Sunday, June 30, 2013

Citation du 1er juillet 2013



Mais les ouvrages les plus courts / Sont toujours les meilleurs. En cela, j'ai pour guides / Tous les maîtres de l'art, et tiens qu'il faut laisser / Dans les plus beaux sujets quelque chose à penser
La Fontaine – Les Lapins,  Livre X, fable 14
(Discours à Monsieur le duc de La Rochefoucauld)
Je n’ai fait celle-ci (= cette lettre) plus longue que parce que je n’ai pas eu le loisir de la faire plus courte.
Pascal – Les Provinciales (16ème lettre)
Commentaire I
Les ouvrages les plus courts / Sont toujours les meilleurs : La Fontaine est d’accord avec Pascal. On pourrait même citer encore Kant (1), et conclure avec la proposition réciproque : les ouvrages les meilleurs sont toujours les plus courts, du moins dans le domaine de la pensée philosophique.
Alors supposerons-nous que la brièveté, je dirai même la concision soit l’expression d’une parfaite maitrise de l’expression, et qu’à partir du moment où le sens est parfaitement compris, alors la forme devrait s’amenuiser et même, dans l’idéal, disparaitre ?
Oui, c’est bien cela : la forme est ce qui doit se résorber dans le fonds. Ces mots que j’aligne, ces phrases qui se regroupent en paragraphes puis en pages, ne sont que comme des emballages : inutiles, dès lors que le produit est consommé – à la poubelle !
- Toutefois, certains, je le devine, vont protester : Comment osez-vous écrire une telle chose ? Pensez-vous que La recherche du temps perdu devrait être réécrite pour tenir moins de place dans la valise de vacances ? Que c’est le modèle de rapport pour les gendarmes qu’il faudrait proposer pour le prochain Goncourt ?
Et si on réécrivait la 16ème Provinciale ? Qu’on dise à Pascal :
- D’accord, Blaise, toi, tu n’as pas eu le temps de faire plus court, mais nous, on en a du temps. On va te la réécrire ta lettre. Sûr qu’on va arriver à la faire tenir dans un Tweet.
… Bien sûr, tout cela est de la blague, bien sûr je fais comme si la rhétorique n’existait pas, et comme si le souffle du génie poétique était retombé. Disons même que la longueur d’une œuvre n’est pas l’indice de sa qualité, parce qu’elle peut avoir une existence propre et être décalée par rapport à son contenu.
Ajoutons que c’est de certaines œuvres seulement qu’on réclame plus de concision : Tant qu’à faire que ce soit mauvais, autant que ça soit court.
La suite à demain – si vous le voulez bien
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(1) C’est dans la Préface de la Critique de la raison pure, (la première ou dans la seconde préface ?)

Saturday, June 29, 2013

Citation du 30 juin 2013


Je ne connais rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, de plus borné qu'un terroriste.
Chateaubriand – Mémoires d'outre-tombe (t.1)  - 1809-1841
Nous devrions être toujours attentifs à la date de composition des textes que nous lisons. Ainsi de ce passage des Mémoires d’outre-tombe (texte en Annexe) dont on se doute qu’il a été rédigé au début du 19ème siècle. De plus, puisqu’il s’agit d’une réflexion concernant les sans-culottes, on en arrive à cette définition du terrorisme :
A. HIST. Politique de terreur pratiquée pendant la Révolution française.
- Définition par rapport à laquelle le sens actuel est dérivé :
B – Ensemble des actes de violence qu'une organisation politique exécute dans le but de désorganiser la société existante et de créer un climat d'insécurité tel que la prise du pouvoir soit possible. (TLF)

Mais il nous reste encore un problème de définition :
On peut envisager le terroriste comme celui qui réalise des meurtres de propagande. Les sans-culottes décapitaient les ci-devant aristos, et surtout ils promenaient dans Paris leur tête au bout d’une pique : voilà ce que rapporte Chateaubriand quand il parle de terroriste.
Mais aujourd’hui on passe à l’opposé dans le domaine de la terreur : il ne s’agit plus de faire un exemple en tuant un profiteur et un affameur, mais au contraire d’assassiner le plus innocent et le plus insignifiant des hommes pour que tous les autres se disent : « si lui a été victime, alors je ne suis pas à l’abri. »
Toutefois, le plus important problème n’est pas celui de la définition : il est dans l’évaluation. Peut-on dire que le terroriste des uns soit le héros des autres ? Et même pour nous, nos résistants durant l’occupation allemande n’étaient-ils pas les terroristes pour ces mêmes occupants ?
On haussera les épaules avec dégoût – oui, mais on sait bien que là est l’argument des terroristes que nous arrêtons chez nous : ils nous disent « nous sommes comme vos résistants ; vous êtes comme la Gestapo ».
Voilà encore ce bon vieux relativisme, comme celui de Claus Barbie qui, au début de son procès à Lyon, disait : « si nous avions gagné la guerre rien de ce que nous avons fait n’aurait été criminel. »
Rien ne sert de méditer sur le fondement des valeurs : il faut choisir son camp.

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Annexe :
« La Révolution m'aurait entraîné, si elle n'eût débuté par des crimes : je vis la première tête portée au bout d'une pique, et je reculai. Jamais le meurtre ne sera à mes yeux un objet d'admiration et un argument de liberté ; je ne connais rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, de plus borné qu'un terroriste. N'ai-je pas rencontré en France toute cette race de Brutus au service de César et de sa police ? Les niveleurs, régénérateurs, égorgeurs, étaient transformés en valets, espions, sycophantes, et moins naturellement encore en ducs, comtes et barons : quel moyen âge ! » Première partie, livre quatrième, chap.14

Friday, June 28, 2013

Citation du 29 juin 2013

Qui crie se décrie.
Proverbe auvergnat
DÉCRIER – Verbe transitif.
Détruire par des paroles le crédit de quelqu'un, de quelque chose.
Trésor de la langue française
Après la pensée qui hier n’existait qu’à condition de se contre-penser, voici aujourd’hui le cri qui décrie.
Crier est-il un aveu de faiblesse ? Certains diront qu’au contraire c’est l’affirmation – la « sur-affirmation » – de la certitude où nous sommes de dire la vérité. Crier est alors un engagement total dans les mots qui portent notre pensée, nous crions pour la porter plus vite, plus haut, plus fort. (1)
Que faut-il donc en penser ? Dans le schéma de la communication selon Jacobson (ci-dessous) :


le cri fait partie de la fonction expressive, liée au « destinateur » - à savoir : celui qui parle.
La fonction expressive permet de faire connaitre et donc de transmettre – ce qui en fait un élément du message – quel est l’état émotionnel de celui qui parle. En général, cette fonction est assumée par le ton de la voix, sa vibration etc. Jakobson donne pour exemple d'utilisation de la fonction expressive la répétition, quarante fois, de Segodnja večerom (« ce soir », en russe) par un acteur qui passait son audition chez Stanislavski. Chaque fois cet acteur devait varier l'intonation de « ce soir » selon une situation bien précise, imposée par Stanislavski (Wikipédia ici) (2)
Le cri apporte donc une information concernant non le contenu du message (fonction poétique), mais le locuteur. Et donc le cri signifie que celui-ci est affecté d’une certaine émotion ou passion au moment même où il parle. Laissant de côté le cas où cette émotion n’a rien à voir avec le message, on suppose que si cette émotion portée par notre cri vient altérer son contenu, c’est qu’elle laisse transparaitre la passion au moment même où le parfait sang-froid est requis.
Mais il y a aussi autre chose : le cri une expression de notre partie animale : c’est comme les animaux que nous crions. Le cri peut donc aller jusqu’à priver notre message de sa signification humaine.
Si donc crier, c’est se décrier,  c’est parce que nous perdons alors notre statut de locuteur humain, pour prendre le mode d’expression de la bête.
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(1) On aura reconnu la devise olympique
(2) Procédé repris par un vieux film avec Fernandel, le Schpountz, où l’acteur fait ainsi varier l’expression « Tout condamné à mort aura la tête tranchée ») – si vous ne connaissez pas, c’est à voir ab-so-lu-ment : ici.

Thursday, June 27, 2013

Citation du 28 juin 2013



Pour néant pense, qui ne contre-pense
 Proverbe (XVe siècle)
Il s’agit d’un proverbe assez largement diffusé sur le net, mais dont l’origine reste obscure – suffisamment pour qu’on le considère comme une expression de la sagesse commune.
Le XVème siècle était une bien belle époque pour avoir eu une telle sagesse commune ! Chez nous qui ne prenons pas le temps de contre-penser, on voit dans quel sens se propage le « progrès ».
Laissons tomber les ronchonneries, et tentons de dire pourquoi cette formule peut aujourd’hui encore séduire par sa justesse.
Contre-penser : faire des objections à sa propre pensée pour en éprouver la solidité, et donc pour hisser ce qui n’est encore qu’une simple opinion au niveau de la pensée.
Telle est la fonction du dialogue qu’on entretien avec soi-même et qui permettait à Platon de dire que « la pensée est le dialogue de l’âme avec elle-même » (1)
Deux observations :
- D’abord, ça signifie qu’on ne doit aucunement faire confiance à l’intuition. Que celle-ci fasse naitre en nous des pensées qu’on n’aurait pas eues par une réflexion approfondie, soit. Mais si l’intuition porte avec elle la satisfaction d’avoir vu la vérité, alors voilà le danger. Admirons au passage la prudence de Socrate dans le passage cité en annexe : « Je te donne cette explication sans en être bien sûr ». Comment Socrate peut-il parler sans être sûr ? Simplement parce que le moment de la vérification n’est pas encore arrivé.
- Ensuite la vérification, dans le domaine de la pensée ne signifie pas toujours expérimenter ou calculer (comme dans un raisonnement logique). La vérité est ce qui résiste à la contradiction – donc à la contre-pensée.
Reste bien sûr que, comme le disait Popper, certaines pensées sont « infalsifiables » entendez qu’on ne peut pas les réfuter : si je vous dis que Dieu existe, je peux vous mettre au défi de prouver le contraire. Mais ce n’est pas une raison pour dire que c’est vrai – mais plutôt que ce n’est pas absolument sûr !
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(1) « Socrate – … par penser entends-tu la même chose que moi ?
Théétète – Qu’entends-tu par-là ?
Socrate – Un discours que l’âme se tient à elle-même sur les objets qu’elle examine. Je te donne cette explication sans en être bien sûr. Mais il me paraît que l’âme, quand elle pense, ne fait pas autre chose que s’entretenir avec elle-même, interrogeant et répondant, affirmant et niant. » (Théétète – 263e)
--> Notons que « pensée » traduit le terme grec dianoia qui implique une pensée discursive.

Wednesday, June 26, 2013

Citation du 27 juin 2013



Ce n’était qu’un début. Là où on brûle / des livres, on finit par brûler des hommes.
Heinrich Heine – Almansor (1821)
Dans la tragédie Almansor, parue en 1821, Heine s'intéresse pour la première fois, de façon détaillée, à la culture islamique en Andalousie mauresque, qu'il a célébrée, toujours et encore, et dont il a déploré la disparition, dans de nombreux poèmes. (Wikipédia)
C’était l’époque où les musulmans ne se chargeaient pas de brûler eux-mêmes leurs propres livres – ça va faire ricaner les islamophobes : « Voilà toute la différence entre autrefois et maintenant » diront-ils.
Laissons-les ricaner et intéressons-nous à cette étrange pratique, attestée depuis longtemps, sous le nom d’autodafé, et repris dans le film de Truffaut Fahrenheit 451.
Le feu est l’instrument d’un supplice, mais notons que les romains qui ont martyrisé les premiers chrétiens ne les ont pas mis sur le bûcher. Le feu a une autre fonction que la simple destruction : il est purificateur. Il faut donc supposer que les livres que l’on brûle ont souillé le monde, qu’ils l’ont pollué, et qu’ils ont profané jusqu’au sanctuaire de notre âme avec les pensées impies (1).
Il ne suffisait donc pas de les tenir enfermés, comme dans l’Enfer de la B.N.F. ?
S’il faut les brûler, c’est qu’on croit au pouvoir des mots qu’ils contiennent, pouvoir magique puisque leur simple trace sur le papier agit comme une figure cabalistique.
On comprend donc que les autodafés de livres sont œuvre de censeurs gothiques, enfoncés dans l’obscurité de leur moyen-âge.
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(1) A noter que bien sûr on ne brûle pas que les livres : il y a aussi les œuvres d’art que l’on brûle ou du moins que l’on détruit.