Monday, February 01, 2010

Citation du 2 février 2010


Traiter un adversaire de trou du cul sans fesses, c'est l'anéantir, en faire un néant de sottise, un zéro.
Jean-Paul Sartre – Les Carnets de la drôle de guerre (p. 187) (1)
En cette saison où les insultes volent bas, en particulier entre adversaires politiques, il est bon de demander à nos intellectuels une aide à la diversification.
Suggestion de Sartre : traiter son adversaire de Trou du cul sans fesses.(2)
Comprenons bien l’enjeu : un trou n’existe que par ses bords. Les bords du trou du cul sont constitués par les fesses. Et donc un « trou du cul sans fesses » c’est effectivement un pur néant.
On dira peut-être que ce n’est pas la peine de mobiliser un super intellectuel, philosophe et maître à penser de toute une génération, pour sortir une pareille sottise : c’est rien de plus que ce qu’on appelle le folklore obscène des cours de récréations. Erreur…
Erreur, car vous oubliez l’extraordinaire aptitude de la philosophie à donner du sens à tout ce qui peut se dire. Déjà, les adversaires de Socrate se récriaient quand il prétendait philosopher sur des choses viles, comme les métiers des artisans ou – pire encore – sur les poils, la crasse ou la boue (3). Mais il n’a eu de cesse de montrer leur erreur.
Tout de même ! Philosopher sur le trou du cul… Pouah ! Très peu pour nous.
Quoique… Philosopher sur « le trou », ça, c’est possible.
Voyez le texte de Sartre :
- Il commence certes avec le trou du cul, mais c’est en poète qu’il s’exprime :
Et certes, le trou du cul est le plus vivant des trous, un trou lyrique, qui se fronce comme un sourcil, qui se resserre comme une bête blessée se contracte, qui bée enfin, vaincu et près de livrer ses secrets; c'est le plus douillet, le plus caché des trous...
- Puis vient le moment de la philosophie : là il ne s’agit plus que du concept, et donc on parle du trou en général :
Je vois en effet que le trou est lié au refus, à la négation et au Néant. Le trou, c'est d'abord ce qui n'est pas. Cette fonction néantisante du trou est révélée par des expressions vulgaires qu'on entend ici, telles que: "trou du cul sans fesses", ce qui signifie: néant.
- Oui, mais on est encore près de la réalité des choses, au ras des pâquerettes (?).
Patience, l’analyse philosophique commence et elle va aller au plus profond :
Le vertige du trou vient de ce qu'il propose l'anéantissement, il dérobe à la facticité. Le trou est sacré par ce qu'il recèle. Il est par ailleurs l'occasion d'un contact avec ce qu'on ne voit pas.
- Je devine que vous froncez les sourcils, peut-être même que certains rougissent de fureur : ces propos sont indignes, ils sont ceux d’un sodomite ! Embastillez-moi ce philosophe ! …Encore une erreur : même la sodomie est un acte métaphysique :
Mais en même temps, dans l'acte de pénétrer un trou, qui est viol, effraction, négation, nous trouvons l'acte ouvrier de boucher le trou. En un sens, tous les trous sollicitent obscurément qu'on les comble, ils sont des appels: combler = triomphe du plein sur le vide, de l'existence sur le Néant. D'où la tendance à boucher les trous avec sa propre substance, ce qui amène identification à la substance trouée et finalement métamorphose.
Ça vous en bouche un coin, hein ?!
(1) On peut lire le passage dans l’édition Gallimard pages 185-191. Quelques extraits sont disponibles ici.
Dans ce passage, Sartre analyse un exemple d’un objet « présexuel », quelque chose qui existe dans le monde avec une signification déjà-là, qui nous interpelle. Tout le contraire de la symbolique freudienne qui part d’une réalité insignifiante, simple support de nos fantasmes.
(2) Sartre dit que cette grossière insulte s’emploie en Alsace où il est cantonné lorsqu’il écrit ses Carnets.
(3) Platon – Parménide, 130c

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