Friday, February 01, 2008

Citation du 2 février 2008

Pendant l'insomnie, je me dis, en guise de consolation, que ces heures dont je prend conscience, je les arrache au néant, et que si je les dormais, elles ne m'auraient jamais appartenu, elles n'auraient jamais existé.

Emil Michel Cioran

Je sais que Dominique de Villepin se place, dans son récent ouvrage (1), sous la tutelle de Pessoa, d’Artaud, et bien sûr de Rimbaud et de Baudelaire. Je ne sais pas s’il évoque Cioran ; mais on voit que celui-ci a quelque chose de commun avec notre ex-premier ministre : il fait l’éloge de l’insomnie.

Etes-vous insomniaque ? Non ? Alors vous ne pourrez peut-être pas comprendre ce qui va suivre (2).

Il y a deux types d’insomniaques : les plus courant - du moins ce sont eux qui s’expriment le plus couramment - considèrent leur insomnie comme une malédiction, expérience de solitude, d’angoisse, l’enfer vécu dès notre monde. Le type de ce genre, c’est Macbeth que son crime abominable prive de l’innocence du sommeil (3). Le commentaire de cette tirade hallucinée suffirait à remplir la méditation du jour : je resterai modeste, en ne souillant les marges de ces pages immortelles d’aucune annotation.

Il y a aussi ceux qui voient dans l’insomnie une chance : celle de vivre des heures « arrachées au néant ». Le sommeil et le néant ne font qu’un, l’insomnie c’est de la vie en plus.

Oui, mais quelle vie ? Tout est là.

Pour Cioran, les affres de l’angoisse sont lucidité. L’insomnie, même angoissée vaut mieux que l’illusion de la paix du sommeil. Dominique de Villepin affirme quant à lui que l’insomnie offre un temps pour le nécessaire retrait devant l’action : elle est le moment de la réflexion qui manque à l’homme soumis aux exigences de l’action incessante. L’insomnie ne serait donc pas un état nouveau, différent en tout cas de la veille, mais simplement un prolongement de la vie.

Mais est-ce là l’insomnie véritable ? Ne fait-on pas l’expérience de tout autre chose ? Le stress de l’insomnie en est-il la cause ? Ou bien ne faudrait-il pas dire plutôt que cette angoisse est la conséquence de l’insomnie, que celle-ci est un état de réceptivité particulier, à nul autre pareil.

Les grecs considéraient que les Dieux se manifestaient à nous pendant notre sommeil : les rêves sont des oracles. Mais l’insomnie n’est-elle pas alors le moment ou les malédictions des Dieux ou des démons, qu’importe, pleuvent sur nous ? Sans doute. Mais il y a plus : l’insomnie de Macbeth n’est pas seulement la réminiscence des fautes ; elle est aussi la torture de la mauvaise conscience.

Alors : un bout de vie en plus ou l’enfer à temps partiel ? Dis-moi quelle est ton insomnie, je te dirai qui tu es.

(1) Dominique de Villepin" Hôtel de l'insomnie (Plon). L’hôtel en question est l’Hôtel Matignon.

(2) Je suis pour ma part un insomniaque de fin de nuit

(3) "Sleep no more!
Macbeth does murder sleep," the innocent sleep, / Sleep that knits up the ravell'd sleave of care, / The death of each day's life, sore labour's bath, / Balm of hurt minds, great nature's second course, / Chief nourisher in life's feast—

«Ne dormez plus! Macbeth assassine le sommeil, l'innocent sommeil, le sommeil qui débrouille l'écheveau confus de nos soucis; le sommeil, mort de la vie de chaque jour, bain accordé à l'âpre travail, baume des âmes blessées, loi tutélaire de la nature, l'aliment principal du festin de la vie.»Acte II, scène 2

La suite en anglais ; et en français

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