison de l’univers avec une horloge.
Certes, les mouvements des corps célestes sont d’un bout à l’autre de l’univers régis par les mêmes lois – de sorte que grâce à elles, à des milliards de kilomètres de la terre nous avons pu maitriser l’« atterrissage » d’une sonde sur une comète !
Seulement, voilà : dans une horloge, pas de grain de sable qui traine là où on ne l’attend pas. Pas de formes biscornues et pas de corps variant de masse et de densité (2). Vous voyez où je veux en venir ?
« Avec ses deux lobes, un petit et un grand, reliés par un "cou" très court, Tchouri possède, pour un noyau cométaire, une forme tout à fait singulière, jamais observée auparavant. Elle n'a pas, comme on a pu le dire dans un premier temps, la forme d'une cacahuète, mais bien celle d'un canard pour le bain. »

Un astéroïde qui a la forme d’un canard pour le bain ? Comme ça ?

« Pas d’horloge sans horloger »  – donc pas de canard de bains sans… sans quoi au fait ?
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(1) L’idée est : pas d’effet sans cause à sa mesure. Le monde étant comme une horloge absolument parfaite ; il a forcément pour cause un Créateur (Horloger) lui-même parfait.
On retrouvera cette argumentation ici.

(2) Galilée fit scandale en montrant grâce à sa lunette astronomique que la Lune n’était pas la sphère parfaite qu’on imaginait, puisqu’on y voyait des montagnes, et que – pire encore ! – le Soleil avait des tâches prouvant qu’il n’était pas incorruptible.

Friday, January 30, 2015

Citation du 31 janvier 2015

La différence entre un homme courageux et un lâche est très simple. C’est une question d’amour. Un lâche s’aime…
Philipp Meyer – Le fils (ch. 13)
Sur le modèle de la définition aristotélicienne (Le genre + la différence spécifique), voici la définition de la lâcheté : « Réaction au danger + Amour de soi ».
N'est-ce pas également par ce narcissisme que s'explique la peur de mourir ? On pense irrésistiblement à Néron, qui, au moment de se trancher la gorge, pleure la perte que sa disparition va infliger au Monde : « Qualis artifex pereo ! » (Quel grand artiste périt avec moi !).
Avant de dire que c’est une prétention ridicule, demandons-nous si, à quelques différences près, ce n’est pas ce qui nous pousse à garder la vie le plus possible.
Il est difficile de s’introspecter sur ce plan – car savons-nous pourquoi on a peur de mourir ? Ne serait-ce pas simplement pour continuer à jouir des plaisirs de la vie ? Pour conserver l’amour de nos chers amis, et celui de nos enfants qui grandissent sous notre regard ému ?

- Regardons ailleurs pour faire le point. Par exemple, la spiritualité orientale, qui nous enseigne à aimer la mort comme libération spirituelle ; raison pour la quelle le corps du défunt, si précieusement conservé chez nous, est brûlé rituellement dans toutes ces religions.
Du coup, ce que refusent ces religions exotiques c’est précisément ce que nous recherchons essentiellement : la survie post-mortem de notre moi jusqu’à la résurrection de son corps. Notre consolation lors de la mort d’un être cher n’est elle pas de penser qu’un jour nous aussi nous pourrons mourir et alors aller la retrouver ? (1)
Voilà donc : nous voulons conserver la vie pour jouir plus longtemps de nous-mêmes. Ce qui atténue le malheur de mourir, c’est l’idée que notre précieux Moi va continuer d’exister – ailleurs, mais inchangé.
Si la lâcheté explique la peur de mourir, alors c’est bien le narcissisme qui à son tour explique la lâcheté.
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 (1) La femme du Roi Renaud le chante : « Renaud, Renaud, mon réconfort / Te voici donc au rang des morts ! / Terre fend-toi, terre ouvre-toi / Que j’aille rejoindre Renaud mon Roi ! ».

Wednesday, January 28, 2015

Citation du 30 janvier 2015

L'avènement de la bourgeoisie est l'avènement de la caricature. Ce plaisir bas de la dérision plastique, cette récréation de la laideur, cet art qui est à l'art ce que la gaudriole est à l'amour, est un plaisir de famille bourgeoise; elle y prend tant de joie qu'elle a ri même de Daumier.
E. et J. De Goncourt – Journal, 1860.
 
Dessin de Kurt Westergaard : l’une des « Caricature de Mahomet » du Jyllands-Posten publiées le 30-09-2005.
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« Les « caricatures de Mahomet » sont les caricatures de douze dessinateurs parues le 30 septembre 2005 dans le quotidien danois Jyllands-Posten, en réponse à Kåre Bluitgen, un écrivain se plaignant que personne n'ose illustrer son livre sur Mahomet depuis l'assassinat de Theo van Gogh aux Pays-Bas en 2004. » A voir ici
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Les Goncourt sont de bons observateurs de la société bourgeoise qui s’épanouit – à leur grand regret – durant le second empire.
Ainsi de la caricature entendue comme « art » de la dérision qui enlaidit tout ce qu’il touche et qui, comme on l’a vu hier, constitue une forme hypocrite du nihilisme.
Et si il y avait malentendu avec les musulmans sur ce sujet ? Eux reprochent aux dessinateurs d’avoir violé l’interdit de représenter le Prophète. Et nous de répondre : « C’est pour rire ! On a bien le droit de rire – même de votre prophète ! »
En réalité on glisse hypocritement du sérieux à la blague. Car ne l’oublions pas, c’est ce dessin (ci-dessus) qui, parmi d’autres, a mis le feu aux poudres en 2005 (dix ans, déjà !). Or sa signification est très claire et, blasphème ou pas, elle n’est pas du tout une « blague » : on met en cause la religion musulmane comme étant passée sous la coupe des djihadistes hyper-violents.
Il y avait donc matière à plainte pour calomnie, non bien évidemment de la religion (du moins : pas selon notre droit), mais des pratiquants ouvertement discriminés.
Et nous autres, catholiques, au cas où on nous ridiculiserait dans l’exercice de notre religion, nous pourrions faire quelque chose comme ça : porter plainte pour diffamation à notre égard. Seulement, dès que le Saint Coran et le Prophète sont convoqués et se mettent à professer, rien ne va plus. Les armes de la plaidoirie sont remplacées par les fusils d’assaut.


Citation du 29 janvier 2015

Les allemands ont le nihilisme ; nous, nous avons la blague.
Paul Bourget
Ce qui tuera l'ancienne société, ce ne sera ni la philosophie, ni la science. Elle ne périra pas par les grandes et nobles attaques de la pensée, mais tout bonnement par le bas poison, le sublimé corrosif de l'esprit français : la blague.
Edmond et Jules de Goncourt – Journal 30 juin 1868 (cité le 3-2-12)

J’avais développé il y a déjà 3 ans cette citation des Goncourt : pour eux, comme pour Flaubert – et donc comme pour Paul Bourget – la blague est cette vacuité qui détruit les valeurs les plus sacrées en faisant croire qu’elle ne valent pas plus … qu’une blague. Tout devient n’importe quoi.

Que le drame de Charlie Hebdo soit advenu pour des caricatures du Prophète dans un journal satirique, cela donne à penser.
Certes, la satire a un but : elle veut corriger l’erreur ; son bras est armé d’un fouet. Mais combien il est facile de la confondre avec la blague ! Les dessinateurs (survivants) de Charlie sont comme ça : ils nous expliquent qu’avec ces caricatures, il s’agissait de faire quelque chose d’un peu drôle, que sinon ça n’en valait pas la peine. Est-ce que tout ça vaut une rafale de kalachnikov ?
Seulement voilà : en matière de blasphème, il y a des gens qui n’ont vraiment pas le sens de l’humour. Ils disent : un blasphème est un blasphème, il vise – exactement comme le déni nihiliste – à détruire le sacré, ou du moins à offenser Dieu (1).
On dit : pourquoi ces fondamentalistes ne répliquent-ils pas avec les mêmes armes que les gens de Charlie ? Pourquoi n’ont-ils pas publié des dessins, des textes, ridiculisant ces blasphémateurs ?
C’est que pour faire ça, il faut se contenter de nier – ou de corriger – symboliquement. Là est la différence : pour les Islamistes, tout doit être réel : le blasphème est réel ; la kalachnikov aussi est réelle.
Charlie, fais attention – et réfléchis un peu avant de rigoler : On ne court jamais aussi vite qu’une balle de kalach ! (2)
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(1) J’ai expliqué ici que je finissais par croire que la Blasphème était une formule magique, qu’il suffisait de le prononcer – et peu importe l’intention – pour qu’instantanément il soit constitué.

(2) Rappelez-vous : c’est ce que disait Amin Dada.

Tuesday, January 27, 2015

Citation du 28 janvier 2015

Je pense que rien au monde n'est plus féroce, vicieux, criminel qu'un enfant.
Louis Calaferte – Requiem des innocents
(…) sous l’influence de la séduction, l’enfant peut devenir pervers polymorphe et être entraîné à tous les débordements imaginables. (Lire citation complète en annexe)
Freud – Trois essais sur la théorie de la sexualité (2ème essai)
L’enfance est-elle ce moment de pureté, cette période pendant la quelle le petit être humain paraît aussi innocent qu’Adam avant la faute.
Oui, c’est vrai, mais : si tous les excès sexuels qui caractérisent la perversion ne se révéleront qu’à l’âge adulte, néanmoins leur prédisposition est présente dès l’enfance et bien qu’elle ne donne pas lieu à ces excès, certaines formes n’en sont pas moins déjà bien visible (masturbation, cruauté, voyeurisme, etc.). Exit donc le petit ange de pureté.

Dont acte. – Maintenant, songeons plutôt à nous. Si Freud a raison, alors tout être normal est un pervers qui se refoule. Et comment le fait-il ? Par une angoisse latente qui se déchainerait au cas où il cèderait à ses funestes penchants ? Par la peur du jugement des autres ? Du châtiment judiciaire – voire même divin ?
Il y a une forme de refoulement beaucoup plus sympathique : c’est la compétition entre la perversion et une autre forme (antagoniste) de l’amour. Ainsi, la sexualité – avec ses perversions – est en concurrence avec la tendresse et ses câlins (1). L’amour, nous dit Freud (toujours dans les 3 essais), est comme un tunnel creusé par les deux bouts à la fois : d’un coté : le sexe ; de l’autre : la tendresse. Celui qui va le plus vite occupe le plus de place.
Donc, si vous êtes un éternel soupirant genre Roméo avec sa Juliette, ça ne garantit pas qu’avec Germaine vous ne soyez pas un véritable goret.
Si jamais ça vous arrive, observez-vous si vous le pouvez : vous verrez que ça vous vient très naturellement.
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(1) Dites donc j’ai loupé la Journée Nationale du câlin! Oui, c’était le 21 janvier : j’espère que vous avez fait le nécessaire ?
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Annexe : « Il est instructif de constater que, sous l’influence de la séduction, l’enfant peut devenir pervers polymorphe et être entraîné à tous les débordements imaginables. Cela démontre qu’il porte dans sa prédisposition les aptitudes requises ; leurs mises en acte ne rencontre que de faibles résistances parce que, suivant l’âge de l’enfant, les digues psychiques qui entravent les excès sexuels : pudeur, dégoût et morale, ne sont pas encore établies ou sont seulement en cours d’édification. »