Friday, April 30, 2010

Citation du 1er mai 2010

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Poste de travail informatisé - Prévenir les problèmes de santé reliés au travail
Pour bien régler et bien aménager son poste de travail informatisé.
[Pour la fête du travail, La Citation du jour offre à ses lecteurs une mise à niveau gratuite des méthodes qui permettent d’éviter les problèmes ostéo-musculaires liés à la posture au travail.]
- Messieurs les managers, si vous avez une jeune collaboratrice qui débute – ou mieux : une stagiaire – aidez-la à prendre une bonne position devant son ordinateur.

1 – Passez votre main pour vérifier que sa cuisse soit bien parallèle au sol
2 – Prenez son pied et posez le bien à plat sur le sol
3 – Assurez-vous que votre main passe aisément derrière son genou.
4 – Vérifiez que le bas de son dos est bien appuyé contre le dossier de sa chaise. Au besoin appuyez lui sur le ventre pour améliorer sa position
5 – Prenez ses avant-bras et posez-les correctement sur le bureau
6 – Faites la même chose avec ses coudes.
7 – Idem avec ses poignets.
8 – Mettez votre visage contre le sien pour vous assurer que ses yeux soient à la bonne distance de l’écran.

Thursday, April 29, 2010

Citation du 30 avril 2010

Il est à supposer que les jurons, qui sont des exclamations entièrement dépourvues de sens, ont été inventés comme instinctivement pour donner une issue à la colère sans rien dire de blessant ni d'irréparable. Et nos cochers, dans les encombrements, seraient donc philosophe sans le savoir. Mais il est bien plaisant de voir que parmi ces cartouches à blanc, quelquefois il y en a une qui blesse par hasard. On peut m'injurier en russe, je n'y entends rien. Mais si par hasard je savais le russe ? Réellement toute injure est charabia. Comprendre bien cela, c'est comprendre qu'il n'y a rien à comprendre.

Alain – Propos du 17 novembre 1913


Laissons de côté provisoirement l’injure pour ne tenir compte que du juron. Le juron est une exclamation entièrement dépourvue de sens. Quand je laisse échapper un objet qui se brise, je m’écrie « Oh ! Putain de merde ! ». Hé bien ça n’a pas le sens. Ou du moins il est inutile de chercher à construire ce sens à partir du sens des mots.

En réalité, le juron est l’équivalent du cri de l’animal dans le langage humain. L’homme est un animal qui a besoin du langage non seulement pour communiquer, mais aussi pour s’exprimer. Le juron est ainsi une passion qui devient langage, mais pour elle cet usage du langage ne sert à rien d’autre qu’à s’extérioriser.

Alors certes le cri est aussi à notre disposition : si je m’écrase le doigt avec mon marteau, je peux aussi pousser un cri de douleur – ça m’arrive aussi. Mais il faut reconnaître que le juron offre la même issue à notre douleur, et qu’en plus il soulage bien mieux.

Mais venons en au rapport juron-injure : si j’ai bien compris ce que nous dit Alain, l’injure doit elle aussi être considérée comme un cri dépourvu se signification explicite, une manière d’extérioriser notre effroi ou notre déception. Et rien de plus – du moins, il est préférable de le considérer comme ça.

La preuve. Supposez que vous ayez sur le toit de votre voiture un haut-parleur comme les voitures publicitaires des cirques, et que toutes vos paroles de conducteur puissent s’entendre à la ronde. Du coup les injures ordurières dont il vous arrive peut-être d’abreuver les autres conducteurs seraient parfaitement audibles et ils sauraient que pour vous ils sont des fils de p... ou bien des manches à c

Qu’on prenne ça au sens propre ? Effroyable hypothèse !

Wednesday, April 28, 2010

Citation du 29 avril 2010

… la pensée magique, cette « gigantesque variation sur le thème du principe de causalité », disaient Hubert et Mauss, se distingue moins de la science par l'ignorance ou le dédain du déterminisme, que par une exigence de déterminisme plus impérieuse et plus intransigeante, et que la science peut, tout au plus, juger déraisonnable et précipitée.

Cl. Lévi-Strauss – La pensée sauvage. (1962)

Elle (= la science) […] se contente de réponses partielles et provisoires. Qu'ils soient magiques, mythiques ou religieux, au contraire, les autres systèmes d'explication englobent tout. Ils s'appliquent à tous les domaines. Ils répondent à toutes les questions. Ils rendent compte de l'origine, du présent et même du devenir de l'Univers.

François Jacob – Le jeu des possibles (1981) Voir texte complet ci-dessous

On oppose souvent l’obscurantisme des créationnistes à la rigueur sans faille des scientifiques qui affirment depuis Darwin qu’il existe une évolution des espèces. Je voudrais dire qu’on brouille les frontières véritables entre science et mythe (ou si on veut : religion), et que comme le font observer Lévi-Strauss et après lui François Jacob, la science suppose un effort pour renoncer à la prétention de tout unifier dans l’univers et surtout à l’orgueil qui consiste à croire qu’il se rattache à la condition humaine.

La religion nous dit : Vous ne pouvez rien savoir si vous ne savez pas tout – et en particulier si vous ne répondez pas à la question : pourquoi ? – Pourquoi un univers plutôt que pas d’univers du tout ? Pourquoi l’homme, quelle est sa mission ? Pourquoi les petites fleurs dans les champs et les fourmis qui s’y affairent ?...

Le scientifique est celui qui dit : on peut savoir sans tout savoir. La science se construit petit à petit et ses acquis sont inébranlables dès lors qu’ils sont démontrés. Mais il peut se faire qu’on sache qu’on ne saura jamais, en particulier quand un processus se développe sous l’effet du hasard. On peut bien dire ce que sera le système solaire dans 3 milliards d’années, mais pas ce que sera l’espèce humaine dans cinq cents milles ans.

En réalité l’opposition entre la science et la religion s’enracine dans notre attitude vis-à-vis du besoin humain que décrivent Lévi-Strauss et Jacob, qui est le besoin d’être dans un monde unifié, dont on sache tout, sans obscurité, sans aspérité. Et dans ce contexte, l’ennemi contre le quel la science doit combattre est cette exigence plus que la religion qui l’incarne. Voyez plutôt les contorsions des physiciens pour raccorder l’astrophysique à la physique des particules. On dirait que les cordes y sont surtout celles qui serviront à les pendre…


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Texte complet :

C'est probablement une exigence de l'esprit humain d'avoir une représentation du monde qui soit unifiée et cohérente. Faute de quoi apparaissent anxiété et schizophrénie. Et il faut bien reconnaître qu'en matière d'unité et de cohérence, l'explication mythique l'emporte de loin sur la scientifique. Car la science ne vise pas d'emblée à une explication complète et définitive de l'univers. Elle n'opère que localement. Elle procède par une expérimentation détaillée sur des phénomènes qu'elle parvient à circonscrire et définir. Elle se contente de réponses partielles et provisoires. Qu'ils soient magiques, mythiques ou religieux, au contraire, les autres systèmes d'explication englobent tout. Ils s'appliquent à tous les domaines. Ils répondent à toutes les questions. Ils rendent compte de l'origine, du présent et même du devenir de l'Univers. On peut refuser le type d'explication offert par les mythes ou la magie. Mais on ne peut leur dénier unité et cohérence car, sans la moindre hésitation, ils répondent à toute question et résolvent toute difficulté par un simple et unique argument a priori. (François Jacob – Le jeu des possibles)

Tuesday, April 27, 2010

Citation du 28 avril 2010

Une fois n'est pas coutume.

Formule d'absolution à l'usage des bourgeois. Tout va bien si la coutume n'est pas implantée. L'essentiel c'est de ne tuer son père qu'une fois.

Léon Bloy – Exégèse des lieux communs

L'essentiel c'est de ne tuer son père qu'une fois… Belle pensée, je soupçonne même notre auteur d’avoir écrit le début uniquement pour amener cette fin. Parce que tout de même, s’agit-il seulement d’une formule ironique visant l’hypocrisie des bourgeois, toujours prêts au pire à condition de ne pas y succomber trop souvent ?

Et si on la prenait au sérieux, cette formule ? Si effectivement il fallait « tuer son père » (meurtre symbolique il va sans dire) ?

- Oui, mais celui qui tue son père est orphelin : son sort est-il donc meilleur que celui du fils qui a encore son papa ?

- Je me rappelle avoir lu un livre de Camus (roman posthume et autobiographique) qui s’appelle Le premier homme. Il évoquait l’arrivée en Algérie dans les années 1830, de ses ancêtres, et il comparait leur destin au sien, orphelin dès le plus jeune âge. Voilà des gens qui, comme le premier de tous les hommes, ont eu tout à inventer sans aucun modèle, en tout dénuement, en toute liberté. Celui qui a « tué le père » (comme disent les freudiens) est l’orphelin qui ne le pleure pas, qui ne se définit pas en gardien d'héritage. Il est celui qui a dépassé les interdits et les normes qu’on lui avait imposées – et qu’importe que ce ne soit pas le père qui les ait inventée : c’est toujours au nom de la loi du père (1).

On a compris que la difficulté est double :

- D’une part il faut effectivement tuer son père. Mais le but étant de libérer ses forces créatrices il ne faut pas rater son coup, sinon ça va tourner à l’obsession et c’est pire encore. C’est d’ailleurs pour cela que notre auteur dit qu’il ne faut tuer son père qu’une fois.

- D’autre part il faut articuler les principes qui viennent de notre tradition (familiale ou pas) dans la mesure où elles renforcent notre capacité, avec notre propre force inventive.

Autant dire que le plus difficile n’est pas de tuer son père, mais d’en conserver la substance profitable.

C’est pour ça que Freud disait que les premiers hommes, après s’être coalisés contre le père-chef de la horde et l’avoir tué, l’ont mangé (2)


(1) Je n’aime pas trop les formules toutes faites, mais sans cet hommage rendu à Lacan on m’aurait soupçonné moi aussi d’avoir tué mon père.

(2) On aura reconnu le repas totémique de Totem et tabou.

Monday, April 26, 2010

Citation du 27 avril 2010

Lorsque le prêtre favorise une innovation, elle est mauvaise : lorsqu'il s'y oppose, elle est bonne.

Diderot – Principes de politique des souverains

Pour Diderot, le prêtre, c’est comme une boussole qui indiquerait le sud : il suffirait de faire l’inverse de ce qu’il nous dit pour être dans le vrai.

Il m’est arrivé de rechercher les gens avec qui mon désaccord était si complet, mes valeurs si opposées aux leurs que j’étais sûr de pouvoir les suivre à condition d’aller dans le sens contraire. Par exemple, les critiques de cinéma : du temps où François Chalais était de ce monde, je savais que je ne me tromperais pas si j’allais voir les films qu’il avait détesté et si j’évitais ceux qu’il avait aimé.

Seulement les choses ne sont pas si simple, car selon l’adage déjà cité (ici) : la vérité est unique ; l’erreur est multiple. Or, si nous disons que la boussole qui indique le sud nous est fort utile, nous ne dirions pas la même chose de celle qui indiquerait tantôt l’ouest, tantôt l’est, tantôt le nord-ouest, etc…

Si on était dans le système binaire, donc si on fonctionnait toujours sur le principe du tiers-exclu, alors oui – les choses seraient simples : c’est noir ou c’est blanc, ou tu veux ou tu veux pas… Et c’est vrai que ça peut fonctionner ainsi. Mais la plupart du temps, la réalité est plus complexe, plus riche : elle nous propose une foultitude de possibilités, et il ne suffit pas de savoir que l’une d’entre elle est fausse pour savoir la quelle des autres est vraie.

Toutefois, il y a des preuves qui fonctionnent sur ce principe : on peut démontrer qu’on est dans l’erreur, mais pour autant il n’est pas sûr qu’on sache où est la vérité.

On a même construit un principe très célèbre là-dessus : c’est le principe de falsification de Popper. Lorsqu’une théorie scientifique est produite, on ne doit l’accepter que si elle résiste aux expériences faites pour la « falsifier ». Si elle résiste alors on dira qu’elle a satisfait aux tests de verisimilitude et qu’on peut la considérer comme étant vraie. Sauf qu’elle peut à tout moment être réfutée par d’autres expériences aux quelles on n’avait pas jusqu’alors pensé.

Citation du 26 avril 2010

Le public n'a pas besoin de nouvelles pensées. Ce qui vaut le mieux pour le public, ce sont les bonnes vieilles pensées reconnues qu'il a déjà.

Henrik Ibsen – Un Ennemi du peuple


Oui : Ibsen a raison, tous les medias actuels le prouvent eux qui moulinent inlassablement les mêmes informations, les mêmes ides, les mêmes louanges et les mêmes indignations.

Qu’on ouvre les micros des radios à tous ces gens qui n’ont rien à dire, rien de neuf du moins et dont le seul intérêt réside dans la passion qu’ils y mettent (coups de cœur – coup de gueule), et nous voilà édifiés.

Alors que dire ? Hé bien que, justement, pour respecter le public il ne faut pas lui donner ce dont il estime avoir besoin. Car si on le fait, alors certes il sera content – content avec les bonnes vieilles pensées reconnues qu'il a déjà.

Seulement, comment lui faire mordre à toutes ces idées qui le dérangent, remplacer les poncifs qui le rassurent par des thèses qui risquent de le scandaliser ?

On trouve chez Platon (dans la République je crois, mais je n’ai pas vérifié) une comparaison entre l’absorption du savoir et celle des médicaments. Les médecins dit-il ont l’habitude de mettre du miel sur le bord de la coupe où se trouve un médicament lorsque celui-ci est amer. Il est vrai que Platon ajoute aussitôt, que s’agissant du savoir, il mettrait de l’aloès sur le bord de la coupe pour en écarter tous ceux qui n’apprennent que poussés par le plaisir immédiat.

Bon, admettons que Platon soit un vieux réac. Reste que la question posée est celle de la vulgarisation : quel sucre donner qui fasse aussi passer la potion amère ?

Voyez le cas de la philosophie : il y a de plus en plus de gens qui font des émissions télé pour divulguer l’esprit philosophique. On voit en ce moment la petite fille de Louis De Funès – portée par la célébrité de son illustre grand père mais aussi agrégée de philo – le faire sur France 5 ; et aussi le beau Raphaël Enthoven… porté par qui vous savez.

Sunday, April 25, 2010

Citation du 25 avril 2010

Il y a une sexualité qu'on ne peut vivre que sous alcool. Boire, c'est ça aussi : c'est accueillir ce qui devait rester caché. De notre propre désir.

Virginie Despentes Les Jolies choses


La modification de l'humeur est ce que l'alcool peut offrir de plus précieux à l'homme […]. L'humeur enjouée, d'origine endogène ou toxique, abaisse les forces d'inhibition, la critique en particulier, et rend par là de nouveau abordables des sources de plaisir dont la répression fermait l'accès.

Freud (Citation du 17 novembre 2007)


Vive l’alcool ! Voilà deux citations qui ne respirent pas la bien-pensance !

Faut-il faire l’éloge de l’alcool ? Et pourquoi pas celle de la drogue ? Car, de fait c’est bien à cela que pense Freud en évoquant l’origine toxique de la deshinibition.

Je veux considérer plus particulièrement la citation de Virginie Despentes, parce qu’elle met à jour quelque chose d’important : le désir (sexuel ici) comporte une partie appelée à demeurer cachée. Satisfaire son désir, c’est donc nécessairement transgresser des limites. L’alcool est cet adjuvant qui permet de sauter la barrière – et voilà tout.

Ce n’est donc pas le moyen de transgresser qui importe, mais bien qu’il n’y ait pas de jouissance sans transgression.

Comment justifier ces limites ? Pourquoi imposer des barrières si on ne peut vivre – pleinement vivre – sans les passer ? Ici un bref retour à Freud s’impose : la civilisation n’a pu s’édifier que sur le renoncement à certaines de nos pulsions. Il y a contradictions entre la libido – ou les pulsions jumelles eros/thanatos – et la vie sociale qui se trouve imposée par les contraintes de l’existence biologique.

La preuve en est que dès que ces contraintes disparaissent, alors les freins sur la satisfaction du désir disparaissent également.

Il n’est que d’observer la vie privée de nos dirigeants politiques

Citation du 24 avril 2010

Il ne faut pas plus d'attention pour lire Voltaire que pour entendre un homme qui parle. Aussi, en le lisant, on a l'attitude d'un homme qui écoute plutôt que l'attitude d'un homme qui lit. - Il a mis dans ses livres un degré de clarté qui n'est nécessaire que dans les conversations ordinaires.

Joubert – Carnets (4 septembre 1806)


Je laisserai de côté la diatribe anti-Voltaire : après tout chacun peut se faire une opinion par lui-même.

Par contre on peut être étonné – voire même choqué – de lire qu’on lui reproche d’avoir mis dans ses livres un degré de clarté qui n'est nécessaire que dans les conversations ordinaires.

La clarté des propos n’est donc pas nécessaire ? Pire encore : elle serait exclusive de leur profondeur ?

Qui donc a oublié la remarque grinçante de Nietzsche à propos de je ne sais plus quels philosophes : ils ont troublé leurs eaux pour qu’elles paraissent profondes

Et celle de Boileau : Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, / Et les mots pour le dire arrivent aisément (voir ici).

Tout dépend des critères choisis pour définir la clarté. Joubert semble bien l’identifier à l’immédiateté : dans la conversation, il faut comprendre tout de suite et non 6 heures après (comme avec ce qu’on appelle l’esprit de l’escalier). Alors c’est vrai, clarté est synonyme d’absence d’effort, et l’absence d’effort implique largement la superficialité.

Mais alors que faire de la complexité ? Sans doute est-elle liée nécessairement à des sujets dont on ne peut alléger la substance sans les dénaturer grandement. Mais si la complexité existe, alors adieu l’immédiateté. Il faut du temps pour comprendre certains raisonnements – et je ne pense pas seulement à la philosophie, mais aussi aux mathématiques.

C’est donc l’occasion de se rappeler le début de la citation de Joubert : il critique Voltaire pour ses écrits. A la différence de la conversation, ce qui caractérise l’écrit, c’est sa densité. Les livres de Voltaire doivent leur clarté non à une vertu particulière mais à une lacune : ils manquent de densité.

Méfions nous des livres qu’on lit pour la première fois en ayant l’impression de tout comprendre – voire même de les avoir déjà lus mille fois. Ou bien ils sont très ordinaires ; ou bien c’est nous qui ne les comprenons pas.

Car avoir l’impression de comprendre c’est aussi une façon de ne pas comprendre.

Citation du 23 avril 2010

Voltaire se défiait des constipés.

- Quand vous allez le matin voir un ministre, disait-il, tâchez d'avoir par le valet de chambre des nouvelles de sa garde-robe.

Lorédan Larchey – L'Esprit de tout le monde - Riposteurs (1893) (1)


A l’époque de Voltaire la médecine restait encore tributaire des théories humorales qui considérait tous les effluents du corps comme significatif de son état de santé. Ainsi des urines. Ainsi des fèces (2).

Bon passons sur ces détails. Je retiendrai pour ma part qu’on a considéré à cette époque que dans les négociations, l’état de santé des interlocuteurs compte pour beaucoup dans le résultat des discussions.

Imaginez vous Bernard Thibaut arrivant au ministère du travail pour négocier sur les retraites, demandant à chef de cabinet ( !) du ministre :

- Le ministre a-t-il bien chié ce matin ?

Certes non. Mais supposez que le ministre ait une rage de dent, ou une colique (ce n’est peut être pas mieux qu’avec des constipés) : ses souffrances risquent bien de modifier son caractère et donc son aptitude à la négociations.

Revenons maintenant sur la citation de Voltaire. Pourquoi se méfiait-il particulièrement des constipés ?

Je trouve qu’on n’insiste pas assez sur le fait que Freud s’est largement appuyé sur des opinions populaires qui l’ont précédé. Ainsi de la constipation, qu’il interprète comme une forme d’avarice, comme si elle était une rétention de richesse. Etre constipé, c’est refuser de donner.

Or, pour négocier il faut bien lâcher quelque chose, sinon on n’a plus de négociation.

Un dernier mot : la constipation est aujourd’hui principalement une affaire de femmes – j’ai abordé le sujet le 16 octobre 2006 avec les dragées Fuca. Je demandais alors qu’on m’explique pourquoi les femmes sont en apparence plus constipées que les hommes.

J’attends toujours la réponse.


(1) Pour les curieux, Lorédan Larchey a écrit en 1895 un dictionnaire de l’argot populaire qu’on peut lire en ligne ici

(2) Non, je n’ai pas voulu écrire fesses. Bande d’ignorants !

Mot du jour : fèces. PHYSIOL. Excréments solides de l'homme. (T.L.F.)

Thursday, April 22, 2010

Citation du 22 avril 2010

Bonté de l'exil.

Voltaire est plus Voltaire à Ferney qu'à Paris.

Victor HUGO Océan<1866-68>



Cliché J-P Hamel

Oui, Voltaire à Ferney est célébré comme un bienfaiteur dont les générosités sont gravées dans le marbre du socle de sa statue, dans cette ville qui s’enorgueillit de porter le nom de son bienfaiteur : Ferney-Voltaire. Ce qu’il ne put faire à Paris, il le réalisa ici.

Il est significatif que Victor Hugo attribue cette action méritoire à l’exil. Il y a, nous dit Hugo, une bonté de l’exil – et si Hugo le dit, ça doit être vrai, vu que l’exil lui, il connaît bien.



Mais justement, remarquons que l’exil de Hugo et celui de Voltaire ont été bien différents : si Hugo est resté sur son rocher un homme politique, attaché à intervenir par ses écrits dans la vie politique de son pays, il n’a en revanche rien fait pour le développement de Guernesey.

C’est qu’au fond, l’essentiel n’est pas là. Il est dans le rapport de l’exilé avec la terre qui l’accueille.

Voltaire prend en charge cette terre et la transforme. Il en fait un laboratoire pour tester la réalisation des idées soutenues par les Lumières du XVIIIème siècle.

Hugo fait de Guernesey sa demeure, où il installe sa maison, sa maîtresse, où il est tellement chez lui que même après la chute de Napoléon III en 1870, il y revient épisodiquement.

Si Voltaire fut plus Voltaire à Ferney qu’à Paris, Hugo fut autant Hugo à Guernesey sur son rocher que Place des Vosges.

Wednesday, April 21, 2010

Citation du 21 avril 2010

Toutes les dettes reçoivent quelque compensation, mais seul l'amour peut payer l'amour.

Fernando de Rojas (1465-1541) – La Célestine



Laissons pour un moment de côté l’économie et son cortège de chiffres vertigineux. Pensons la dette non plus en terme de taux d’intérêts et de cotation Fitch, mais plutôt en terme d’amour.

Ah… L’amour ! Pure générosité, don total de soi, ouverture sans limite à l’autre, océan de tendresse, élan mystique…

Stop !!! Un instant s’il vous plait. L’amour c’est aussi ce qui exige une compensation. Donner oui, mais donner à qui nous donne. L’amoureux sous le balcon de sa Dulcinée, il chante ses élans avec sa guitare, mais il n’attend surtout l’échelle de soie pour monter demander son dû.

Il faut aussi payer l'amour. On est un peu choqué par une telle déclaration. Faut-il donc que l’amour pour se développer soit soutenu par un intérêt égoïste ? L’amour serait il vénal ? Ou bien simplement pure jouissance ? Roméo, s’il monte au balcon, est-ce uniquement pour faire crac-crac avec Juliette ?

Rassurons-nous, il n’en est rien : seul l'amour peut payer l'amour. L’amour demande certes une compensation, mais aussi il exige aussi que celle-ci soit d’amour. De toutes les dettes, la dette d’amour est la seule qui se paie avec la monnaie même qui a servi à la contracter. Je te donne exactement ce que je souhaite recevoir de toi.

Oui, mais si je te donne 10 euros, pour que tu me donnes en échange 10 euros, c’est complètement idiot. Mais ce qui serait absurde en terme de transaction économique sert précisément de fondement à l’amour. Et comme le dit notre auteur, c’est à cela justement que l’amour se reconnaît.

Voilà. Reste un problème, c’est que comme le chante Carmen, l’amour n’a jamais connu de lois. Pas même celle de l’échange.

C’est que l’échange n’est pas approprié à cette situation. L’amour est l’occasion non d’un échange, mais d’une réciprocité. Je m’échange pas mon amour contre de l’amour, mais celle que j’aime est telle qu’elle ne peut que m’aimer.

Sinon ? Sinon elle cesse d’être ce qu’elle doit être et on change d’opéra. Nous voici chez Verdi, avec Othello.

Tuesday, April 20, 2010

Citation du 20 avril 2010

Ces sortes d'éphémérides écrites n'entreraient pas utilement dans la place d'une bonne vie, où l'oubli est aussi nécessaire que le souvenir.

Joubert – Carnet (11 septembre 1805)

Ne s’agit-il pas pour Joubert de critiquer l’usage de rédiger un journal intime dans ses Carnets, qui pourtant ne sont rien d’autre ? Sans doute faut-il tenir compte de la différence entre un journal intime où l’on écrit les évènements de sa vie et les sentiments qui vont avec, et des Carnets où l’on rédige ses pensées du jour, qu’il s’agisse de joies ou de déceptions, mais aussi de considérations sur la politique ou sur le pape.

L’essentiel n’est pas là. Il tient dans cette remarque : l'oubli est aussi nécessaire que le souvenir.

Se souvenir est parfois inutile, parfois aussi c’est un malheur. Qui donc pourrait croire sincèrement que conserver la mémoire de tout ce qui nous arrive est utile à la vie ? C’est pourtant ce que je fais mine de croire en rédigeant mon journal avec, au jour le jour, tout ce qui se passe et qu’on aurait bien vite oublié sans cela.

Bien entendu cette remarque de Joubert n’a d’intérêt que dans la mesure où elle concerne des évènements importants, et non des faits insignifiants (1). Mais qu’il y ait des évènements importants, comme des victoires ou des échecs, des trahisons ou des ruptures dont le souvenir risque de nous porter préjudice plutôt que de nous renforcer – ou du moins de nous indiquer le cap à suivre – voilà qui peut étonner. Mais ce n’est pas parce que c’est étonnant que ça n’existe pas.

Car c’est bien cela que Nietzsche ne cesse de nous répéter : la mémoire est la vertu du ruminant, et non celle de l’homme – surtout s’il aspire à se dépasser lui-même. Et je crois bien que tous les créateurs, les artistes le diront : créer, c’est oublier – sans quoi comment pourrait-on imaginer une œuvre neuve ?

(1) C’est ainsi qu’on reproche à Louis XVI d’avoir écrit dans son journal à la date du 28 juin 1791 : J’ai pris du petit lait. Il venait juste d’être ramené à Paris après avoir été arrêté à Varennes.

Monday, April 19, 2010

Citation du 19 avril 2010

Un homme avait le numéro de loterie 60 015. Le 60 016 sortit. Cet homme crut avoir été près de gagner.

Tout le monde en toute occasion pense de même. J'ai failli tomber, mourir, faire fortune. L'histoire est pleine de ces raisonnements.

Paul Valéry – Mélanges.


C’est vrai que c’est rageant de rater le gros lot à un chiffre près. Surtout quand ce chiffre est le dernier et qu’on a cru être le gagnant jusqu’à l’ultime moment. Car ce qu’on perd c’est l’espoir, un espoir qui grandissant d’instant en instant avait fini par se muer en certitude.

- Plus encore : le raisonnement du joueur est qu’il a perdu au chiffre des unités près – et non à celui des centaines ou des milliers. Exemple : que le nombre gagnant soit le 70015, plutôt que le 60016, et voilà notre joueur moins déçu : il a perdu 10000 près. La loterie sert aussi à révéler ce genre de raisonnement.

Toutefois, qu’on perde à un chiffre près ou à dix chiffres près, quelle différence ? De toute façon on a perdu.

Exemple plus élevé ? On attendait Grouchy et ce fut Blücher : Napoléon a failli vaincre à Waterloo. L'histoire est pleine de ces raisonnements.

On refuse donc la logique du tout ou rien. C’est justement au déni de cette évidence que Valéry s’intéresse : on raisonne ici non pas dans le tiers-exclu (je gagne ou je perd, il n’y a pas d’autre possibilité), mais dans une gradation qui nous console d’avoir perdu. J’ai perdu, oui, mais j’ai failli gagner – il s’en est fallu d’un poil !

Le plus étonnant est que ce soit là un sophisme que tout le monde répète.

Tout le monde ? Est-ce si sûr ?

Demandons aux compétiteurs, aux sportifs de haut niveau ce qu’ils en pensent : « il n’y a que la victoire qui est jolie » disent-ils.

Quoique… Demandez aux rugbymen qui ont perdu dimanche dernier à un point d’écart (1) ce qu’ils en pensent. Est-ce que la douleur de la défaite n’était pas plus cuisante que s’ils avaient perdu de 25 points ?


(1) C’était 29 à 28.

Sunday, April 18, 2010

Citation du 18 avril 2010

Théoriquement, il existe une possibilité de bonheur parfait : croire à ce qu'il y a d'indestructible en soi et ne pas s'efforcer de l'atteindre.

Franz Kafka – Préparatifs de noces à la campagne


Possibilité d’atteindre le bonheur parfait : c’est bien.

Oui, mais possibilité « théorique » : ça introduit comme un doute.

Voyons ça :

- D’abord, l’idée est simple. Comme on l’a vu ici même, le bonheur suppose la plénitude de la satisfaction de nos penchants, besoin, désirs, etc. plus la certitude d’en jouir indéfiniment. C’est donc une illusion, sauf 1) si nous sommes immortels ; 2) si la vie éternelle qui nous attend est une vie de félicité ; 3) si le monde est machiné par un Etre Supérieur et bienveillant pour répondre à nos désirs. Comme le dit Kant, dans ces conditions, tout ce qu’on peut faire ce n’est pas se rendre heureux, mais se rendre digne d’être heureux.

- Maintenant Kafka nous dit : ne parlons pas d’immortalité, parlons d’indestructibilité – c’est pareil, mais ça fait moins théologique. Donc, puisque vous avez besoin d’être indestructible, le mieux est d’y croire, mais de ne surtout pas tenter de vérifier. D’ailleurs il ne nous est peut-être même pas nécessaire d’être totalement indestructible. Que seule une partie de nous même le soit, et ce sera déjà bien. Ainsi, on peut avoir aussi une volonté indéfectible, un amour indestructible, voire même un génie impérissable.

Bien, tout cela croyez-y ; faites en comme on dit parfois votre statue intérieure, et puis n’en doutez plus.

Seulement voilà : le doute justement risque de s’insinuer à tout moment. Vous n’allez peut-être pas vous demander si vous êtes immortel, mais plutôt si Dieu vous aime suffisamment pour vous sauver ; ou pire encore : si Dieu existe. Et si Dieu n’existe pas, il vous reste à croire en vous. Oui, mais, si vous croyez en votre volonté, vous risquez de mal vivre les jours d’abattement et d’exténuation de vos forces ; et même chose si vous vous êtes voué à une tâche par vocation, par amour, etc…

Ne pas douter de nous. Voilà le secret du bonheur.

Façon de dire qu’il n’y a que les imbéciles qui puissent être heureux.

Saturday, April 17, 2010

Citation du 17 avril 2010

L'amour, c'est que tu sois pour moi le couteau avec lequel je fouille en moi.

Franz Kafka – Lettre à Milena

On comprend un peu que la liaison entre Franz Kafka et Milena Jenska n’ait pas duré très longtemps, mais l’ironie serait ici totalement déplacée. Car ce dont il s’agit, ce n’est pas d’une conception de l’amour, mais bien d’une philosophie de la vie. Pour Kafka, vivre, c’est comme il le dit ailleurs : croître de l’intérieur vers l’extérieur (1). Il ne s’agit pas simplement de mettre ses tripes sur la table (comme Céline), mais de porter à l’existence ce que l’on a enfoui en soi.

Dit comme ça, ça n’a rien d’inquiétant. Et pourtant…

Pourquoi doit-il fouiller avec un couteau en lui-même, dans ses entrailles ?

Et surtout pourquoi faut-il que ce soit l’amour qui opère ce travail de boucherie ?

Pour Kafka, à l’intérieur de soi il ne règne que les ténèbres et rien de ce qui existe dans ces abysses ne parviendrait à la surface sans un effort particulier, qui appelle des circonstances exceptionnelles. Passons sur celles qui sont en liaison avec la création littéraire ou poétique. Mais l’amour est aussi une de ces circonstances.

L’amour joue ici comme révélateur, comme un regard lucide – extra-lucide même. En face de l’être qui nous aime (car c’est de cela qu’il s’agit : Kafka nous parle non pas de la femme qu’il aime mais de celle qui l’aime, lui, Franz Kafka), point de replis, point d’intériorité. Son regard fouille au plus profond de notre âme.

– Comme Dieu-qui-voit-tout si nous sommes croyant.

– Comme un couteau si nous sommes Kafka.



(1) La croissance de l'homme ne s'effectue pas de bas en haut, mais de l'intérieur vers l'extérieur.


Thursday, April 15, 2010

Citation du 16 avril 2010

Un pour tous, tous pour un !

Alexandre Dumas – Les trois mousquetaires. (1)

La solidarité n'existe pas : n'existe qu'une coalition d'égoïsmes. Chacun reste avec les autres pour se sauver soi-même.

Francesco Alberoni – Vie publique et vie privée

Un pour tous : OK, pas de problème… Paye tes impôts vieux frère.

Tous pour un : non mais dis donc ? Tu voudrais pas qu’on te paye ta retraite comme ça, pendant 45 ans ? Paresseux ! Parasite !

C’est devant cette évidente mauvaise foi que le scepticisme, pour ne pas dire le pessimisme prolifère.

Pourtant du cœur de ce désenchantement vient parfois une petite musique d’espérance :

- solidarité, coalition d’égoïsmes… Oui, mais solidarité quand même !

- Chacun reste avec les autres pour se sauver soi-même… Oui, mais on reste ensemble quand même.

Le bon angle pour aborder cette question serait de ce point de vue non pas l’angle moral, ni même celui de la citoyenneté avec ce que ça charrie de bien pensance – mais bien celui du pragmatisme (excusez-moi de suivre la mode : c’est pour faire court, mais j’aurais pu aussi écrire utilitarisme). On a développé souvent cette idée avec la notion de contrat social. Peine perdue : là encore, nul contrat ne tiendrait si l’intérêt privé n’était d’instant en instant présent avec évidence dans la politique sociale ou économique.

En France les socialistes revenant au pouvoir après 1981 on cru bon de mettre l’idée de solidarité au cœur de leur politique. La réalité avec les coups de boutoir des crises pétrolières et autres ont mis en pièce ce bel idéal.

Oui, mais… Ce qu’une crise emmène, une autre peut le ramener. Voyez un peu : quand on dit que le « bouclier fiscal » c’est un peu de la solidarité des pauvres vis-à-vis des riches, on entend un peu partout : Solidarité ? Banco ! Faisons un impôt sur la fortune spécial pour le financement des retraites. Histoire de montrer que la solidarité, oui, ça existe – mais pas à sens unique.

Et Hop ! Bye-bye le pessimisme.


(1) Unus pro omnibus, omnes pro uno – C’est aussi la devise nationale, quoique non officielle, de la Suisse. J’ai cru comprendre que c’était une formule très répandue au XIXème siècle, de sorte qu’il est oiseux de se demander si c’est Dumas qui a copié les Suisses, ou les Suisses qui ont copié Dumas.

Wednesday, April 14, 2010

Citation du 15 avril 2010

La religion fait partie de la culture, non comme dogme, ni même comme croyance, mais comme cri.

Maurice Merleau-Ponty – Sens et non sens

Que la religion soit l’expression d’une souffrance, ce n’est pas une idée nouvelle. Marx en avait dit autant (voir ceci), même si pour lui elle était plus un soupir qu’un cri. Après tout c’est une affaire de degré.

Par contre, là où Marx voit un effet d’idéologie, qui cantonne la religion au domaine des superstructures soumises aux impératif de l’économie, Merleau-Ponty voit une élément constitutif de la culture. Et ce n’est pas une mince différence.

Si la religion est une idéologie, elle n’a pas d’autonomie ; lorsque les infrastructures changent, les superstructures idéologiques changent également. Pour dire les choses plus simplement, la religion disparaîtra spontanément – comme l’Etat – quand l’ordre communiste aura mis en place la société sans classe. La religion n’ayant d’autre utilité que de consoler l’homme de ses misères terrestres, elle disparaîtra avec l’exploitation de l’homme – comme n’ayant plus de raison d’être.

Merleau-Ponty semble bien avoir ici une autre approche : comme élément culturel, la religion est constitutive de l’humanité. Il peut y avoir différentes religions comme il y a différentes cultures. Mais il ne peut y avoir de cultures sans religions. Quand les portugais ont découvert ce qui allait être le Brésil ils ont été bien étonnés : les indiens Tupis n’avaient selon eux pas de religion, c'est-à-dire par d’églises, par de rites pas de prêtres. Mais les récits des voyageurs de l’époque montrent bien que ce qu’ils n’avaient pas perçu, c’étaient les formes originales prises dans ces cultures indigènes par la religion.

Pour en revenir à la déclaration de Marx, on se rappelle que Staline, irrité que le peuple préfère l’opium de la religion à l’avenir radieux qui lui était promis, a fait fermer les églises.
Mais je crois qu’il avait été comme Marx un peu abusé par son optimisme révolutionnaire : car même dans la société sans classe les hommes continueront à mourir, et ils continueront à préférer l’immortalité.

Tuesday, April 13, 2010

Citation du 14 avril 2010

Nier en criant est encore une sorte d'aveu puisqu'on ne crie pas en face de l'indifférence.

Lars Gyllensten – Infantilia

Eviter la banalité dans l’évocation d’une citation, c’est souvent s’y reprendre à deux fois (ou plus) pour la lire.

Car la première réaction face à cette citation, c’est de considérer que l’on y parle de l’excès de force de la voix, quand la force des idées est défaillante. Un peu comme dans les mails on emploie les MAJUSCULES pour accentuer une pensée qui ne s’impose pas d’elle-même.

Mais relisons la citation du jour : on ne crie pas en face de l'indifférence. Il ne s’agit pas de la réaction de l’interlocuteur : l’indifférence dont on parle n’est pas la sienne ; elle n’est pas non plus la notre – bien évidemment. Non, je dirais plutôt que l’indifférence serait celle de l’insignifiance. Il s’agit de propos qui laissent indifférent.

Si je crie pour repousser une accusation par exemple, c’est que celle-ci n’est pas insignifiante, c’est qu’elle me touche – comme on dit : il n’y a que la vérité qui blesse. C’est alors qu’elle est un aveu, un indice de l’importance prise pour moi par cette attaque. Ne pas protester en criant, c’est faire comprendre que l’accusation dont on est l’objet est réellement sans importance.

On peut dire alors que la réponse est plus instructive que l’attaque, puisqu’elle donne un indice valable de la réalité du sujet mis en question.

Bien sûr, nous autres en France, nous pensons aux rumeurs dont la vie privée de Notre-Président a été récemment l’objet (1). Et combien nous avons tous été frappés de la réaction des conseillers du Président – et jusqu’à son épouse : en voilà qui ont crié très fort…

On s’est dit « Tiens, mais c’est donc si important ? On n’avait pas remarqué… »


(1) Rumeurs relayées il faut le dire par les medias américains

Monday, April 12, 2010

Citation du 13 avril 2010

Quand je suis né, j'ai crié ; ébloui par la lumière j'ai crié. / Chassé du ventre de ma mère, pour le meilleur ou pour l'enfer.

Jean-Louis Aubert – Paroles de la chanson Le vaudou

Hé bien, je ne parlerai pas de cette chanson que je ne connais pas mais plutôt du cri que le nourrisson pousse en naissant : ce cri qui a fait l’essentiel de la thérapie dite du Cri Primal©, et l’objet d’un livre qu’on doit trouver encore aujourd’hui dans toutes les bonnes librairies. (1)

pour le meilleur ou pour l'enfer … Il faudrait savoir quand même. C’est vrai, je ne connais pas bien la chanson de Jean-Louis Aubert, mais je trouve que cette petite citation en dit trop ou pas assez : que signifie le cri du nourrisson à sa naissance ?

- S’agit il comme on le croit souvent d’une simple décompensation thoracique, que c’est donc simplement l’effet du déploiement des poumons qui se remplissent pour la première fois d’air ? Ce cri serait un indice de respiration, mais il n’aurait pas de signification à proprement parler.

- Mais le Docteur Janov, lui, il en sait plus. Le cri Primal© dit-il, est l’expression de l’angoisse vécue par l’enfant quand il passe par l’étroit pertuis de la matrice et qu’il se ramasse en plein dans la figure la lumière ces scialytiques.

Et comment il sait ça le Docteur Janov ? Tout simplement parce que ses patients lui ont dit. Vous aussi faite l’effort de vous rappeler votre naissance. Au bout d’un certain temps, et si vous êtes suffisamment concentré, vous allez ressentir à nouveau l’effet anxiogène du passage du col (de la matrice) – un peu comme quand vous enfilez un pull à col roulé trop étroit.

Alors il ne vous reste plus qu’à aller dans un endroit un peu à l’écart, et à pousser ce fameux cri Primal©, celui qui va vous faire sortir de la crainte et du tremblement.


(1) C’est le Docteur Arthur Janov qui est l’auteur du Cri Primal© - expression qu’il a fait breveter. Je n’ai jamais très bien compris, mais je crois qu’il faut payer des droits pour utiliser le mot « primal ». Payer des taxes pour utiliser un mot ! Ce qui signifie que quelqu’un a la possession d’un mot. Comme Monsantos a la possession du génome du je ne sais combien de plantes. Dans quelle époque vivons-nous…

Rectificatif - Tout compte fait c'est l'expression Thérapie primale qui est une marque déposée. Dont acte.

Sunday, April 11, 2010

Citation du 12 avril 2010

Ce sont les paroles les moins tapageuses qui suscitent la tempête et les pensées qui mènent le monde viennent sur des pattes de colombe.

Nietzsche – Le gai savoir

Les colombes ii

Et revoici nos charmantes colombes, toujours symbole, toujours positif.

La patte de la colombe, symbole de paix est devenu, sous la plume de Nietzsche symbole de légèreté – voire même de fragilité.

Laissons de côté la surdétermination sémantique de la colombe, en n’en finirait pas d’énumérer tous les sens qu’elle a pu prendre. Remarquons tout de même que les pattes de colombes sont moins repoussantes à évoquer que celles de la mouche.

Attachons-nous plutôt au sens de cette citation. Pensons ici aux déclarations ronflantes des politiques. Bien sûr ce sont peut être des vociférations haineuses et postillonneuses comme celles de Hitler.

Mais ce sont peut-être aussi les discours définitifs sur la volonté de paix, sur les réformes économiques, sur la justice sociale. Nietzsche nous dit : méfiez-vous de toutes ces paroles tapageuses – ce sont les plus insignifiantes. C’est dans le minuscule et l’à peine audible que se trouve le plus signifiant.

On a l’habitude d’opposer les paroles aux actes. C’est même une banalité, que nos syndicalistes nous rappellent à chaque négociation.

On compare aussi habituellement les paroles à du vent – flatus vocis. Un peu d’air remué par nos lèvres, ce n’est rien de plus.

On oppose à ça les énoncés performatifs dont on a eu déjà l’occasion de parler – on n’y reviendra pas. (1)

La nouveauté ici, tient dans ce que la parole n’est sincère que quand elle n’a pas la prétention de remplacer les actes, et qu’elle n’est efficace que si elle agit en dehors de toute prétention à avoir une valeur de représentation.

A notre époque où les Grands Communicants sont devenus les Conseillers du Prince – sinon le Prince lui-même, il serait bon de ne pas oublier les pattes de la colombe.


(1) Sur les performatifs et aussi sur la puissance du murmure, voir ici.

Saturday, April 10, 2010

Citation du 11 avril 2010

Définition :

Cataglottisme mmmnnnn... – Selon le Petit Lexique Perecquien : Donner un baiser lascif à la manière des colombes.

Liste de baisers – À voir ici

[Selon les théologiens du XVIIIème siècle] tout baiser déshonnête constitue un péché mortel car il tend par nature à la copulation. Cela est vrai particulièrement du « baiser à la colombe », c’est-à-dire de celui qui implique l’introduction de la langue…

Alain Corbin – L’harmonie des plaisirs (p. 380)

Les colombes i

Le 21 mars 2007, j’évoquais la continence des tourterelles, proches cousines des colombes.

Force est de le constater : ces dernières ne bénéficient pas, quant à elles, d’une aussi bonne réputation.

C’est pourquoi, dans son souci de rigueur et de vérité, La Citation du jour brise un tabou : la colombe est aussi symbole de licence et de stupre. Désolé pour tous ceux qui voient en elle un symbole de pureté et d’amour sans tache (1), mais je ne pouvais me résoudre à vous laisser dans cet état d’ignorance.

Bref : le baiser à la colombe, ce n’est surtout pas le baiser de la paix, comme certains l’ont cru (même si ce baiser est celui que Doisneau a immortalisé lors de la Libération de Paris). Comment ces innocents oiseaux ont-ils pu devenir un tel symbole, je ne sais. Comment a-t-on pu imaginer que le rapprochement de leurs becs correspondait à cette dégoûtante intromission ? (2)

Reste que selon les inflexibles confesseurs du XVIIIème siècle, même le baiser peut constituer un péché mortel, et que l’amour n’y change rien. Et que les colombes y soient ou non pour quelque chose n’y change rien non plus.

Je vous sens un peu réticent… Allez, comme c’est dimanche, je vais me faire pardonner, en vous offrant un retour à l’espérance et à la poésie : Mireille Mathieu vous chante Mille colombes.

Délices…


(1) Les mots me manquent pour décrire la façon dont cette pauvre mère inconsolable depuis la mort de son enfant, couvre ses pages Blog de colombes scintillantes volant dans le ciel bleu. Allez voir par vous mêmes.

(2) Quant on parle des amoureux qui se bécotent sur les bancs publics, on ne pense pas tout à fait à ça. C’est bien sûr à Brassens qu’on pense ici.

Friday, April 09, 2010

Citation du 10 avril 2010

Un dé ! J’ai trouvé un nouveau dé dans la peinture ! Petit bonheur de blogueuse-couturière !

Doudou – Le bloghaus de Grillon du foyer (à propos de ce tableau de Gauguin, Suzanne cousant nue)

Suzanne cousait-elle vraiment toute nue, ou est-ce un fantasme d’artiste ?

Doudou - Idem


Alors, oui, dites moi : est-ce que cette Suzanne (dont on nous dit qu’elle était la baby-sitter des enfants de l’artiste) cousait toute nue ou bien est-ce ce cochon de Gauguin qui a pris son pied en l’imaginant ainsi ?

Evidemment, je ne sais pas tout, mais à voir les toiles de l’époque qui montrent une femme – une ouvrière si possible – lavant sa chemise, toute nue parce qu’elle n’en a qu’une et rien d’autre à se mettre sur le dos, on se dit que c’est pareil ici. Suzanne a perdu un bouton et elle enlève sa chemise, elle met son dé, elle recoud le bouton – et puis elle remet sa chemise. Voilà tout…

L’autre observation que fait Doudou, c’est le détail qui fait vrai : Suzanne a mis un dé pour coudre. Ça, l’artiste ne l’aurait jamais imaginé s’il ne l’avait pas vu, on peut le croire.

On se demande pourtant si Doudou ne s’est pas abusivement focalisée sur ce détail omettant que tout de même, l’œil peut jouir de l’anatomie de la demoiselle.

Le dé à coudre est-il un détail significatif ? Et si oui, quelle est sa signification ?

On l’a dit, en peinture il y a des détails qui ouvrent une perspective complètement nouvelle par rapport au sujet principal traité par le tableau (1). Pourtant, ici, rien de tel. Le détail est au contraire destiné à renforcer le propos du sujet, à lui donner plus de réalisme.

Le dé à coudre, ça n’a d’importance que pour nous dire : « Voyez : je ne peins pas une femme à poil ; je peins une femme entrain de coudre. C’est le dé qui est important, et c’est le reste qui est détail. »

C’est donc Doudou la bloggueuse-couturière qui a raison.


(1) Voir Post du 11 août 2009