Wednesday, December 17, 2014

Citation du 18 décembre 2014

C'est son prochain qu'il faut aimer comme soi-même. Les autres, c'est facile. Ils sont loin.
 Henri Jeanson
Loin des yeux, près du cœur ? Est-ce pour cette banalité que j’ai retenu cette citation ?
Peut-être, mais pas seulement. Car, s’il est vrai qu’on aime lorsque les défauts de l’être aimé se sont estompés dans le lointain du souvenir – et donc que ce sont les morts qu’on aime le plus – la dénonciation de Jeanson est un peu plus cinglante.
C’est qu’on n’aime pas forcément – voire même du tout – quand on dit qu’on aime. Je m’explique : certes quand je dis à la femme qui est blottie contre mon épaule : « Chérie, je t’aime », ça m’engage et si je ne le pense pas je me prépare bien des soucis, voire même des remords si j’ai une conscience. Mais supposons qu’elle soit loin, très loin de moi ; supposons que je lui écrive des lettres d’amour (comme on le faisait autrefois) ; n’est-ce pas là que je vais imaginer les déclarations d’amour les plus enflammées… mais aussi les plus sincères ? Quand nous lisons les lettres qu’Apollinaire écrivait à Lou, ou Diderot à Sophie, qu’est-ce qui nous frappe ? C’est bien sûr la force de cet amour, qui peut durer aussi longtemps que durera cette correspondance, près de 15 ans dans le cas de Diderot. (1)
Bref : on le devine, l’idée c’est que l’amour n’a pas besoin de la présence de l’autre pour vivre. Il a besoin d’imagination, et pour ça, il n’est pas nécessaire de faire appel au réel.

Alors, ça ne vous rappelle rien ? On prétend que l’ère du numérique a disloqué les rapports humains, qu’au lieu de parler à nos voisins réels, nous préférons parler à des amis virtuels, que les rapports amoureux sont devenus à la fois plats et inauthentiques, avec cette appli GPS qui nous permettent, au lieu d’accompagner notre copine qui fait les soldes,  de savoir dans quel magasin elle est entrée.
Mais en réalité, en virtualisant les rapports humains, en démultipliant les « amis » que vous ne rencontrerez jamais, peut-être n’avez-vous pas seulement développé tous ceux qui sont pour vous des « prochains-lointains » ? Peut-être avez-vous aussi découvert, sans même y songer, une nouvelle façon d’aimer les gens ? N’y a-t-il pas dans ces amis, des gens avec les quels vous avez de chauds et réconfortants échanges ? Des amis Facebook avec les quels vous partagez plus de valeurs et de rêves qu’avec … certains de vos amis retrouvés chaque jour à la machine à café ?
D’ailleurs, si jamais vous rencontriez vos amis-Facebook, pensez-vous que ça donnerait quelque chose de plus ? Qu’en savons-nous ? En tout cas personne ne réclame de rencontrer tous ces gens avec qui on a d’affectueuses relations – virtuelles !
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(1) « Qu’est-ce que les caresses de deux amants, lorsqu’elles ne peuvent être l’expression du cas infini qu’ils font d’eux-mêmes? Qu’il y a de petitesse et de misère dans les transports des amants ordinaires ! Qu’il y a de charmes, d’élévation et d’énergie dans nos embrassements. » (Diderot – Lettre du 2 juin 1759)  Lisez donc ce Post qui consacre quelques lignes à cette correspondance sous le titre : Monologue à deux voix

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