Friday, August 31, 2012

Citation du 31 août 2012


La louange la plus haute de Dieu est dans la négation de l'athée qui trouve la Création assez parfaite pour se passer d'un créateur.
Marcel Proust – Le côté de Guermantes
Comment croire en Dieu après Auschwitz ?
Elie Wiesel
L'univers m'embarrasse, et je ne puis songer / Que cette horloge existe et n'ait pas d'horloger.
Voltaire, Poésies


Proust affirme tranquillement que l’athée est celui qui dit : la Création [est] assez parfaite pour se passer d'un créateur. Ce qui est loin d’être une évidence : son affirmation se heurte à deux positions opposées entre elles mais qui l’excluent toutes deux :
1 – L’athée est celui qui dit comme Elie Wiesel : Le Monde ? Quel abominable bazar ! Et que de cruautés ! Comment un Etre infiniment bon et parfait aurait-il pu créer cet affreux désordre ? Après Auschwitz, on ne peut plus croire en Dieu.
2 – Et à l’opposé, ce qui n’est donc pas contradictoire, le déisme de Voltaire : si le monde est une gigantesque horloge (cf. Newton), alors la perfection de l’œuvre implique la perfection de l’Ouvrier qui l’a créé. Comment imaginer que le hasard puisse engendrer, à partir d’un nuage de particules, ces montagnes, ces forêts, et ces éclipses qu’on peut prévoir des siècles à l’avance ?
Mais on peut quand même tenter de sauver la formule de Proust en proposant une troisième solution :
3 –  L’athée et celui qui dit : le monde, qu’importe d’où il vient ? Ce qui compte, c’est qu’aujourd’hui il tourne, sans que personne ne vienne s’en occuper. Dieu est parti – Il a pris sa retraite ! Comme Leibniz qui pense que l’Univers est un automate parfait où tout est programmé jusque dans ses évolutions, et même l’humanité entière est contenue dans la semence d’Adam, chaque génération emboitée dans la précédente comme avec les poupées Russes.
Pour Leibniz, cette harmonie préétablie était de nature mathématique, ce qui fait du monde un rêve d’astrophysicien.

Thursday, August 30, 2012

Citation du 30 août 2012


Cito, longe, tarde. ((Fuir) tôt, (courir) loin, (revenir) tard.)
Devise attribuée à Galien à propos de la peste.


Les Jeux Olympiques qui viennent de s’achever ont été l’occasion de rappeler la devise forgée par Pierre de Coubertin : « Citius, Altius, Fortius » (qui signifie « Plus vite, plus haut, plus fort »). Aurait-il eu une réminiscence de Galien ???
Toujours est-il que devant les fléaux qui ont frappé l’humanité, les médecins ont pu disserter longuement et sur tous les causes imaginables, les hommes eux ont toujours su ce qu’il fallait faire : on disait qu’en cas de peste le meilleur remède était une bonne paire de bottes – Pour fuir tôt, loin, longtemps.
Car on a longtemps hésité sur l’origine de la peste : tantôt elle venait d’une corruption de l’air ; tantôt elle était due à des émanations empoisonnées de la terre ; tantôt elle venait de l’eau (les juifs étaient soupçonnés d’empoisonner les fontaines et les puits (1)) ; tantôt encore elle était due à une nourriture malsaine. Mais, dans tous les cas, on savait qu’elle était contagieuse, y compris en période d’incubation – d’où la quarantaine imposée aux navires suspects d’apporter la maladie dans les ports.
L’intérêt de ces observations est de revisiter un moment de l’histoire de la médecine : celui où, impuissante à guérir, elle ne pouvait que faire de la prévention.
Et encore… Les médecins de Molière se contentaient de palabrer en latin plutôt que d’ausculter le malade. Tout juste acceptaient-ils d’observer les urines, de saigner et de purger : bref, de faire circuler.
C’est que les maladies étaient alors considérées comme provoquées par un dérèglement des humeurs qui ne s’écoulaient pas comme elles l’auraient dû. Par contre imaginer un agent infectieux qui se nourrit du corps du malade, ça c’était impensable.
Sauf à imaginer un cas de possession démoniaque.
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Wednesday, August 29, 2012

Citation du 29 août 2012


Toute l'industrie, tout le commerce finira par n'être qu'un immense bazar unique, où l'on s'approvisionnera de tout.         
Emile Zola – L'Argent

Je supposerai que si « tout se trouve dans le même bazar », c’est que tout peut y être acheté, et j’ai choisi de commenter cette citation en la faisant suivre d’autres citations– et rien d’autre.

- Dites-moi, Docteur, est-ce que je peux manger des agrumes le soir ?
- J’ai les seins qui tombent – Vous qui êtes chirurgien faites quelque chose…
- Mon petit garçon se touche le zizi à la récréation : est-ce que c’est normal ?
- Mon mari rentre de plus en plus tard du bureau : croyez-vous qu’il me trompe ?
- Mon mari me trompe, dois-je demander le divorce, Maître ?
- J’ai quelques économies, vous qui êtes banquier, dites-moi ce que je devrais en faire ?
…..
« La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes, après que la nature les a affranchis depuis longtemps d'une direction étrangère (naturaliter maiorennes), restent cependant volontiers, leur vie durant, mineurs, et qu'il soit si facile à d'autres de se poser en tuteurs des premiers. Il est si aisé d'être mineur ! Si j'ai un livre, qui me tient lieu d'entendement, un directeur, qui me tient lieu de conscience, un médecin, qui décide pour moi de mon régime, etc..., je n'ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n'ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d'autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes (y compris le sexe faible tout entier) tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c'est une chose pénible, c'est ce à quoi s'emploient fort bien les tuteurs qui, très aimablement, ont pris sur eux d'exercer une haute direction sur l'humanité. » Kant – Qu’est-ce que les lumières ? (1784) A lire ici

Tuesday, August 28, 2012

Citation du 28 août 2012


Comme le souvenir que laisse un mort est supérieur à sa vie ! Il n’y a pas des déchets.
Jules Renard – Journal

Jules Renard vise juste et il tape fort. Et tout ça en très peu de mots.
Faute de savoir en faire autant, j’aimerais revisiter cette pensée sur les nécrologies.
L’idée est que l’hypocrisie des amis du défunt les conduit à faire l’éloge funèbre de l’ami décédé en gommant ses erreurs et ses méchancetés, en soulignant ses réussites et ses beaux gestes. Luttant probablement contre un sentiment de culpabilité (on est peut-être pour quelque chose dans sa disparition ? Ou bien : pourquoi sommes-nous encore vivant, alors qu’il n’est plus ?) – on sort l’encensoir pour calmer son fantôme qui, sinon, pourrait bien venir nous tirer les pieds la nuit.
Mais soyons honnêtes ! La pensée de Jules Renard nous emmène quand même un peu plus loin.
Le sens d’une vie n’est autre que la vie elle-même, la vie entière, avec ses hésitations ses échecs et ses reprises. Y compris les vies qu’on refait parce qu’on a raté la précédente. Tous ces déchets finissent par disparaitre quand le trépas a mis le mot « fin » après son dernier instant. Pourquoi ? Parce qu’ils deviennent alors des révélateurs d’une logique plus profonde, plus cachée, issue de couches souterraines de la personnalité. Un peu comme l’historien qui considère que l’évènement n’est rien d’autre que le surgissement de ce qui existait depuis longtemps sans qu’on ait pu le voir, le déchet de la vie n’est que l’interférence de notre personne cachée dans nos profondeurs avec les aléas de l’existence – et de nos choix.
Tu redoubles ta terminale et tu viens d’être collé au bac ? Ta femme t’a quitté alors que tu avais tout misé sur ton couple ? Tu as pété tes ligaments croisés et ça compromet définitivement tes espoirs de gloires olympiques ?
--> Avant de te jeter à l’eau avec une pierre au cou, demande-toi si quelque chose de neuf ne va pas surgir après ça, quelque chose que tu n’as certes pas « voulu », mais que tu aurais pu vouloir – si tu l’avais prévu.

Monday, August 27, 2012

Citation du 27 août 2012


Fouiller poubelle est illégal.
La pauvreté est illégale ?
Charles de Leusse – 1616 (publié en 2004)
Du sac en plastique, la jeune fille sort de la nourriture et la porte à sa bouche. On hésite un peu, a-t-on bien vu ? On ajuste son attention, son regard. Dans sa main, ce sont des épluchures de pommes. Elle les croque, une à une, sans précipitation. Comme si c'était la chose la plus normale du monde
Katie Brenn, Le Monde-Dimanche du 13/04/1980 (Voir un extrait en Annexe)


Errance.
- J’avais pensé à faire partager un texte qui date de 1980 relatant un fait pour lors quasiment anecdotique d’une jeune fille installée dans le métro parisien qui mange des épluchures de fruits et de légumes – sans doute en guise de déjeuner.
- Puis, j’ai recherché sur le Net si ce texte se trouvait et je l’ai effectivement trouvé (cf. référence ci-dessus) : mais dans quel état ! Sans nom d’auteur, dépecé pour un obscur exercice de … de quoi au fait ? Apparemment de linguistique, mais je n’en suis pas sûr. Par contre ce qui est sûr c’est que le sens de ce texte n’intéresse vraiment pas le professeur en question. J’ai donc imaginé un Post vengeur anti-exercice de « linguistique ».
- Et puis, je me suis rappelé du Post mis en ligne ici – en date du 22 octobre 2011 – concernant ceux qu’on appelle poétiquement « les glaneurs de poubelle » et qui sont sans doute les enfants de cette jeune femme rencontrée dans le métro il y a 30 ans.
Un jour, j’ai vu de mes yeux un homme faire les poubelles de restaurants en plein centre-ville (de Reims) et s’asseoir par terre pour manger le produit de sa pioche (= de son glanage). Je n’ai pas oublié mon émotion d’alors : d’un coup j’ai eu l’impression d’être reporté dans le Paris de Victor Hugo : Les Misérables – la brioche jetée  aux cygnes du Jardin du Luxembourg, et les petits pauvres qui la repêche pour la manger... (A lire ici)
Oui, c’est bien cela : d’un coup j’ai compris que le progrès n’était jamais acquis, que l’histoire pouvait faire marche arrière et encore plus vite qu’on ne l’imaginerait. Les pauvres peuvent manger des épluchures ou des rognures, et puis on peut leur donner comme autrefois des viandes avariées en disant : « après tout, les pauvres ont des estomacs plus solides que ceux des riches ».
Alors, reculez dans le passé d’un cran de plus : c’est vous-mêmes qui allez vous trouver sur le banc à manger des épluchures. Et encore, quand on voudra bien vous en donner.
Nous sommes tous des Grecs.

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Annexe : « Le métro qui arrive, belle mécanique. Automatiquement, on s'assied, on ouvre son journal, les titres : "Giscard", "L'Afghanistan", "Le chômage des jeunes". De l'autre côté du journal, une fille, cheveux longs, robe en jeans, un faux air de fille-fleur des années 70. Démodée pour tout dire. Dans son regard, un peu de fatigue. Elle a vingt ans, vingt-cinq ans au plus. Sur ses genoux, elle tient un sac en plastique blanc, des courses probablement. On vient de passer la station Chambre-des-Députés. On est toujours avec ses pensées. Du sac en plastique, la jeune fille sort de la nourriture et la porte à sa bouche. On hésite un peu, a-t-on bien vu ? On ajuste son attention, son regard. Dans sa main, ce sont des épluchures de pommes. Elle les croque, une à une, sans précipitation. Comme si c'était la chose la plus normale du monde. Puis ce sont des épluchures de carottes et de pomme de terre. La terre des légumes reste sur ses lèvres. Du sac, elle tire ensuite des emballages de petits-suisses, puis elle racle, avec ses ongles, tout ce qu'y a laissé une cuiller négligente. Dans ce coin du wagon, le silence s'est fait. On n'entend plus que le bruit des petits cylindres de plastique qu'elle triture pour n'en laisser rien perdre. » Katie Brenn, Le Monde-Dimanche du 13/04/1980