Tuesday, March 31, 2009

Citation du 31 mars 2009

La Reyne-mere disoit : "J'ayme tant Paris et tant Saint-Germain, que je voudrois avoir un pié à l'un et un pié à l'autre. - Et moy, dit Bassompierre, je voudrois donc estre à Nanterre." C'est à my-chemin.

Tallemant des Réaux – Historiettes

Et revoici notre général de Bassompierre (vous savez, l’homme qui se prenait pour un poireau). Cette fois-ci il est amoureux de la reine mère (sans doute Anne d’Autriche), et il le fait savoir sans s’embarrasser des litotes dont on imaginerait l’emploi nécessaire, vu la qualité de la dame.

Parce qu’au fond, ce qui frappe c’est la grande liberté de parole dont jouit le maréchal. Comment ? Voilà un sujet du roi, qui, parlant à sa mère, lui dit carrément qu’il souhaiterait être entre ses jambes ?

Dire ces choses sans détour était à l’époque une forme de liberté habituelle, quelque chose qui devait se situer dans l’ordre de la nature. Alors, certes il y avait sans doute des milieux ou des occasions qui exigeaient au contraire un langage un peu plus « codé ». Mais justement, ces circonlocutions devaient servir surtout de marqueur social.

Ces remarques devraient nous aider à lire Rabelais, qui surprend par la verdeur et la brutalité de son vocabulaire. Certainement, aujourd’hui le lecteur mal averti des pratiques de l’époque doit se demander quel message Rabelais voulait faire passer par ce procédé.

Mais c’est que, justement, ce n’est pas un procédé. C’est une manière normale de parler, du moins au XVIème siècle (d’ailleurs nous en avions donné un échantillon le 5 juin 2008).

Nous restons aujourd’hui très attachés au langage, nous rejetons ou nous acceptons les gens sur la base de leur façon de s’exprimer. C’est ainsi que jeunes issus des quartiers se reconnaissent, et sont exclus, du moins à en croire ce dit Finkielkraut (et je crois aussi l’héroïne incarnée par Isabelle Adjani dans La journée de la jupe)

Si le maréchal de Bassompierre revenait aujourd’hui, quelle place accorderions-nous à quelqu’un qui parle comme lui ?

Monday, March 30, 2009

Citation du 30 mars 2009

Socrates disait, que les sages femmes en prenant ce métier de faire engendrer les autres, quittent le métier d'engendrer elles. Que lui par le titre de sage homme, que les Dieux lui avaient deferé, s'était aussi défait en son amour viril et mentale, de la faculté d'enfanter : se contentant d'aider et favoriser de son secours les engendrants : ouvrir leur nature ; graisser leurs conduits : faciliter l'issue de leur enfantement : juger d'icelui : le baptiser : le nourrir : le fortifier : l'emmaillotter, et circoncir : exerçant et maniant son engin [esprit], aux périls et fortunes d'autrui.

Montaigne – Apologie de Raymond Sebond (Essais, II – 12)


Voyez, à l’époque de Montaigne on croyait encore qu’un homme ne pouvant raisonnablement être sage-femme, devait être sage-homme. Socrate quand à lui devait se dire maïeuticien – et basta.

Ce qui nous importe, ce n’est pas ça ; c’est qu’il n’appartient pas à celui qui aide à l’enfantement d’enfanter lui-même. On le sait, Socrate prétendait interroger les autres non pour les mettre dans l’embarras mais par sincère désir d’acquérir la connaissance que ceux-là avaient, alors que lui ne l’avait pas.

Mais en réalité, il avait surtout pour but de faire venir au jour, formulé avec clarté la pensée qui se dissimulait sous des formules lapidaires, et c’est en ce sens qu’il se disait accoucheur des âmes. Aider les autres à trouver le savoir qu’on affirme ne pas posséder soi-même.

Peut-on aider les autres à faire ce qu’on ne sait pas faire soi-même ?

J’ai évoqué ici même (1) les thèses de Jacquotot, reprises par Jacques Rancière dans le Maître ignorant. Le père illettré peut apprendre à lire à son fils, car le rôle du maître est de faire-faire et non de faire lui-même.

Sans revenir sur cette thèse, je crois que la philosophie (que j’ai fait profession d’enseigner) renvoie d’une certaine façon à cette pratique : il ne s’agit pas de penser pour l’élève, mais de faire penser l’élève. Telle est la philosophie dont on a l’ambition de faire l’enseignement en France (2).

Je voudrais donc souligner que penser et donner à penser ce n’est pas tout à fait la même chose, et même si l’on ne peut donner à penser sans penser soi-même, il n’en reste pas moins que ce n’est pas en disant « voilà ce que je pense » qu’on pourra faire produire de la pensée.

En ce sens Socrate était bien le modèle de l’enseignant de philosophie, même si ça a mal tourné pour lui.


(1) Citation du 20 mars2007

(2) À la différence des pays où on enseigne essentiellement les doctrines philosophiques (histoire de la philosophie)

Saturday, March 28, 2009

Citation du 29 mars 2009

L'honneur et le profit ne couchent pas dans le même lit.

Cervantès - Nouvelles exemplaires

Voici une observation quasiment proverbiale, et que chacun se répète en cette époque de parachutages dorés.

Comme je n’ai pas l’habitude d’enfoncer les portes ouvertes, je n’en dirai pas plus sur cette évidence.

Et en même temps, reconnaissons-le : nous moralisons à tout va, c’est devenu une manie obsédante : il nous faut de la vertu – partout !

Alors, le profit ferait-il exception ? N’y aurait-il aucune valeur qui accepte de coucher avec lui ?

Bien entendu, vous avez déjà la réponse : à une époque où l’on nous parle de moraliser le capitalisme, on nous a répété sur tous les tons que le profit va avec le mérite. Si vous avez bien travaillé, vous avez produit, donc vous pouvez profiter des fruits de votre travail. Nulle contradiction entre capital et morale, dès lors que le profit = le mérite. Au point que les puritains américains ont érigé cette équation en clé pour accéder au paradis (1).

Comme les deux membres de l’équation sont réversibles on peut aussi bien écrire : mérite = profit – voire même mérite => profit.

J’entends des petites voix qui protestent : elles me disent : « Mais les patrons ils n’ont pas mérité de gagner en prime d’une année ce que nous gagnons en 377 années de salaire (2). »

Alors, écoutez bien : dans un régime capitaliste, travailler signifie faire gagner de l’argent aux autres, à l’entreprise, aux actionnaires – et à vous-même. Le mérite se mesure donc bien au profit qu’on permet de réaliser à tous ceux qui payent votre salaire.

….Hélas ! Ne nous voilons pas la face, arrêtons de nous obsédons avec les parachutes de nos PDG : nous ne sommes pas prêts de voir les gens les plus méritants devenir les plus riches du pays. C’est qu’il y a bien des façons de mesurer le salaire, et le mérite-profit n’est pas toujours le critère choisi. S’il y a des ouvriers payés en-dessous du profit qu’ils apportent à l’entreprise, il y a des patrons payés au-dessus.

- Dernière observation : autrefois – il y a bien, bien longtemps – la valeur politique était : la solidarité, grâce à la quelle nous étions « citoyens responsables ». Aujourd’hui, quand on dit aux patrons du CAC 40 qu’ils doivent êtres solidaires, ils ont des difficultés de compréhension.


(1) Là-dessus voir Max Weber – Ethique protestante et esprit du capitalisme, et … les discours de Notre-Président, décidément beaucoup plus américain qu’on le croit.

(2) Ça peut être beaucoup plus, je sais…

Friday, March 27, 2009

Citation du 28 mars 2009

Notre résurrection n'est pas tout entière dans le futur, elle est aussi en nous, elle commence, elle a déjà commencé.

Paul Claudel – Correspondance avec André Gide


Bientôt Pâques : la résurrection du Christ

Si la résurrection a un sens que nous pouvons comprendre dès cette vie, nul doute que le sexe masculin en fournisse un très bon exemple.

Non seulement les chansons paillardes l’ont clamé (et on sait pourquoi il est évident que Saint Eloi n’est pas mort…), mais encore le Christ lui-même a été représenté lors de la résurrection avec une érection soulevant son pagne.

Qui a dit que je blasphémais ? Que ceux à qui cette idée répugne veuillent bien jeter un regard sur le célèbre tableau de Maarten van Heemskerck, intitulé Man of sorrows et qui date de 1532. (Voir aussi ici)

Alors, bien sûr, on est dans le symbole, et personne ne voudra je suppose croire que les choses se sont passées ainsi.

Mais il y a entre le symbole et sa signification une proximité, une ressemblance qui doit nous en avertir : pour l’homme, la vie c’est la bandaison, principalement quand la vie est celle d’un artiste. Nous l’avions déjà développé avec cette citation de Flaubert – et puis nous avions aussi expliqué que pour les Goncourt même les femmes devaient aussi mystérieusement réaliser cette performance pour accéder à la création.

Frédéric Dard l’a déclaré un jour sur un plateau de télévision : « le jour où je ne banderai plus, je me suiciderai. »

Il a heureusement raté son suicide…

Thursday, March 26, 2009

Citation du 27 mars 2009

Défense de mélanger les choses : tu ne laboureras pas avec un bœuf et un âne.

Paul Claudel – Journal

Les théories racistes font aussi une critique du mélange – des races en l’occurrence.

Et voilà que pourtant, le métissage donne des êtres bien souvent plus beaux et plus forts que ceux qui sont restés dans les races « pures ».

Ces observations montrent que le mélange dont parle Claudel porte non pas sur des hommes, mais sur des choses, et même plus exactement sur des fonctions : le bœuf et l’âne n’ont pas la même fonction et voilà pourquoi il ne faut pas les atteler ensemble.

L’homme quant à lui ne relève pas de cela, parce qu’il ne se réduit pas à une fonction. C’est même un critère pour juger de l’ordre voulu dans tel pays ou telle culture que d’y observer comment les hommes sont mêlés ou au contraire séparés. L’apartheid ne voit pas des hommes, il voit des races. C’est vrai, mais surtout il les réduit à leur fonction, maître ou esclave, pauvre ou riche.

Ainsi naissent les castes qui nous montrent comment s’articule la pureté et la fonction. Au sein des castes, chacun se définit ainsi par les tâches qui lui sont imposées ou interdites. C’est le rôle social qui confère la pureté et l’impureté, pas l’inverse. Qu’on se rappelle le temps où existaient les bourreaux : ils était mis à l’écart du village, le pain qui leur était destiné était retourné pour ne pas se confondre avec celui que chacun pouvait manger. Torturer et tuer faisait d’eux des intouchables.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Wednesday, March 25, 2009

Citation du 26 mars 2009

Allez, je ne vous demande rien, mon Dieu !

Vous êtes là, et c'est assez.

Paul Claudel – Magnificat

Supposez que Dieu vous apparaisse dans une déchirure du ciel : que faites-vous ?

Il n’y a pas trente-six possibilités :

- Soit vous vous précipitez à ses pieds pour lui demander je ne sais quoi – l’immortalité, la fortune, la gloire, que sais-je ?

- Soit vous tombez à genoux, oui, mais sans rien demander, simplement comme ça, pour l’adorer.

Mais, à bien y réfléchir, si Dieu vous apparaît, c’est qu’il existe. Il n’y a donc aucune raison de lui demander quoique ce soit. Tout ce qui est, a été voulu par Lui, et donc tout est bon.

Que ceux qui critiquent le monde comme il va veuillent bien observer que même si l’homme a péché et si le Salut doit être mérité, ce n’est pas en demandant la Grâce qu’ils l’auront : ils devront d’abord la mériter.

Si donc Dieu vous apparaît, tout ce que vous pouvez lui demander, c’est Que puis-je faire pour mériter mon salut ?

Et c’est là que les choses se corsent : parce que, bien sûr, Dieu ne vous est pas apparu – disons : pas encore. Mais que la question que nous venons de poser reste pertinente.

Et vous êtes bien embêté : que puis-je faire, mon Dieu, pour vous être agréable ? Aider mon prochain ? Prier jour et nuit ? Fleurir l’autel de votre église ? Inviter ma belle-mère chaque dimanche au repas de midi ?

Mais qu’est-ce qui vous dit que la pénitence que vous vous infligeriez serait la condition de votre salut ?

Et si c’était ce qui vous est joie, exultation et bonheur qui était l’action salvatrice par excellence ?

Comme de faire l’amour à votre meilleure amie ?

Tuesday, March 24, 2009

Citation du 25 mars 2009

La main qui, samedi, tient un balai est celle qui, dimanche, caresse le mieux.

Goethe – Faust

Goethe, Génie de l’Humanité

Qu’a donc voulu dire le Génie de l’Humanité ?

1 – La femme de ménage et la femme au lit, c’est tout pareil : il s’agit de se dévouer à l’homme, et celle qui se dévoue le mieux au ménage sera celle qui se dévouera le mieux pour le reste.

2 – Une femme c’est bon surtout le dimanche.

3 – Ne méprisez pas votre servante : comme Cendrillon, elle cache peut-être sous ses haillons de souillon un corps de déesse. Telle qui grisaille dans la cuisine le jour, illuminera vos nuits.

Ouf ! Après bien des tâtonnements je crois avoir réussi à aborder sur les rives où le Poète voulait sans doute nous emmener.

Car, au fond, c’est un message qui nous vient de loin, des grecs anciens. Qui donc mieux qu’Ulysse, revenant dans sa Patrie sous les traits d’un pauvre mendiant et raillé par les Prétendants au mariage de Pénélope pourrait inspirer cette phrase à notre Génie de l’Humanité ?

D’ailleurs c’est une constante dans la mythologie grecque de croire que les Dieux viennent solliciter la charité sous forme de mendiants pour connaître leurs véritables sentiments.

Ils faisaient du testing bien avant nous.

Bon. Je vous sens sceptique : selon vous notre Génie n’aurait pas voulu dire ça ?

Vous ricanez : vous avez une autre hypothèse encore plus valable ? Laquelle donc ?

– Tenir un balai, caresser un homme, c’est tout pareil : il s’agit de savoir manier les manches.

Je vois…

… Mais dans ce cas, voici mon conseil : si vous devez embaucher une secrétaire, demandez-lui de balayer le bureau pour voir comment elle s’y prend.

Monday, March 23, 2009

Citation du 24 mars 2009

Quand ils sont venus / chercher les communistes / JE N'AI RIEN DIT / Je n'étais pas communiste.

Quand ils sont venus / chercher les syndicalistes / Je n'ai rien dit / Je n'était pas syndicaliste.

Quand ils sont venus / chercher les juifs / Je n'ai rien dit / Je n'étais pas juif.

Quand ils sont venus / chercher les catholiques / Je n'ai rien dit / Je n'étais pas catholique.

Puis ils sont venus me chercher / Et il ne restait plus personne / pour protester.

Poème retrouvé à Dachau et attribué au pasteur Niemöller

Peu importe que ce poème soit authentique ou pas : sa vérité éclate de toute façon.

Terrible leçon de morale et de justice. Oui ; mais la quelle ?

Le sens de la justice relève de deux voies différentes :

- l’une est la valeur intrinsèque de la justice. Chaque homme a le droit à sa protection, par principe.

- Et puis il y a la voie égoïste : en protégeant l’autre, la justice s’engage à me protéger moi.

Et c’est apparemment le sens de ce texte : j’aurais dû protéger les communistes, parce que j’aurais alors revendiqué une protection qui devait en même temps valoir aussi pour moi.

Oui, mais dira-t-on, cette vue est bien étriquée. La justice relève d’un principe supérieur : on n’a pas à se demander si je serai ou non justiciable un jour pour réclamer sa stricte application – car sinon, le dictateur que la puissance met au-dessus des lois aurait tout à fait raison de bafouer le droit. C’est à l’humanité qu’on doit rendre justice, pas à des individus.

C’est vrai, mais en même temps, c’est utopique. L’humanité ne procède pas comme ça ; elle procède par emboîtement d’individualismes et d’égoïsmes. Ses progrès, quand ils ont eu lieu, ont été dus au fait qu’à travers l’intérêt d’autrui, c’est mon propre intérêt qui progressait.

Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Qui donc a dit ça ?

Sunday, March 22, 2009

Citation du 23 mars 2009

«Schild op vriend?» (en flamand) [«Bouclier et ami?» (traduction française)]

Pierre Coning

Cette formule qui se rapproche de l'anglais «friend or foe?» devait décider du sort de tous ceux que l'on rencontrait à l'aube du 18 mai 1302 dans les ruelles de Bruges.

Il était impossible à qui n'était pas natif des Flandres de prononcer correctement cette expression. Les Français de la garnison se trouvaient ainsi démasqués et passés par les armes de la populace soulevée par Pierre Coning, un tisserand jaloux des libertés flamandes. (Voir le reste ici)

Le hurlement des loups est un moyen d’identification, chaque horde ayant ses propres modulations. On dit que les louveteaux passent des nuits entières à s’exercer à vocaliser comme ceux de leur meute : c’est leur moyen d’identification, sans le quel ils se feraient impitoyablement étrangler par leurs propres congénères. Il faut hurler avec les loups, mais pas avec n’importe les quels : spécialement avec ceux de notre bande.

Attendez : ce n’est pas ce genre de morale que je cherche à communiquer aujourd’hui.

Non : ce que je cherche c’est à comprendre sur quelle base nous nous identifions à notre groupe.

Parce que, n’est-ce pas, l’aspect extérieur est certes important, que ce soit la couleur de la peau, la coupe de cheveux ou le tee-shirt de supporter ; oui, mais il y a plus subtil. La langue compte aussi (voyez en Belgique), et quand ça ne suffit pas les rites religieux (voyez en Ireland).

Mais, par-dessus tout il y a l’articulation, l’accent, ce qui permet aux individus de se reconnaître plus sûrement que les chiens en se reniflant, et aussi bien que les loups en hurlant.

Nul doute que si les choses tournent mal en Belgique, on entende à nouveau «Schild op vriend?» dans les faubourgs de Bruxelles.

Oui, mais et chez nous ?

Lorsque l’Etat français utilisa l’Ecole pour détruire les langues régionales entre la fin du 19ème el le début du 20ème siècle, il ne parvint pas à supprimer l’accent des locaux, et c’est cela qui fait encore la différence. Si vous ne me croyez pas, écoutez les comptes-rendus du procès du « berger corse » : les journaliste corses parlent du procès Colo’(nna). Sans accent tonique, pas de corse !

Bon j’aurais pu prendre comme illustration l’adaptation de la pièce de Bernard Shaw, Pygmalion, porté à l’écran par Georges Cukor sous le titre My fair lady.

Mais non, je préfère parler de l’accent français.

Heu, pardon : corse.

Saturday, March 21, 2009

Citation du 22 mars 2009


Secret bancaire. Jeu de piste mis au point par les banquiers suisses pour distraire les douaniers français quand ils ont le stress.

Jacques Mailhot - La Politique d'en rire

D’où vient le stress ? Du travail ? Oui, peut-être, mais pourquoi ?

Wikipedia, comme d’habitude, nous fournit un élément de réponse :

« Un chercheur californien examine scientifiquement, depuis des années, le stress professionnel. Il a découvert deux facteurs importants dans le travail :

- La latitude de décision : le contrôle qu’un travailleur a la sensation d’avoir sur ce qu’il fait.

- Les exigences psychologiques : les exigences et pressions du travail.

« Un job à "haute tension" est un job où les exigences du travail sont fortes, mais où le contrôle du travailleur est faible. »

Je vous entend ricaner : ma citation concerne le stress des douaniers français, alors, n’est-ce pas, quand on lit « latitude de décision », et « exigence psychologiques »…

Vous en devriez pas rire : car voici comment se classent à partir de là les jobs les plus stressants :

1. Serveurs/euses / 2. Ouvrier sur chaîne de montage / 3. Assistants soignants / 4. Ouvriers de l’industrie du vêtement / 5. Perforatrices / 6. Opérateurs de téléphone / 7. Caissiers / 8. Typographes /

Alors, toujours ironique ?

Non ? Je vous vois pâlir un peu : et si moi aussi j’étais une victime du stress ? Peut-être suis-je stressé par mon travail, et que je ne m’en suis pas rendu compte ?

La citation du jour a deviné votre désarroi : grâce à des recherches approfondies, elle a trouvé un test pour dépister le stress. Le voici :

L'image en annexe a été utilisée lors d'une étude servant à mesurer les niveaux de stress, à l'hôpital Bichat.

Regardez les deux dauphins qui sautent hors de l'eau.

Ces deux dauphins sont rigoureusement identiques.

Les chercheurs se sont aperçus que, quand une personne est en situation de stress, elle trouve les dauphins plus ou moins différents l'un de l'autre.

Plus la personne trouve de différences entre les deux dauphins, plus son taux de stress est élevé.

Donc, si vous relevez beaucoup de différences entre les deux dauphins, un bon conseil :

Rangez toutes vos affaires, rentrez chez vous pour vous reposer ou prenez un peu de vacances.

Friday, March 20, 2009

Citation du 21 mars 2009

Monsieur Jourdain

Quoi ? quand je dis :" Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donner mon bonnet de nuit", c'est de la prose ?

Maître de philosophie

Oui, Monsieur.

Monsieur Jourdain

Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j'en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m'avoir appris cela.

Molière – Le bourgeois gentilhomme – Acte II, scène 6

Rhétorique 3 – La rhétorique

Nous avons l’habitude de considérer que monsieur Jourdain est l’exemple du gros nul, et que le maître de philosophie est un pédant qui enfonce des portes ouvertes.

Mais si nous y pensons plus sérieusement, nous sommes bien forcés de l’admettre : comme monsieur Jourdain nous faisons de la rhétorique sans le savoir, tous les jours et à tout moment. Dès que nous ouvrons la bouche pour parler.

Déjà, tout petit ne disiez-vous pas : « Ça, c’est caca ! ». Ou bien votre maman : « Mange ton quatre heures mon chéri ! »

Donc depuis votre naissance, ou du moins depuis que vous parlez, les métaphores, les métonymies n’ont eu d’autre secret pour vous que celui de leur définition savante.

Bien. Mais n’y a-t-il pas des domaines dans les quels la rhétorique se serait infiltrée à votre insu ?

Voyez par exemple la catachrèse qui consiste à détourner un mot de son sens habituel pour lui faire signifier autre chose : comme en ce moment les jardiniers taillent leur rosiers en conservant 3 « yeux » sur les tiges. La catachrèse est alors un mécanisme simple et plus général que les métaphores ou les métonymies.

Tellement général qu’on l’a étendue à l’ergonomie – voyez Wikipedia : On emploie le concept de la catachrèse (usage catachrétique) en ergonomie cognitive. La catachrèse est le fait d'utiliser un outil à portée de main à la place de l'outil ou l'instrument dédié à une tâche ou à l'action sur un objet de travail.

Pas découragé ? Alors, voyez la suite : Par exemple « utiliser son couteau de table pour dévisser une vis plutôt qu'un tournevis (que l'on n'a pas sous la main) » est une catachrèse.

Donc tout comme monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, vous, vous faites un usage catachrétique de votre couteau quand vous vous en servez pour autre chose que pour couper.

Nul besoin donc de parler pour faire de la rhétorique : le bricolage suffit.

Thursday, March 19, 2009

Citation du 20 mars 2009

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Mon cerveau ? C'est mon second organe préféré.
Woody Allen
Rhétorique 2 – L’ellipse
mon second organe préféré… Ah oui : et le premier, c’est le quel ?
Evidemment, personne ne va poser la question, parce que tout le monde l’a compris.
Et même c’est parce que tout le monde pense instantanément ce que ne dit pas la phrase, que celle-ci prend sa force. Disons que c’est une ellipse emphatique.
Le procédé est très courant et peut-être est-il aussi très manipulateur. Les sophistes se faisaient fort de pouvoir persuader n’importe qui de n’importe quoi, grâce aux ressources de la rhétorique. Sur quoi, Platon rétorquait que seule la vérité était désirable, et qu’il ne suffisait pas de persuader les autres pour avoir raison.
Bien vu. Mais si j’ai le pouvoir de persuader les autres, j’ai aussi le pouvoir tout court. Pas si mal.
Alors donc, comment persuader les autres, sinon en leur donnant le sentiment que c’est eux qui pensent ce que vous voulez leur faire penser ? Là est la manipulation, et elle porte un nom : c’est la séduction.
Ne l’oublions pas, et Kierkegaard l’a dit bien des fois (1) : le séducteur non seulement reste masqué, mais surtout, il donne l’impression à sa proie que c’est elle qui le capture. Dans le Journal du séducteur, c’est Célia qui va finalement ruser pour être possédée par Johanes.
Méfiez-vous donc des séducteurs.
(1) Voir Post du 24 mai 2006

Wednesday, March 18, 2009

Citation du 19 mars 2009

Gaby, je t'ai déjà dit que t'es bien plus belle que Mauricette
Qu'est belle comme un pétard qu'attend plus qu'une allumette
Ça fait craquer, au feu les pompiers

Gaby – Chanson d’Alain Bashung [texte et vidéo]

Comme à beaucoup de ses admirateurs, la mort d’Alain Bashung me laisse le sentiment d’avoir perdu quelqu’un qui comptait. J’avais consacré un post au vertige de l’amour le 29 août 2007. Aujourd’hui c’est le tour de Gaby et de Mauricette…

Rhétorique 1 – La métaphore

T’es belle comme un pétard qu'attend plus qu'une allumette… Depuis cette chanson, combien de filles se sont entendues complimentées de cette façon par leur petit copain ?

C’est très exactement ce qu’on appelle une métaphore, c'est-à-dire la désignation de quelque chose (= Mauricette) par une autre chose qui lui ressemble (le pétard qui est sur le point d’exploser). Autant dire qu’une métaphore ça peut être d’une affligeante platitude. Ou que ça peut être très pompier. Ou encore très barbant.

Et puis il y a la métaphore qui fait mouche, celle qu’on appelle depuis Ricœur, la métaphore vive.

Outre sa nouveauté, la métaphore vive est celle qui loin d’être une fantaisie sans consistance, libère un aspect oublié ou méconnu de la réalité. La platitude quant à elle résulte de la métaphore morte, celle qui copie le réel tel qu’il est, ou plutôt tel qu’on a pris l’habitude de le voir.

Selon Ricœur, la métaphore vive a ce pouvoir de révélation grâce à la capacité qu’a la parole de susciter du sens nouveau. Alors certes, la métaphore reste une mimésis (imitation), mais disons alors que cette mimésis est révélante.

« S'il est vrai que tout emploi du langage repose sur un écart entre les signes et les choses, il implique en outre la possibilité de se tenir au service des choses qui demandent à être dites » (1)

Voilà l’essentiel : il y a des choses qui demandent à être dites, comme il y a des pétards qui n’attendent plus qu’une allumettes.


(1) Ricœur – « Mimésis, référence et refiguration dans Temps et Récit », Etudes Phénoménologiques n°11, 1990, p.40. Sur la métaphore vive chez Ricoeur, on peut lire ceci.

Tuesday, March 17, 2009

Citation du 18 mars 2009

Chaque parole échangée, chaque ligne imprimée établissent une communication entre les deux interlocuteurs [issus de civilisations différentes], rendant étale un niveau qui se caractérisait auparavant par un écart d'information, donc une organisation plus grande.

Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, neuvième partie (voir texte en annexe)

A notre époque où nous pensons si fort à sauver la planète, que faisons-nous pour sauver les civilisations ? En 1955, Lévi-Strauss nous alertait sur les dégâts causés par la « mondialisation » de la culture.

Aujourd’hui, rien n’a changé sinon que tout est pire, et Lévi-Strauss qui a 100 ans dit qu’il lui est indifférent de continuer de vivre dans le monde tel qu’il est devenu.

Alors, et le développement durable, et le respect de la nature : ça ne sert à rien ?

Même si ce souci est bien dans la perspective ouverte par notre anthropologue – entropologue (1) – en 1955, l’oubli des civilisations et la mondialisation de la culture reste bien d’actualité.

Or c’est bien de cela que nous parle Lévi-Strauss : chaque communication entre les cultures réduit l’écart entre elles, par invasion ou par métissage, et donc efface leurs différences – en Amazonie aussi on porte des tee-shirts siglés Coca-Cola. Là est l’entropie culturelle.

Le Brésil a instauré, justement en Amazonie, des réserves indigènes dans les quelles les étrangers sont interdits : à chaque machette donnée à un indien, correspond un savoir faire de la pierre taillée qui disparaît.

Et l’ironie est que les anthropologues n’ont fait que précipiter le mouvement.

Car ce n’est pas seulement la technique de nos civilisations modernes qui est corruptrice pour les sociétés indigènes ; ce sont aussi les langues étrangères, de même que la science et l’organisation politique. C’est Margaret Mead, je crois, qui explique qu’en Océanie, une société des coupeurs de têtes avait comme rite initiatique pour les jeunes guerriers de rapporter une tête coupée sur un ennemi lors d’un combat. Le jour où l’Etat central a interdit cette pratique, la société en question a cessé d’exister, car elle était dans l’impossibilité de se renouveler. Je sais bien que cette pratique barbare – et beaucoup d’autres – ont du mal à être admises.

Mais au moins sachons que l’effacement des cultures est le prix à payer pour imposer les droits de l’homme à la surface de la terre (et je ne parle même pas du « progrès » sous toutes ses formes).


(1) Le jeu de mot implique l’entropie. Disons que l’entropie désigne ici l’espèce d’érosion qui vient à combler l’écart entre les cultures comme elle nivelle les montagnes et les vallées.

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Annexe

« Le monde a commencé sans l'homme et il s'achèvera sans lui. Les institutions, les moeurs et les coutumes, que j'aurai passé ma vie à inventorier et à comprendre, sont une efflorescence passagère d'une création par rapport à laquelle elles ne possèdent aucun sens, sinon peut-être de permettre à l'humanité d'y jouer son rôle. Loin que ce rôle lui marque une place indépendante et que l'effort de l'homme - même condamné - soit de s'opposer vainement à une déchéance universelle, il apparaît lui-même comme une machine, peut-être plus perfectionnée que les autres, travaillant à la désagrégation d'un ordre originel et précipitant une matière puissamment organisée vers une inertie toujours plus grande et qui sera un jour définitive. Depuis qu'il a commencé à respirer et à se nourrir jusqu'à l'invention des engins atomiques et thermonucléaires, en passant par la découverte du feu - et sauf quand il se reproduit lui-même -, l'homme n'a rien fait d'autre qu'allégrement dissocier des milliards de structures pour les réduire à un état où elles ne sont plus susceptibles d'intégration. Sans doute a-t-il construit des villes et cultivé des champs; mais, quand on y songe, ces objets sont eux-mêmes des machines destinées à produire de l'inertie à un rythme et dans une proportion infiniment plus élevés que la quantité d'organisation qu'ils impliquent. Quant aux créations de l'esprit humain, leur sens n'existe que par rapport à lui, et elles se confondront au désordre dès qu'il aura disparu. Si bien que la civilisation, prise dans son ensemble, peut être décrite comme un mécanisme prodigieusement complexe où nous serions tentés de voir la chance qu'a notre univers de survivre, si sa fonction n'était de fabriquer ce que les physiciens appellent entropie, c'est-à-dire de l'inertie. Chaque parole échangée, chaque ligne imprimée établissent une communication entre les deux interlocuteurs, rendant étale un niveau qui se caractérisait auparavant par un écart d'information, donc une organisation plus grande. Plutôt qu'anthropologie, il faudrait écrire ''entropologie'' le nom d'une discipline vouée à étudier dans ses manifestations les plus hautes ce processus de désintégration. »

Monday, March 16, 2009

Citation du 17 mars 2009

Il y a la nature qui est la chose que Dieu fait immédiatement et il y a l'art qui est la chose que Dieu fait à travers le cerveau de l'homme.

Victor Hugo – Océan

Les artistes, lieutenants de Dieu sur terre, poursuivant Son Œuvre pendant qu’Il se repose ?

Non, mais pour qui il se prend, Victor Hugo ? N’aurait-il pas pris la grosse tête par hasard ?

Et puis encore, les artistes : par n’importe les quels. Pas les danseurs, pas les chanteurs, peut-être même pas les musiciens. Car pour être artiste, il faut avoir un cerveau d’artiste. C’est avec ça qu’il va créer l’œuvre divine que l’homme porte en lui : la poésie.

Car on a bien compris que c’est à la création tenant du langage que Victor Hugo pense ; sinon, comment le cerveau serait à lui seul le promoteur de l’œuvre ? La poésie, qu’elle soit poétique au sens restreint ou qu’elle soit création au sens large du terme – donc aussi bien prose – est d’abord de la pensée faite mots.

Laissons de côté la question de savoir du Hugo blasphème ou pas. Laissons même de côté le débat sur la poésie comparée aux autres arts, et supposons que précisément nous ayons affaire aux artistes en général, et à toute forme d’art en particulier. Ce qui importe, c’est de comprendre à quelle expérience renvoie son idée.

Qu’est-ce que c’est que cette expérience vécue comme prolongement de la Création, sinon la création artistique au sens courant, c’est-à-dire ce qu’on éprouve lorsqu’on voit apparaître quelque chose qui n’existe que parce qu’on l’a produit, quelque chose qui n’existait pas avant, et dont on pense que personne d’autre que nous ne l’aurait produit. Cet « objet » que je viens de créer, c’est moi-même pris dans l’étoffe du monde, bon ou mauvais, satisfaisant ou décevant, il est mon représentant. On compare la création artistique ou littéraire à un enfantement : la différence, c’est que l’enfant qu’on met au monde reste à élever. L’œuvre, elle, est achevée : telle elle apparaît, telle elle restera.

Le danger de cette expérience de la création est le narcissisme : que je trouve cette œuvre adorable, parce qu’elle est un peu de moi-même, et c’est la porte ouverte à tous les dérapages, à toutes les médiocrités.

Alors bien sûr quand en plus on se prend pour Dieu en personne…

Sunday, March 15, 2009

Citation du 16 mars 2009

Vous n'avez pas besoin d'un cerveau pour écouter de la musique.
Luciano Pavarotti
Mille et une façon de justifier ce propos ; mille et une façon de le réfuter.
Mais même si cette façon de découper en tronçon l’être humain est peu recommandable, il n’en reste pas moins que la musique a cette capacité à agir directement sur l’affect sans impliquer l’intellect.
Tout se passe comme si la musique était en contact direct avec nos sentiments et nos émotions. Même si une certaine culture musicale – quelle que soit la musique – apporte une plus ou moins grande réceptivité, il n’en reste pas moins que pour l’essentiel c’est la réceptivité qui caractérise l’action de la musique.
Et c’est pour ça que les philosophes et les utopistes de tout poil se sont méfiés de la musique et ont voulu l’asservir à leurs projets. Qu’on se souvienne des démêlées de Chostakovitch avec Staline : il n’a échappé au goulag que parce qu’il a su glorifier par ses symphonies l’enthousiasme des paysans et l’héroïsme des soldats de l’armée rouge - réservant à ses quatuors l’expressions de ses véritables angoisses.
Platon qui s’y connaissait sans doute assez peu en musique, mais très bien en dictature voulait bannir de sa Cité la musique, à l’exception de la musique militaire.
Alors, dans notre époque qui se caractérise par une culture de l’interdit et de la pénalisation, où les mineurs ne peuvent plus acheter d’alcool ni de tabac – et encore moins de haschich – où on va castrer les pédophiles et embastiller les fous, comment se fait-il que la musique ne soit pas soumise à la censure ?
Allez, un peu d’imagination : vous trouvez normal, vous, que vos enfants puissent librement télécharger du rap ou pire encore – si c’est possible - le death-satanic-trash-trans-metal genre
Lordi (les vilains vainqueurs de l'eurovision ya quelques années) ? (1)


(1) Sur Lordi, on peut relire mon Post de l’époque.
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Annexe. La citation à la quelle vous avez échappé aujourd’hui :
Quand j'écoute trop Wagner, j'ai envie d'envahir la Pologne. [Woody Allen]

Saturday, March 14, 2009

Citation du 15 mars 2009

Ni de son chef le trésor crépelu, / Ni de son ris l'une et l'autre fossette, / Ni l'embonpoint de sa gorge grassette, / Ni son menton rondement fosselu,


Ni son bel oeil que les miens ont voulu / Choisir pour prince à mon âme sujette, / Ni son beau sein dont l'Archerot me jette / Le plus aigu de son trait émoulu,


Ni son beau corps, le logis des Charites, / Ni ses beautés en mille coeurs écrites, / N'ont esclavé ma libre affection.


Seul son esprit, où tout le ciel abonde, / Et les torrents de sa douce faconde, / Me font mourir pour sa perfection.

Ronsard – Premier livre d’Amour

Aujourd’hui, c’est dimanche : jour de fête, de loisir et de plaisir. Jour de gourmandise. Jour de Ronsardise.

Ce sonnet je vous le propose pour sa douce sensualité, non pas torride, mais juste un peu échauffante. Et je l’ai aussi choisi pour son imprévisible chute, où Ronsard après avoir énuméré les appâts de sa belle amie, lui confesse que seules les perfections de sa pensée et de ses propos ont pu, surpassant en attrait ses charmes physiques, esclaver sa libre affection.

Et vous, mes chers lecteurs, inspirez-vous aussi de Ronsard : pour faire votre déclaration d’amour, montrez à la femme de votre vie que les inflexions de sa voix quand elle vous lit une page de Ronsard (ou de Goethe, ne soyons pas sectaires) vous ragaillardissent plus encore que son …

….Et si ce post est si court, c’est pour vous laisser le temps de relire le sonnet de Ronsard.

Friday, March 13, 2009

Citation du 14 mars 2009



Le pastis, c'est comme les seins. Un c'est pas assez et trois c'est trop.

Fernandel

Trois seins !... Où est-ce qu’il va chercher ça notre Fernandel national ?

Ne vous creusez pas la tête, c’est très courant, même si ça porte un nom barbare : c’est de la trimammophilie, et ce n’est pas une maladie.

Voilà : adieu la maladie, mais bonjour le fantasme.

Voyons un peu ça.

Déjà, on en a une trace accessible partout avec la Science Fiction, qu’elle soit en bandes dessinées ou en films (1).










Ensuite, dans la Mythologie où l’on fera le détour par la louve capitoline :














… pour revenir très vite à sa traduction fantasmatique :





Et là, on se dit que Fernand

el s’était trompé : trois seins ça ne va pas, non pas parce que c’est trop, mais parce que c’est asymétrique.

Parce que là, avec 6 (soit : deux rangées de trois), ça va très bien.



(1) Il s’agit d’une B.D. de Valerian et d’une image du film Total recall

Thursday, March 12, 2009

Citation du 13 mars 2009

Chaque individu […] en dirigeant cette industrie (1) de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, ne pense qu’à son propre gain ; en cela, comme en beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible, à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société, que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions.

Adam Smith – Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations livre IV, ch. V, paragraphe 9

[Philon] : Pourquoi un système ordonné ne peut être tissé du ventre aussi bien que du cerveau, c’est ce dont il lui sera difficile de chercher une raison satisfaisante.

Hume – Dialogues sur la religion naturelle

[Oui, Mandeville aussi était anglais et lui aussi écrivait au XVIIIème siècle... (Cf. Post du 19 janvier 2009)]

On a beau dire, que l’économie et la finance au XXIème siècle sont des inventions beaucoup trop techniques et beaucoup trop complexes pour être ramenées à des considérations idéologiques : comment échapper à l’interrogation que suscitent aujourd’hui encore ces remarques ?

1ère idée : il y a une main invisible, autrement dit un principe immanent et inconscient qui dirige l’activité économique des hommes dans la société, échappant à l’intention politique et aux lois, et seuls les appétits individuels constituent le ressort de cette activité. Le moins d’Etat possible, c’est en même temps le plus de main invisible possible.

2ème idée : cette main n’est pas gouvernée de la tête, mais du ventre (2). L’essentiel est que ces passions, qui justement chez Platon sont la source des désordres abominables de la tyrannie, sont chez Hume l’origine d’un système ordonné. C’est même la raison pour la quelle ces passions n’ont pas à être gouvernées, même et surtout pour le bien de tous

3ème idée : si ce gouvernement est sage, c’est que la providence divine n’oppose pas l’intention de Dieu et l’appétit des hommes : c’est jusque dans leurs désirs et leurs besoins secrets et égoïstes que les hommes suivent le plan que Dieu a en projet pour la Création. Leur désir est la face humaine de la volonté divine. C’est ce que dit Bossuet, et finalement le libéralisme se construit là-dessus.

L’Etat rationnel (invention des Lumières et de Hegel) ne peut se substituer à cette main invisible, car tout ce qu’il fait ne peut qu’entrer en conflit avec cette obscure sagesse.

--> Lorsque notre époque voit les plus libéraux des chefs d’Etat décréter des nationalisations de banques, c’est sans doute que la main invisible est devenue provisoirement une patte folle. Mais c’est aussi pour lui redonner le plus vite possible prise sur les événements.

Je veux bien croire à la moralisation de la politique. J’aurai tout de même un peu plus de mal à croire à la moralisation de l’économie et de la fiance. Quand on me parle d’entreprise citoyenne, je sors mon Adam-Smith.


(1) Industrie : métier dont on tire ses moyens d'existence

(2) Si on en croit Platon, le ventre est le lieu des passions sans freins de la sensualité ; c'est-à-dire un peu tout sauf la passion de l’honneur : voir la République, livre IX

Wednesday, March 11, 2009

Citation du 12 mars 2009

L'amour est la rencontre de deux myopes que le temps rendra presbytes.

Robert Sabatier – Le Livre de la déraison souriante

J’hésite à traduire, tant le sens est évident, et qu’à le dire on prive d’une part de son plaisir.

Enfin, puisque c’est là le thème de ce Blog, allons-y :

- les amoureux sont myopes, parce qu’ils ne voient pas plus loin que l’autre serré contre leur cœur.

- Ils deviennent presbytes lorsque le temps, usant leur amour sans défaire leur couple, les empêchera de voir que l’autre existe encore, pour ne regarder que ce Grand Monde qui défile et maudire ce couple qui les empêche d’en profiter.

- Le myope en passe de devenir presbyte, traverse une période pendant la quelle il voit normalement, et de près et de loin. Est-ce le cas de l’amour ? Faut-il valoriser les couples plus très jeunes et encore pas vieux, les célébrer comme les vrais amoureux, ceux qui représentent l’idéal à atteindre ?

--> Faudrait-il attendre – je ne sais pas moi : disons 10 ans – avant de se marier, histoire de savoir situer le conjoint dans le vaste monde ?

- Marie-Hélène, mon amour, voici un an que nous nous connaissons et depuis ce jour je n’ai cessé de vous aimer, de vous contempler dans votre splendeur et votre éclat qui éclipsent le reste du monde. Marie-Hélène, je respecte votre virginité depuis un an, mais aujourd’hui, je vous le demande : marions-nous, nous irons vivre dans la propriété de mes parents en Sologne.

- Charles-Henri, je ressens la même chose que vous. Mais croyez-moi, nous ne devons pas arriver vierges au mariage.

Je ne crains pas que vous risquiez de découvrir que je ne suis pas celle qu’il vous faut, non. Mais je craindrais plutôt que, progressivement, mettant en balance ce que vous gagnez en ma compagnie avec ce que vous allez y perdre, vous vous détourniez de moi.

Pacsons-nous plutôt, et dans 10 ans, nous nous marierons si nous l’estimons justifié.

Tuesday, March 10, 2009

Citation du 11 mars 2009

Il [Sterne, dans son Voyage sentimental] raconte qu’il fit l'épreuve [des effets de la louange] sur trois personnes qui n'étaient pas sans mérite ; il commença par les écouter, ce qui est une flatterie très agréable ; ensuite il en redemanda ; et enfin il les reconnut supérieurs comme ils voulaient l'être, sans restriction […] Pour avoir été trois fois flatteur dans cette soirée, et impudemment flatteur, il se fit trois amis, trois vrais et fidèles amis, qui ne l'oublièrent jamais et lui rendirent mille services sans qu'il le demandât.

Alain – Propos (15 novembre 1907)

Donc, si vous voulez savoir comment vous faire des amis, voilà une recette cautionnée par la philosophie elle-même, en la personne d’Alain.

J’en vois qui pourtant ne sont pas d’accord :

- D’abord, il y a ceux qui disent que des amis tels que ces flatteurs, ils n’en veulent pas.

Les amis, les vrais, sont ceux qui n’hésitent pas à nous secouer sévèrement quand nous oublions la réalité. Ceux qui nous mettent le nez « dedans », quand nous nous mettons à rêver et que ça nous nuit.

Mais serions-nous à l’écoute de ces braves amis si d’abord ils ne nous avaient pas montré combien ils nous aimaient – non pas tels que nous sommes, mais tels que nous voudrions être ?

- Ensuite, on observera qu’on peut être ami de ceux qui nous flattent mais rien ne prouve qu’ils se considèrent eux-mêmes comme nos amis. Comment serait-on ami de ceux qu’on est entrain de gruger ?

On pourrait répondre que si ce n’est pas beau de flatter aussi bassement, il n’en reste pas moins que la sincérité ne nous aide sans doute pas à nous faire des amis. Ainsi, même Pascal écrivait : "Je mets en fait que si tous les hommes savaient ce qu’ils disent les uns des autres, il n’y aurait pas quatre amis dans le monde." (1).

--> Mais pour finir, nous dirons qu’une chose est de se faire des amis, une autre de les garder.

Et pour rester amis, il nous faut un peu plus qu’un élan spontané et peut-être provisoire.

Les grecs, spécialistes de l’amitié, pensaient que l’amitié était une relation à l’excellence et à la vertu, qu’elle soit chez les autres ou en soi-même. C’est ainsi qu’Aristote disait que l’homme de bien est ami de lui-même dans un combat perpétuel pour plus de vertu (2).

Mon ami est mon alter ego, tel je le traite, tel je me traite.


(1) Voir Post du 4 février 2006

(2) Aristote – Ethique à Eudème, VII, chapitre 6

Monday, March 09, 2009

Citation du 10 mars 2009


Restez pas planqués sous la minijupe de votre mère. Arrêtez de partir avec nos frères. Revenez, on ne sait plus sur quoi s’asseoir.

Miss.Tic et La Gabin (Siné-Hebdo)

Avouez qu’on l’avait pressenti nous à La citation du jour – on avait osé ceci :

Il existe trois catégories de femmes : les putes, les salopes et les emmerdeuses. Les putes couchent avec tout le monde, les salopes couchent avec tout le monde sauf avec toi, les emmerdeuses ne couchent qu'avec toi.

San-Antonio – Les pensées

Oui, mais comme les pauv’types qu’apostrophe La Gabin, je m’étais dégonflé, et j’avais pondu un texte couleur muraille sur le genre des articles définis…

Bref, les femmes se plaignent que chez les hommes ce soit en débandade, que les apaches de nos grand mères soient devenus des supporters de foot qui recherchent plus la cuite que la promiscuité… Je ne vais pas en rajouter, La Gabin l’a fait et mieux que moi.

--> Alors, il est où, le supplément de sens que le philosophe est censé apporter dans tout ça ?

Conceptualisons s’il vous plait.

Qu’est-ce qu’une salope ?

Une salope, comme le dit San Antonio, c’est une femme qui couche avec tout le monde, sauf avec toi. Autrement dit, elle donne ce que tu veux imposer aux femmes, oui, mais elle prétend choisir à qui elle va donner.

Problématisons maintenant.

Quid de la soumission? La salope veut décider qui sera son maitre? Est-ce possible?

Y a-t-il un philosophe qui a philosophé là-dessus ?

Oui : c’est Donatien de Sade, le divin marquis. Dans son Adresse aux français (Français, encore un effort si vous voulez être républicains) – constituant la 5ème partie de la philosophie dans le boudoir (publié en 1795) – il réclame une loi autorisant pour les femmes de se prostituer tant qu’elles le veulent.

Les putes insoumises, c’est lui qui les a inventées.

Dialectisons à présent.

Oui, mais…c’est vrai qu’il a aussi inventé le droit de les soumettre si elles n’y consentent pas. Quel salaud…

Lâchons le message :

Françaises, encore un effort si vous voulez devenir des salopes !

Brûlez Sade… Et puis, après, réécrivez-le.

Sunday, March 08, 2009

Citation du 9 mars 2009

Notre époque obsédée par l'instantanéité est myope. Elle croit avoir tout inventé et être l'aboutissement de tout et elle regarde le passé d'un oeil au mieux condescendant.

Jean Dion – Le Devoir (journal québécois) - 10 Décembre 2000

Ce genre de remarque est très courant et en même temps très décevant.

Très courant, parce que c’est de nos jours une banalité de gémir sur l’oubli du passé et de la tradition, oubli que nous payons par les pires égarement qui nous conduisent à refaire exactement les mêmes erreurs que nos ancêtres : nous n’avons décidément rien appris.

Mais aussi, très décevant : tant qu’à faire de dénoncer la myopie qui nous affecte, prenons-là au sens stricte : elle nous empêche non pas de nous retourner vers la passé (ça serait plutôt de l’arthrose cervicale), mais bien de voir au loin, c’est à dire vers le futur.

Ça y est : vous voyez où je veux en venir je suppose ?

La crise ! Oui, la crise (1)… Nous avons le nez dessus, obsédés par ce qu’elle va être demain matin, quelles souffrances, quelles restrictions elle va nous apporter. Et comme faire pour en éviter les effets.

Mais avons-nous le souci de deviner sur quel monde elle va déboucher ? Y aura-t-il un après, différent de l’avant ? Suffira-t-il de régler quelques détails pour que tout reparte ? Y a-t-il une soif du profit, inscrite dans les gènes de l’humanité, qui nous interdirait tout changement ? Ou, au contraire, l’homme issu de sa propre histoire doit-il prendre celle-ci à bras le corps pour lui imposer un virage radical ?

On pourrait au moins se poser la question. Dans les années 60-70, on pensait souvent en terme de révolution. Ce n’était pas très réaliste, ça j’en conviens. Mais au moins, ça évitait la myopie.

Au fond le problème, c’est de regarder au loin et d’y voir clair.

Fra-ter-ni-té, ou Pro-fi-ta-tion ?


(1) Il y aurait toute une étude à faire sur l’usage de l’idée de crise à chaque tournant de siècle.

Ainsi, au tournant du 19ème et du 20ème siècle, c’était la crise de la civilisation européenne qui agitait beaucoup les esprits. En philosophie, on a gardé le souvenir du texte de Husserl (un peu plus tardif il est vrai : 1935), La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale.

Saturday, March 07, 2009

Citation du 8 mars 2009

Il existe trois catégories de femmes : les putes, les salopes et les emmerdeuses. Les putes couchent avec tout le monde, les salopes couchent avec tout le monde sauf avec toi, les emmerdeuses ne couchent qu'avec toi.

San-Antonio – Les pensées

Mme de Sévigné s'informant de la santé de Ménage (1), il lui répondit : « Madame, je suis enrhumé. - Je la suis aussi, dit-elle. - Il me semble, répartit Ménage, que selon les règles il faudrait dire : je le suis. - Vous direz comme il vous plaira, mais pour moi je croirais avoir de la barbe si je disais autrement. »

Baron de GRIMM – Correspondance littéraire, philosophique et critique

8 mars, journée internationale de la femme…

Habituellement, je me laisse aller à une fantaisie douteuse sur le rapport homme/femme, histoire de tester la réactivité de mes lecteurs – du genre Pensées de San-Antonio.

Mais cette année, avec la Crise, il m’a semblé qu’il fallait proposer à ceux qui seraient d’humeur chagrine, une pensée qui puisse occuper leur esprit sans les agiter excessivement.

Quelque chose sur le féminin - mais qui soit neutre en même temps.

Ainsi donc la féminisation des tournures de phrases inquiétait déjà les beaux esprits du 17ème siècle, bien avant que notre Académie Française (née justement à l’époque de Ménage de madame de Sévigné) ne se soucie de savoir si la ministre devrait plutôt être le ministre, ou la ministresse ?

Remarque un peu plus préoccupante que la rigueur grammaticale : la marquise de Sévigné (2) assimile le genre et le sexe. Une femme ne peut être du genre masculin, et tout ce qui la désigne de même. (De même dans les langues qui possèdent le genre neutre, qu’on utilise pour désigner le bébé ce qui semble renvoyer à une indécision sur le sexe qui est le sien.)

Décidément, même si les langues ont leur logique propre, aucune d’entre elle ne peut échapper aux fantasmes de leurs usagers – et usagères ?


(1) Rappel : même si Gilles Ménage avait eu une femme (ce qui ne fut pas, voyez ici), nous ne parlons pas de la femme de ménage, mais du grammairien du XVIIème siècle

(2) Marie de Rabutin-Chantal, pour les intimes.