Wednesday, March 31, 2010

Citation du 1er avril 2010

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La mer c'est dégueulasse, / Les poissons baisent dedans !
Renaud –Dès que le vent soufflera (Paroles Vidéo)
1er avril – Journée mondiale du poisson.
Je m’étonne que tant de gens se désespèrent d’apprendre que les Japonais ont torpillé les accords internationaux visant à préserver de la sur-pêche un certain nombre d’espèce de poissons.
La mer ne serait-elle pas bien plus agréable sans ces animaux dedans ? La chanson de Renaud nous le rappelle : les poissons polluent la mer, et de multiples façons que je ne raconterai pas ici pour éviter de vous gâcher la digestion.
Beaucoup de gens conservent des poissons vivants chez eux. Innocente manie tant qu’ils restent enfermés dans des bocaux de verre. Mais certains ont été jusqu’à vouloir les apprivoiser en raison de leur nature silencieuse : en voilà qui ne nous coupent pas la parole quand nous parlons. Ce sont de gentils animaux de compagnie, et en plus ils n’ont pas la fâcheuse habitude de mordre le facteur, ni de faire du gâchis quand vient la saison du rut.
Mais, on oublie trop souvent que tous ces poissons véhiculent des maladies dangereuses pour l’environnement et pour nous mêmes. C’est pour cela que certaines municipalités ont pris des mesures afin d’éviter des rencontres inopinées entre les promeneurs et des poissons de compagnie le long des berges des rivières.

Tuesday, March 30, 2010

Citation du 31 mars 2010

Quand vous verrez la lumière au bout du tunnel, priez pour que ce ne soit pas le train.

Daniel Lemire

Quand on parle de la lumière au bout du tunnel, on s’imagine être quelqu’un comme un piéton qui avance dans un boyau interminable, et qui guette la lumière indiquant qu’il va bientôt en sortir.

De quelle lumière s’agit-il ? La lumière est-elle toujours l’indice du retour à la vie ? C’est ce sur quoi notre humoriste québécois attire notre attention : il y a lumière et lumière…

- Toute la question est de savoir si c’est la lumière du jour – indice de sortie – ou une lumière sui generis indice de rien du tout de rassurant.

Cela nous rappelle que le tunnel génère une angoisse particulière propre habituellement à la claustrophobie. La lumière n’a rien à y voir : dans un ascenseur éclairé, le claustro s’évanouit tout autant.

Nous voilà donc à attendre la lumière comme dans l’ascenseur on attend que la porte s’ouvre : pour en sortir. L’obscurité qu’elle vient trouer est celle de l’enfermement. Enfermement sous des kilomètres de rocher, ou d’eau. Le tunnel a toujours une même caractéristique, qui est d’être souterrain. C’est en fait ça qui fait problème.

Certains sont sous-marins – mais ça ne change rien. (1)


(1) Tiens pendant que j’y suis : voilà le canular de 1er avril au quel vous allez échappez demain.

(2) Vous avez aussi échappé au tunnel circulaire dans le quel la lumière vient du carambolage des protons... Mais ça ce n'est que partie remise.





Monday, March 29, 2010

Citation du 30 mars 2010

Lorsqu'on nous dit que nous sommes dans la civilisation de l'image, on commet une erreur : en fait nous sommes dans une civilisation de l'audiovisuel (ou l'audiovisible) c'est-à-dire d'une domination de l'image parlante.

Paul Virilio – interview avec Pierre Boncenne - Le Monde de l'éducation - Mai 2001


Qui donc peut prétendre que l’image « parlante » nous domine plus que l’image « muette » ?

Certes, je l’admets sans peine, si les images racontent une histoire, alors le mieux serait qu’on leur laisse la parole, sans interférer avec (1).

Mais il se peut aussi que les images provoquent une réaction affective qui n’accède pas à la claire conscience faute d’être formulée dans un énoncé explicite. Ne doutons pas que leur puissance soit décuplée par cette action souterraine que ni la conscience, ni la raison ne peuvent appréhender.

Exemple ?

Voyez cette image publicitaire (à gauche) : l’attitude de la miss de chez Dior est un peu étrange : ce déhanchement fait songer à un rythme danse ou à une attitude de musicien (un peu comme un guitariste sans guitare). Mais sa main plaquée sur son entre jambe : est-elle là pour qu’on la regarde, ou bien pour la cacher ?

Voyez maintenant l’image de droite qui lui ressemble passablement : « Fendue – Défendue » nous dit-elle. Combien la Miss de Miss.Tic est plus éloquente – combien elle éclaire notre réaction devant la Miss-Dior. Celle-ci n’est en fait qu’une allumeuse. Elle cherche par son déhanchement et son costume rouge à nous exciter, mais en même temps, de sa main refermée sur son sexe elle nous dit : On ne passe pas – à moins de forcer le passage.

Sauf qu’elle ne le dit pas.


(1) C’est ce que j’ai souhaité faire dans cet excellllent Blog que j’ai intitulé « De l'image à la parole ». Mais on était alors loin de l’audiovisuel.

Sunday, March 28, 2010

Citation du 29 mars 2010

Créer c'est résister. J'ai résisté à tout sauf à l'amour parfois et à l'humour jamais.

Miss.Tic, « Il ne faut pas se voiler la postface… », in Re Garde Moi

L’acte de résistance, il me semble, a deux faces : il est humain et c’est aussi l’acte de l’art. Seul l’acte de résistance résiste à la mort, soit sous la forme d’une œuvre d’art, soit sous la forme d’une lutte des hommes.

Gilles Deleuze / Qu’est-ce que l’acte de création ? Conférence donnée à la Femis -17/05/1987

Qu’est-ce qui nous reste à faire, à nous, qui avons renoncé à faire la révolution (1) ?

Il nous reste l’art, ou plutôt la création artistique (2).

C’est ce que nous dit Deleuze, et c’est ce que nous répète Miss.Tic (qui décidément à d’excellentes lectures).

C’est vrai que la création ne peut pas résider seulement – voire même pas essentiellement – dans la création de beauté, ni même pas dans l’immortalité qu’elle pourrait conférer à son auteur.

La résistance dont on parle, c’est la résistance à la « société de contrôle » dont Foucault a fait la théorie et que Gilles Deleuze reprend à son compte.

Je ne suis pas sûr de pouvoir rendre compte ici de la richesse de la pensée de Deleuze là-dessus. Mais je crois qu’il faut surtout éviter de croire que le contrôle dont on parle concerne essentiellement le flicage des individus, leur surveillance style Big-Brother, avec caméras et GPS embarqué. Non. Le contrôle, c’est la norme à la quelle les gens sont sensés se plier – mieux même : c’est la norme à la quelle ils exigent eux-mêmes d’être assimilés. Deleuze donne comme exemple de contrôle l’école qui devient un lieu de formation et qui formate les enfants selon les exigences d’un métier – au lieu d’être un endroit où l’esprit se développe en vue d’une pensée libre… et créatrice.(3)

Nous voilà revenu à la création et donc à l’art. L’art c’est le moyen de sortir du troupeau, avec l’exigence de ne pas se perdre dans la médiocrité.


(1) C’est la question que nous posions le 15 mars dernier

(2) Si le mot « art » vous gêne, gardez seulement celui de création. Ça ira bien comme ça.

(3) Précisons que l’on prend l’école ici au sens d’institution qui prend en charge l’éducation – et l’instruction – des enfants et des adolescents, autrement dit on vise ici, au-delà de l’école primaire, les collèges et les lycées.

Saturday, March 27, 2010

Citation du 28 mars 2010

Recevoir un grand nombre de journalistes est un plaisir. Un petit nombre un ennui. Un seul d'entre eux : un supplice.

Charles de Gaulle

Quand il y a un ça va... C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes!

Brice Hortefeux (Propos off lors de l’université d’été de l’UMP)

Qui a tort, qui a raison ? Les deux mon Général !

J’ai lu quelque part que le vol des criquets se déclanchait quand il y a avait une certaine densité de ces insectes sur un territoire. Autrement dit, le nombre détermine le comportement – voire la nature – des individus. D’où ces propos sur les journalistes et sur les arabes – heu, non : les corréziens.

Faute de faire un exposé sur les vols de criquets, je me contenterai de cette question : le nombre, qu’est-ce que ça change dans les rapports humains ?

Je suis sûr que vous, mes chers lecteurs, vous avez une réponse à donner… mais en votre absence permettez que j’occupe le terrain.

- Le nombre – le grand nombre – efface l’individu pour mettre à sa place le peuple – ou la race. Tel est le sens de la remarque de Brice Hortefeux, qu’on a eu vite fait de cataloguer dans le clan des racistes. C’est aussi ce qu’on a remarqué dans le passé, principalement à propos des juifs. Il y a avait des juifs admis au plus haut rang de l’Etat – les juifs de cour – en raison de leur richesse il est vrai, mais quand même. Les pogromes, c’était pour le quartier, où la ville. Bref, c’était pour le peuple.

Dans cette perspective, le raciste se reconnaît à ce qu’il rejette l’individu pour son appartenance à un groupe au quel on l’identifie.

De ce point de vue Brice Hortefeux n’est pas raciste (heu… disons pas trop raciste).

- D’autre part, le nombre, ça éloigne les gens, ça les met à distance en les confondant en une masse confuse. L’individu seul est beaucoup plus proche de nous que la foule. Il est plus facile – je suppose – de larguer des bombes sur une ville que d’étrangler de ses mains un seul individu.

Le Général n’aimait pas les journalistes – du moins on peut le supposer. Les rencontrer en troupeau, parqués dans la grande salle de l’Elysée lors d’une conférence de presse, ça va. Par contre la conversation au coin du feu, qui rapproche de l’individu, qui expose à son regard, voilà le supplice.

Friday, March 26, 2010

Citation du 27 mars 2010

Quand Maurice [Merleau-Ponty] est saoul, il veut baiser sur l'heure et adresse ses vœux à 3 ou 4 femmes différentes qui le repoussent - non qu'il déplaise mais il semble trop expéditif ­– alors il voit rouge et frappe.

J-P Sartre - Lettre au Castor Mardi 18 [printemps] 1948


Ah… L’urgence génitale, que d’excès elle fait commettre…

Nous parlerons ailleurs du cas général des messieurs - ici on se contentera du cas des philosophes (1).

Merleau-Ponty : voilà quelqu’un qui n’a pas la mine réjouie et rubiconde d’un jouisseur (cf. photo jointe) : et pourtant s’il faut en croire Sartre, il connaissait lui aussi l’impériosité du sexe.

Le plus drôle finalement, ce n’est pas que les philosophes eux-même connaissent l’appel de la chair. C’est plutôt que ça leur arrive alors qu'il ont la prétention de dominer leur conduite en l’alignant sur des valeurs qu’ils jugent universelles.

Car voici que Sartre rapporte dans la même lettre les propos de Merleau-Ponty pour justifier son comportement violent : « Après tout, j'ai 43 ans et je suis professeur de morale. Je dois leur enseigner à vivre. » On croit entendre le rire de Sartre au moment où il écrit ça au Castor.

Oui, mais qui donc passait pour être un tyran moral pour ses compagnons de chambrée lorsqu’il était cantonné en 1940 en Alsace ?


(1) « le cas des philosophes » : sans jeu de mot.

Thursday, March 25, 2010

Citation du 26 mars 2010

Il faut des châtiments dont l'univers frémisse ; / Qu'on tremble en comparant l'offense et le supplice.

Racine – Esther

Elle était déjà au nombre des Bienheureux collée sur un gril brûlant, les seins posés sur un plateau à côté. Allez-y, servez-vous !

Elfriede Jelinek – Enfants des morts, p. 392


Attention – Ce post contient des images qui peuvent choquer les âmes sensibles.


Qu’est-ce qui justifie les supplices ? Rien du tout ? Sans doute. Mais n’oublions pas qu’ils ont été longuement justifiés, par des siècles entiers d’argumentations juridiques.

L’idée qui a prévalu, c’est que leur horreur devait édifier la foule, donc empêcher le crime, et pour cela être cruels et publics. L’exemple souvent cité est le supplice de Damien, le régicide qui tenta de supprimer Louis XV. Michel Foucauld ouvre d’ailleurs son livre sur les supplices et la prison par ce récit.

Le supplice devait répondre à deux exigences : être proportionné au crime (1) – mais proportionné ne signifie pas égal ni identique, puisque – seconde exigence, il devait aussi être suffisamment cruel pour effrayer ceux que ce méfait aurait pu tenter.

Voilà en tout cas ce que nous dit Racine.

--> Or, il semble bien qu’il y ait un vieux malentendu sur la question. Le supplice n’est pas seulement une sanction juridique ; il est aussi jouissance pour celui qui l’inflige et pour celui qui en est spectateur.

C’est ce que souligne notre citation de Jelinek, qui fait allusion au supplice de sainte Agathe dont on a voulu châtier la pudeur en lui coupant les seins. N’est-ce pas un fantasme sadique qui se trouve activé par là ?

Déjà imaginer un supplice qui consiste à couper les seins d’une femme en dit long que l’érotique sous tendue. Mais il s’agit d’un fantasme peu réaliste, comme ceux qu’on trouve à longueur de pages chez Sade.

On sait pourtant qu’un supplice plus conventionnel mais bien réel a existé comme nous l’explique Foucauld : le tenaillement des mamelles qu’on a fait subir au régicide Damien.

Alors, finalement,

- Que l’on ait coupés les seins de sainte Agathe pour les exposer sur un plateau (comme le montre ce tableau de Tiepolo),

- Ou qu’on lui ait tenaillé les mamelles – comme le montre cette œuvre de Piombo, voilà qui importe peu (du moins pour nous).Car dans les deux cas c’est de jouissance qu’il s’agit. (2)


(1) Voir aussi Montesquieu : C’est le triomphe de la liberté, lorsque les lois criminelles tirent chaque peine de la nature particulière du crime. – De l’esprit des lois, livre XII, chapitre 4.

(2) Dire que ça importe peu, c’est un peu léger. J’ai trouvé des recettes de pâtisserie qui permettent de fabriquer des petits gâteaux en forme de seins de Sainte Agathe

Wednesday, March 24, 2010

Citation du 25 mars 2010

Je voudrais, moi aussi, tout comprendre et tout sentir. Mais, pauvre escargot que je suis, l'horizon infini, que je ne touche pas, blesse mes cornes

Jules Renard – Journal, 1898, p. 485

Disproportion 2

Après l’homme qui se prenait pour un ver de terre (amoureux d’une étoile), voilà Jules Renard qui se prend pour un escargot …

Bizarre manie, n’est-ce pas ? Sauf que cet escargot là, il est un peu spécial : il tend ses cornes vers l’horizon infini. C’est curieux. Mais ce n’est pas tout : lorsqu’il se tend ainsi, cet infini qu’il ne touche pas, blesse ses cornes.

Un petit cours d’anatomie de l’escargot s’impose : l’escargot a l’estomac dans les pieds (1) ; il a un pénis et un vagin dans le cou. Et – surtout – il a des yeux au bout des cornes.

--> Notre auteur se sent donc blessé par la vue de ce qu’il en peut pas toucher.

Soyons sérieux, s’il vous plait. La puissance des images vient souvent du contraste qu’elles illustrent et que la réalité n’exhibe pas facilement.

L’image que nous proposons aujourd’hui est à double détente :

- d’une part, la disproportion de l’homme face à l’infini – thème pascalien, déjà illustré par le ver de terre de Victor Hugo.

- Et d’autre part voici que cet infini, bien qu’inaccessible, blesse nos yeux (= les cornes de l’escargot, promptes à se rétracter à la moindre souffrance).

Je suppose qu’on peut traduire cette citation de Jules Renard en décalant un peu son propos : l’« horizon infini » n’est pas à l’horizontal mais à la verticale. C’est l’horizon non pas terrestre mais céleste L’infini du ciel, je le vois et en même temps je ne le vois pas. Les cornes de l’escargot, si elles se replient de souffrance, c’est qu’elles ne peuvent toucher le ciel, trop loin, trop profond. Car, alors que j’imagine la distance du soleil par rapport à moi (2), le ciel limpide s’affiche comme une profondeur sans distance : je sais que je ne le toucherai pas en tendant la main ; et je sais aussi qu’en moi existe le désir de me l’approprier ne fut-ce que par l’imagination. Le rêve de vol participe de cela.

Mais hélas je ne suis qu’un pauvre escargot…


(1) Ça se discute me direz-vous ? Bon… Mais alors, dites-moi pourquoi on l’appelle un « gastéropode ».

(2) Quoique de façon erronée comme le montre Spinoza (cf. ici)

Tuesday, March 23, 2010

Citation du 24 mars 2010

Madame, sous vos pieds, dans l'ombre, un homme est là / Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ; / Qui souffre, ver de terre amoureux d'une étoile ; / Qui pour vous donnera son âme, s'il le faut ; / Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut.

Victor Hugo – Ruy Blas (vers 797 – Acte II, scène 2)

Disproportion 1

Le ver de terre amoureux d’une étoile… En dehors de la hardiesse de l’image (qui résulte de son caractère prosaïque dans une époque qui chérissait la préciosité du langage), on reste saisi de sa puissance évocatrice.

Car il ne s’agit pas seulement de la disproportion de taille, un peu comme on le faisait à l’époque de Pascal qui raisonnait sur l’infiniment petit en imaginant ce que les microscopiques cirons pouvaient voir. Il s’agit aussi de la disproportion dans l’ordre de la perfection, et c’est là que la mise en rapport de la terre, lourde et obscure, où gît le misérable ver et le ciel éthéré où scintille l’étoile prend tout son sens.

D’où vient donc la puissance de cette image, sinon de la disproportion ?

On pense généralement que de l’infini on ne peut rien dire : qui pourrait sans blasphème prétendre décrire l’immensité de Dieu ?

Par contre on se sent d’avantage capable de parler de la petitesse de l’homme en face de l’infini. Au lieu de décrire la sublime beauté de la Reine d’Espagne adorée de Ruy Blas, il suffit de dire ce qu’il est, mesuré à cette splendeur.

Si l’absolu nous échappe, alors tâchons de nous rabattre sur le rapport. Faute de décrire l’infini établissons la comparaison entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. Que le brillant Ruy Blas puisse devenir un simple ver de terre nous montre la grandeur de la sérénissime altesse.

Autrement dit – et c’est à cela que nous invite cette comparaison : au lieu de nous épuiser à parler stérilement de cet infini que nous n’imaginons même pas, montrons cet infini de grandeur par son effet sur notre propre dignité. L’humilité est la leçon que nous donne la grandeur … des autres.

Qu’on se rappelle aussi que c’était là l’essentiel que Kierkegaard assignait au stade théologique de l’existence. Apprendre à rire de soi devant Dieu, voilà ce qui importe.

Monday, March 22, 2010

Citation du 23 mars 2010

Il faut suivre la foule pour la diriger. Lui tout céder pour tout lui reprendre.

Antonin Artaud - Extrait des Lettres

La coutume est de considérer qu’entre la sagesse et la folie, il n’y aurait aucune différence, et que le sage comme le fou possèdent une science supérieure.

Si Antonin Artaud est bien l’emblème du fou délirant (ce qu’on peut contester si on conteste aussi la validité du terme de « fou »), alors cette opinion se trouve confortée par cette citation.

Car quelle sagesse dans ce précepte ! Quelle science de la politique – et pas de la politique entendue comme une généralité, mais bien de la politique que nous rencontrons dans les manœuvres contemporaines de nos dirigeants.

Que font nos dirigeants sinon nous demander de leur indiquer la route pour ensuite suivre celle qu’ils ont tracée eux même ? A quoi sert donc la démocratie de proximité, sinon à ça – je veux dire à ce subterfuge qui sert à accéder au pouvoir pour ensuite faire la politique favorable aux puissances économiques qui sont restées dans l’ombre.

Tout ça est bien connu, et la seule source d’étonnement est que nous soyons capable d’oublier cette vérité que nous rappelle Artaud.

Il y a pourtant une autre interprétation possible de cette phrase (de son début du moins : Il faut suivre la foule pour la diriger) : on la trouve chez Platon, avec sa description de l’homme tyrannique (1). On y voit le tyran (il s’agit dans l’esprit de Platon de quelqu’un qu’on nommerait aujourd’hui un populiste) se laisser dominer par ses passions criminelles et débridées, et donner au peuple le déplorable exemple qu’il est invité à suivre. Au point que les hommes vertueux qui tenteraient de résister à cette corruption généralisée seraient emprisonnés, et par une singulière inversion de valeur c’est eux qu’on considérerait comme des criminels.

Voilà en quoi consiste le pouvoir tyrannique : il ne s’agit pas d’un pouvoir qui brime le peuple, mais d’un pouvoir qui le corrompt.


(1) République livre X, 571-a et suivants. À lire ici. (ou à télécharger ici si le lien précédent continue de planter – c’est page 364)


Sunday, March 21, 2010

Citation du 22 mars 2010

Hyppolite – Si je la haïssais, je ne la fuirais pas.

Jean Racine – Phèdre (Acte I, scène 1)

La fuite – 2

Qu’on ne s’y trompe pas : Hyppolite fuit non pas Phèdre, mais Aricie dont les « innocents appâts » commencent à l’émoustiller, ce qui est bien embêtant vu qu’elle est issue d’un clan ennemi. Mais Racine n’écrit pas ici un remake de Roméo et Juliette. Il s’agit de passions, de haine et d’amour.

Pour limiter mon propos, je retiens cette affirmation qui pourrait sembler curieuse : dans la haine, on ne fuit pas. Ce qui ne signifie pas essentiellement qu’on refuse de fuir l’affrontement ; c’est la présence de l’être haï qu’on ne fuit pas ; c’est peut-être même cette présence qu’on recherche.

Il m’est arrivé de penser qu’il y avait une sorte d’abnégation dans la haine : on recherche l’autre haï, pour mieux le combattre. C’est un peu comme ça qu’on imagine les nazis affrontant malgré leur répugnance ceux qu’ils ont considérés comme des sous-hommes – par abnégation, pour en délivrer l’humanité.

Et si ce n’était pas ça ? Si la haine était une délectation ? Si, tout comme l’amour, il y avait un bonheur à haïr ? On aurait d’autant plus de jouissance que l’objet de notre détestation serait plus proche de nous (1)? Et pour cela, pas question de le détruire, il faudrait le cultiver, l’aider à vivre, pour le haïr plus longtemps.

Voilà qui paraît troublant. Mais parlerions-nous de la haine si ceux qui connaissent cette aversion se contentaient de fuir l’objet détesté à l’autre bout de la terre ? Non, n’est-ce pas. La haine est un sentiment qui s’éveille au contact de l’autre et qui nous incite à le rechercher.

Peut-on expliquer ce paradoxe ? La haine n’est pas seulement un sentiment ; elle est aussi une passion et comme toute passion, elle vise une jouissance. Seulement, la jouissance n’est pas uniquement liée à la souffrance infligée à autrui. Elle est dans toute la préparation qui y mène.

Si on poursuit la comparaison avec l’amour, la haine n’est pas seulement dans la jouissance orgasmique qui consisterait à assassiner notre ennemi ; elle est aussi dans les préliminaires.

Je suppose que je n’ai pas besoin de vous faire un dessin…


(1) C’est un peu la situation que Sartre avait imaginée dans Huis-clos, mais pour lui c’était l’opposé du bonheur, puisque l’enfer, c’est les autres.


Saturday, March 20, 2010

Citation du 21 mars 2010

On roule confortablement sur l'autoroute de la vie, protégé par la ceinture de sécurité de nos certitudes et l'air-bag conducteur de la routine.

Dave Barry – Chroniques déjantées d'internet


Projet veste airbag anti-chute pour les personnes

Contexte :

Dans notre région du globe, l’espérance de vie continue d’augmenter et les capacités d’hébergement des personnes âgées ne suivent pas en conséquence. Ces dernières vivent souvent seules et doivent faire face à de nombreuses difficultés. Dans ce contexte, nous étudions de nouveaux services que les avancées technologiques pourraient rendre.

Objectif :

À partir d’un certain âge, les lésions causées par les chutes s’avèrent être irréversibles. Dans une telle situation, une veste airbag protégerait efficacement les centres névralgiques du corps humain. La difficulté réside dans le système de détection de chutes qui doit être le plus fiable possible.

Emmanuel Balpe – Projet


Qui c’est ce Dave Barry ? Un humoriste américain ? Et alors ? Est-ce que ça lui donne le droit d’ironiser sur les air-bags ? De vitupérer la sécurité des personnes ? De nous faire croire que l’obsession de la sécurité nous prive du meilleur de la vie ?

Heureusement, le jeune Emmanuel Balpe (élève ingénieur en procédés automatisés) est là, qui veille avec lucidité sur la sécurité de nos seniors.

Car, sachez le, vous qui aspirez à vivre vieux, viendra un moment où vous allez perdre votre autonomie, et là vous serez une charge pour les actifs, qui ne pourront pas toujours financer votre hospice.

Il est donc raisonnable de vous concocter un petit hospice ambulant qui vous suivra partout.

J’ai déjà signalé les excellllentes garnitures Tena pour les petites fuites. Mais bof…

Emmanuel Balpe, bien plus fort que tout ça pense à la sécurité des vieillards chancelants qui menacent de glisser sur les bords de trottoirs : mettez leur un casque intégral, c’est déjà ça, mais ça n’est pas assez. Le fin du fin, c’est d’ajouter une veste air-bag, protégeant les centres névralgiques du corps humain.

Oui, c’est vrai, comme ça Mamie ressemblera à un motard Alzheimer qui aurait oublié où il a garé son engin.

Oui, c’est vrai. Mais la sécurité, c’est à ce prix.

Friday, March 19, 2010

Citation du 20 mars 2010

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Tandis qu'à leurs oeuvres perverses, / Les hommes courent haletants, / Mars qui rit malgré les averses, / Prépare en secret le printemps.
Théophile Gautier – Premier sourire du printemps (Emaux et camées)
Hé bien oui, mes chers amis, revoilà le printemps (1)… et les poètes vont jaillir d’entre les petites pâquerettes pour nous débiter leurs fadaises.
Ah… Qu’il est loin l’époque où La citation du jour vous balançait des sentences de Ninon de Lenclos pour célébrer le retour des beaux jours…
Mais voilà : c’est de la culture qu’il nous faut – de la bonne et de la française par dessus le marché. Alors, allons-y.
Des fadaises, c’est ça que vous avez dit en lisant ce poème de notre Théophile Gautier ? Qu’est-ce que vous avez donc à lui reprocher ?
Votre objection serait que ce poème ressemble à une page du catalogue Clause-Vilmorin, alors qu’il n’y a pas de poésie sans licence poétique – et donc pas de poème sur le printemps sans un oubli de la réalité qui permet de l’embellir.
Mais c’est que vous avez mal lu, et voilà tout. C’est ainsi que notre Théophile voit en même temps s’épanouir la fleur de l’amandier et le muguet des bois ; la fraise et le bouton d’or ; il voit aussi d’un oeil le cerf boire dans la fontaine, alors que de l’autre il voit apparaître le bouton de rose au jardin. Et tout ça durant le mois de mars, parce qu’après ce sera avril et qu’il nous faudra un autre poème.
Si le cœur vous en dit vous avec encore 10 jours pour l’écrire et me l’envoyer. Je le publierai ici même, c’est promis.

(1) Je n’oublie pas les (sans doute) nombreux lecteurs de ce blog qui vivent dans l’hémisphère sud. L’automne y est particulièrement agréable à ce qu’on m’a dit. Quelle chance ils ont !

Thursday, March 18, 2010

Citation du 19 mars 2010

Confronté à une épreuve, l'homme ne dispose que de trois choix : 1) combattre ; 2) ne rien faire ; 3) fuir.

Henri Laborit – Eloge de la fuite

[Le loup] nous regarde encore, ensuite il se recouche, / Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche, / Et, sans daigner savoir comment il a péri, / Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

Alfred de Vigny – La mort du Loup

La fuite – 1

Que faire devant une épreuve redoutable ? 1) combattre ; 2) ne rien faire ; 3) fuir. Faut-il convoquer Henri Laborit pour établir une telle banalité ?

Tentons d’établir une hiérarchie entre ces différents procédés.

1 – Courage, fuyons ! La fuite n’est pas seulement une attitude conservatoire (voir l’exemple du voilier confronté à la tempête), mais aussi nous explique Laborit, c’est le meilleur moyen d’éviter le stress.

2 – Combattre quand la fuite est impossible est en effet le second moyen de réagir en face d’une épreuve redoutable, comme nous le montre l’animal acculé qui ne peut plus fuir.

3 – Mais, si la lutte devient inutile, alors il se laissera mourir sans bouger.

--> Que dire d’autre ? Que c’est justement cette dernière possibilité qui surprend le plus : ne rien faire – n’est ce pas tout le contraire d’une solution ? Ne doit-on pas fuir la passivité quelle que soient les circonstances ?

Libre à chacun de refuser une telle attitude – mais rappelons nous la Mort du loup : au moment de mourir il se recouche, lèche le sang répandu sur sa bouche, / Et, sans daigner savoir comment il a péri, / Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

Voilà le point important : si nous avons résisté à la suggestion de Laborit, c’est que mourir sans combattre, même si ce combat est inutile, même s’il est plus « confortable » de mourir ainsi nous paraît la lâcheté suprême. Mais voilà le correctif qu’il faut ajouter avec Vigny : mourir sans combattre, c’est aussi mépriser ses assassins, c’est leur signifier qu’ils ne sont pas assez importants pour qu’on leur fasse l’aumône d’un geste de défense.

Wednesday, March 17, 2010

Citation du 18 mars 2010

Les hommes veulent être esclaves quelque part, et puiser là de quoi dominer ailleurs.

La Bruyère – Les Caractères

Ici et ailleurs 2

L’idée qui se fait jour ici est que l’esclavage est tout à fait supportable dès lors qu’il est compensé par ailleurs.

Puisque nous avons abondamment cité La Fontaine je ne citerai pas aujourd’hui sa fable Le loup et le chien, mais on se rappelle que le chien y affirme sans détour qu’il est effectivement enchaîné, mais que la pitance qu’on lui donne le dédommage largement. Voilà une bonne raison de critiquer nos systèmes de soumission, qui, de la famille à l’école, et de l’entreprise qui nous emploie jusqu’à l’église où nous confessons nos péchés, règlent notre vie, la formatent et l’embastillent. Tout ce que nous pouvons espérer c’est que la chaîne qui nous attache soit la plus longue possible (1).

Il y a deux voies pour discuter cette formule : l’une qui serait de se demander s’il y a un dédommagement possible à la privation de liberté ; mais cette voie a été parcourue ici même plus d’une fois en suivant J.J. Rousseau (2).

L’autre qui serait de remonter un peu plus haut et de se demander à partir de quand on peut parler d’esclavage.

Il y a aussi deux conceptions de l’esclavage : l’une qui est économique, l’autre qui est morale. Sur l’économique, on a vite fait de dire avec Spinoza que l’esclave est celui qui n’est jamais utile à lui-même, mais seulement à son maître (3). Il est clair que seuls les esclaves « réels » sont dans ce cas, tous les travailleurs même exploités ont au moins un petit avantage qui leur est consenti.

Et puis il y a les esclaves « moraux » : j’entends pas là tous ceux qui ont abdiqué leur pouvoir de décision, qui ont renoncé à leur responsabilité et qui se laissent conduire par la main comme les petits enfants. De Kant à Tocqueville (4) beaucoup de moralistes y ont vu un subterfuge de l'Etat pour récupérer le pouvoir perdu du fait de la démocratie.

Heureusement, nous avons le néo-libéralisme pour nous éviter ce défaut.


(1) Ceci pour reprendre la formule de Cavanna.

(2) A vrai dire je n’ai pas retrouvé le Post où j’aurais décrit la pensée de Rousseau sur ce point. On se reportera donc au Contrat social I, 4 et si on n’a pas le temps on pourra lire au moins cet extrait.

(3) Spinoza, Traité théologico-politique voir ici.

(4) Encore un extrait de texte ? En voici deux pour le même prix : Kant ici – Tocqueville

Tuesday, March 16, 2010

Citation du 17 mars 2010

Nos fautes sont des dettes contractées ici et payables ailleurs. L'athéisme n'est autre chose qu'un essai de déclaration d'insolvabilité.

Victor Hugo – Littérature et philosophie mêlées

Ici et ailleurs 1

Avec tout le respect que je dois à Victor Hugo, je crois qu’il s’est un peu mépris sur le terme d’insolvabilité. Car si je dis : ma faute est une dette si et seulement si Dieu existe, alors l’athéisme ne consiste pas à dire : je supposerai que Dieu n’existe pas, parce que n’ai pas de quoi le dédommager de mes péchés, mais bien : Dieu n’existe pas, donc mes fautes ne sont plus des dettes.

Concentrons-nous donc sur le début de cette citation : Nos fautes sont des dettes contractées ici et payables ailleurs.

Au cas où notre faute serait en effet une dette que nous aurions contractée, la question est de savoir qui est notre débiteur. Celui qui en est victime ? Celui qui a édicté la loi par rapport à la quelle ce que je viens de faire est une faute ? Ou moi-même, en rapport avec mon propre jugement ?

Déjà je suppose que si je suis coupable envers moi-même, alors il n’y a aucune raison que je paie ailleurs. Et puis, ailleurs, ça veut dire aussi plus tard. Si je suis coupable envers moi-même, pourquoi attendre ? A moins que j’attende le soir pour faire pénitence en m’infligeant une flagellation, et le lendemain pour enfiler mon cilice.

Si je ne suis pas coupable envers moi-même, il reste alors que je puis l’être envers ma victime. Mais pourquoi irais-je réparer le mal que je lui ai fait ? Si je l’ai spoliée, c’est que je me sentais bien comme cela et que ses souffrances n’avaient aucune importance pour moi.

C’est donc toujours devant l’autorité que nous commettons une faute :

- Si l’autorité est en nous, comme avec le sur-moi, alors comme on vient de le dire nous devons payer notre faute tout de suite ;

- Si l’autorité est dans le monde, comme la police, ou le juge, ou le chef, alors nous devons rester inconnus pour ne pas payer la faute, avec la crainte d’être démasqué un jour et de payer ailleurs.

- Si l’autorité est au-dessus du monde, comme c’est le cas avec Dieu, alors impossible d’y échapper : Dieu nous voit et, comme Caïn, il nous faudra payer.

… D’où l’idée que l’athéisme est quand même assez confortable. Mais ce que la citation de Hugo nous a aidé à dépister reste significatif : c’est qu’au fond la conscience morale n’est pas autre chose que le sentiment d’avoir à payer une dette, et que cela implique la reconnaissance d’une autorité.

- On parle beaucoup en ce moment de l’absence de conscience morale à propos d’une émission télé qui réactive l’expérience de Milgram. Cette expérience et ses divers avatars montrent que l’autorité nous lave de nos fautes, parce que c’est elle qui conditionne notre conscience morale. Je crois qu’on a tout dit là-dessus

…Sauf que l’expérience originaire mettait en scène des participants complices qui jouaient le rôle d’élèves et un sujet à qui on assignait le rôle le professeur, en lui demandant d’envoyer une décharge électrique au pseudo-élève à chaque fois qu’il fournissait une mauvaise réponse.

--> Chers lecteurs professeurs, dites moi si vous n’avez pas des fois rêvé de faire ça ?

Et puis, si vous en avez rêvé, dites moi si vous avez eu l’impression d’avoir commis une faute et si vous avez le sentiment de devoir la payer un jour pour ça ?

Monday, March 15, 2010

Citation du 16 mars 2010

Je twisterais les mots s'il fallait les twister /Pour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez.
Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers / Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés / Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants / Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent.

Jean Ferrat – Paroles de la chanson nuit et brouillard (vidéo ici)

La France qu’il a chantée avec une telle chaleur rend hommage à Jean Ferrat qu’on porte en terre aujourd’hui.

Je ne cherche pas à rendre un hommage de plus à un tel homme : qu’il ait fait descendre les poèmes d’Aragon dans la rue, qu’il les ait mis sur les lèvres de chacun suffit amplement à dire la place qu’il occupe dans mon cœur.

Mais peut-être serait-il possible de dire qu’en plus de la sincérité, ses chansons (certaines d’entre elles du moins) ont une autre vertu : elles sonnent juste.

On peut penser juste comme d’autres chantent juste : d’instinct. Ici, c’est le cas de cette chanson célébrant – en 1963 – les victimes des camps de la mort.

1963 : à part le film d’Alain Resnais, justement intitulé Nuit et brouillard, que sait-on de ces camps ? Qui se soucie de leurs victimes ?

Jean Ferrat les chante, et il les chante pour qu’on ne les oublie pas : Je twisterais les mots s'il fallait les twister (1) /Pour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez.

Il ne s’agit pas de nous attendrir avec les souffrances et les humiliations subies par ces pauvres gens ; il s’agit – comme l’a dit récemment Claude Lanzmann – de les accompagner dans leurs wagons à bestiaux, et jusque dans les chambres à gaz, pour ne pas les laisser mourir seuls.

C’est ça que nous dit Ferrat ; c’est pour ça qu’il chante.

On ne peut pas faire grand-chose de plus ; mais beaucoup ont fait moins.


(1) Rappel : en 1963, nous sommes à l’époque yéyé, le twist est la musique commerciale par excellence

Sunday, March 14, 2010

Citation du 15 mars 2010

La révolution sera la floraison de l'humanité comme l'amour est la floraison du coeur.

Louise Michel – Mémoires

On doit s’incliner devant la constance de Louise Michel : toute sa vie qui va de la Commune de Paris à ses conférences socialistes et anarchistes, en passant par les nombreuses geôles où le gouvernement « républicain » crut pouvoir l’enfermer, elle a été animée du même idéal. Et cet idéal, c’est celui de la révolution.

Je laisse à chacun le soin de se faire une opinion en lisant par exemple son ouvrage sur la commune (numérisé par nos amis québécois ici).

Mais voici la question que je me pose : nous qui n’espérons plus en la révolution (1), en quoi croyons-nous ? Ou plutôt en quoi espérons nous ? Pas en la vie éternelle, du moins pas souvent. Pas en un monde meilleur – et surtout pas au meilleur des mondes.

Non. Je suis au regret de dire que ce en quoi nous espérons c’est en une meilleure position dans ce monde-ci. Une place au soleil, vite ! Et s’il n’y a pas de place au soleil pour tout le monde, alors dépêchons-nous d’y arriver avant les autres…

Vous croyez peut-être que je déprime et qu’avec un bon anxiolytique les choses vont s’arranger ? Que nous aussi nous avons un idéal, que nous aussi nous savons nous engager et nous battre pour faire triompher la bonne cause ?

D’accord : je vous crois. Mais il y a encore une petite différence entre la Vierge Rouge et nous.

- Elle, quand elle se levait le matin, elle se disait : Qu’est-ce que je peux faire aujourd’hui pour l’humanité ? Et elle partait ferrailler contre les inégalités et les injustices, pour finir la journée en prison.

- Et nous ? En nous levant le matin, nous nous disons : Qu’est-ce que je vais faire pour sauver la planète aujourd’hui ? Et de remplacer nos ampoules à incandescence, de fermer le robinet en nous lavant les dents, et de monter dans notre voiture à filtre anti-pollution. Et le soir ?

Le soir nous glissons un glaçon dans notre whisky, c’est vrai… Mais il sort d’un frigo estampillé A+++


(1) Disons que nous n’y croyons plus depuis que les années 68 sont passées.

Saturday, March 13, 2010

Citation du 14 mars 2010

Rien de trop est un point / Dont on parle sans cesse et qu'on n'observe point.

La Fontaine – Rien de trop – Fable Livre IX

Jean de La Fontaine, notre contemporain – 3

Rien de trop… La devise du temple de Delphes a largement inspiré La Fontaine.

Ici comme avant-hier, je ne comprends pas qu’on ne cite pas plus souvent notre fabuliste, tant son message est actuel.

Un petit abstract pour les paresseux qui n’auraient pas le courage de lire cette fable.

- Il s’agit de décrire les désordres occasionnés par le déséquilibre dans le milieu écologique. Que l’on sème trop de blé, et voici les guérets envahis ; que l’on plante trop d’arbres, et les voici qui s’étiolent. Espère-t-on corriger ces excès en introduisant d’autres niches écologiques ? Les moutons qui vont paître dans les champs par exemple ? Oui, mais ils détruisent tout sans connaître de limite. Seuls les loups peuvent mettre un terme à leurs dégâts, mais en se laissant aller à croquer le troupeau entier. Et voilà les hommes qui partent en battue contre les loups, et surtout, qui ne sauront s’arrêter qu’ils n’aient éradiqué toute l’espèce.

C’est que la nature ne peut exister que dans un équilibre écologique rigoureux. Le moindre excès en engendre d’autres et au lieu de se corriger pour retrouver son assiette, il s’amplifie. Mais c’est l’homme amplifie ce mouvement, et c’est lui qui le relance par son avidité de profit.

- Si l’espèce humaine est source de désordre par son avidité, nous savons aujourd’hui que ce n’est pas seulement dans le milieu naturel qu’elle fait des dégâts : on n’observe pas plus la juste mesure dans la finance que dans la nature – et de surcroît on est dans les deux cas totalement incapable d’y porter remède : rappelons-nous la stérilité du G20 et celle de la conférence de Copenhague.

Pour comprendre ce qui se passe, il suffit de jeter un coup d’œil sur la date de la publication de cette fable : 1678. Ce qui était déjà déploré à cette époque n’a jamais été corrigé depuis. Comment espérer que ce soit fait aujourd’hui ? Et comment ne pas croire qu’il y ait là une donnée profondément enracinée dans la nature humaine ? Dans son ADN comme on dit aujourd’hui.

Friday, March 12, 2010

Citation du 13 mars 2010

Je le répète, et dis, vaille que vaille, / Le monde n'est que franche moutonnaille.

La Fontaine – L’Abbesse malade. (Contes et nouvelles en vers - lire ici)

Jean de La Fontaine, notre contemporain – 2

La moutonnaille sert comme on s’en doute à illustrer le rôle de l’exemple dans le comportement humain. Après avoir repris le récit des montons de Panurges, La Fontaine développe l’histoire de l’Abbesse malade.

Mais on va voir que ce n’est pas cette morale là que La Fontaine cherche à montrer – et que ce n’est pas pour cela que je lui attribue le rang d’auteur contemporain.

- Votre confesseur vous a sans doute interdit de lire ce conte de La Fontaine, aussi je vais vous en résumer l’essentiel.

Une abbesse se meurt de langueur. Le médecin dit aux nonnes éplorées que sa maladie est sans espoir à moins qu’elle ne soit due à l’abstinence sexuelle. Au quel cas, un bon coup de … suffirait à lui rendre la santé.

L’abbesse est scandalisée. Mais Sœur Agnès, l’une de ses nonnes, se propose de se sacrifier pour tester le traitement à sa place afin, dit-elle, que la mère supérieure puisse constater si le procédé est aussi dangereux qu’elle le croit.

Ainsi fut fait, et tout le couvent comme franche moutonaille suivant cet exemple, s’empressa de se dévouer également.

Enfin convaincue, l’Abbesse se soumet à la médication : Un jouvenceau fait l’opération / Sur la malade. Elle redevient rose

Et voilà l’amour devenu médecin… Mais aussi, voilà la véritable morale de l’histoire : la femme pas plus que l’homme n’est faite pour la continence sexuelle. Et si on me permet un rapprochement avec l’époque contemporaine, je signale qu’on attribue précisément à cette exigence les crimes de pédophilie si souvent dénoncés dans le clergé catholique.

Et tient, justement, il n’y a pas très longtemps, à Ratisbonne, sur les enfants du chœur de la cathédrale. On a même failli croire que le chef de chœur était à l’époque un certain Georg Ratzinger, le frère de qui vous savez. Mais Dieu merci on nous a rassurés