Sunday, September 30, 2007

Citation du 1er octobre 2007

- Si un homme a un fils indocile et rebelle, n’écoutant ni la voix de son père, ni la voix de sa mère, et ne leur obéissant pas même après qu’ils l’ont châtié,

- le père et la mère le prendront, et le mèneront vers les anciens de sa ville et à la porte du lieu qu’il habite.

- Ils diront aux anciens de sa ville : Voici notre fils qui est indocile et rebelle, qui n’écoute pas notre voix, et qui se livre à des excès et à l’ivrognerie.

- Et tous les hommes de sa ville le lapideront, et il mourra. Tu ôteras ainsi le mal du milieu de toi, afin que tout Israël entende et craigne.

Deutéronome - 21, 18-21

Commentaire 2

Il s’agit du passage du Deutéronome évoqué hier dans la citation de Lombroso.

La désobéissance de l’enfant à l’égard de ses parents est un délit qui ne relève pas seulement de la vie privée, mais qui constitue aussi un délit public, puisque la loi bafouée est celle du Seigneur : celui qui désobéit à son père, désobéit au Seigneur Dieu. Il désobéit donc aussi aux lois du son pays (1).

Mais si on imagine qu’il s’agit là seulement des mœurs des anciens hébreux, qu’on écoute cette anecdote, racontée par Alfred Hitchcock.

- Quant il était enfant, il désobéit un jour à son père. Celui-ci griffonna quelques lignes sur un moreau de papier qu’il tendit à son fils : « Va porter ça de ma part au commissariat du coin de la rue. » L’enfant y va. Le policier lit le papier et enferme le petit Alfred dans une cellule, jusqu’à ce que son père vienne le délivrer.

Hitchcock prétend que son sens du suspens vient de là. Peut-être. Mais surtout on comprend que l’ordre social ne s’arrête pas au seuil de la maison, même si aujourd’hui ce serait plutôt en sens inverse que ça fonctionne (le père qui double la punition reçue à l’école).

…Terrible message biblique. Mais encore plus qu’on ne croit : car ce qui est en cause ici c’est l’apprentissage de l’obéissance. Un père doit respecter l’autorité de la loi au point de faire lapider son fils désobéissant, et cela afin que tout Israël entende et craigne.

Mais, rassurons-nous. Qu’on se rappelle que c’est Dieu qui est au fond de tout ça : nulle autorité n’existe qui ne soit fondée sur la puissance de celui au nom de qui elle est exercée. Si vous voulez que cette autorité soit sans limites alors vous devez dire que le loi du Seigneur surpasse les lois humaines, et que tout homme qui exerce un pouvoir absolu doit être considéré comme s’il était Dieu.

Au fond, la formule anarchiste : Ni Dieu, ni maître, est parfaitement redondante.

(1) N’oublions pas que nous sommes chez les hébreux : leurs lois sont celles-là mêmes que Dieu donna à Moïse sur le Sinaï

Saturday, September 29, 2007

Citation du 30 septembre 2007

La Bible (Deuter. 21, 18-21) l’avait déjà proclamée, quand elle ordonnait au père de faire lapider par les Anciens le fils méchant, ivrogne et rebelle à la voix de ses parents et à leurs corrections . L’éducation peut, en effet, empêcher une bonne nature de passer du crime infantile et transitoire au crime habituel - mais elle ne peut changer ceux qui sont nés avec des instincts pervers.

Cesare Lombroso - L’homme criminel (1895)

Commentaire 1

Que faire des criminels ? S’ils sont malades incurables, quelque soit leur pathologie, que faire de ces hommes ?

Si on estime qu’ils sont irrécupérables, alors la mort est la seule issue. La Bible l’a dit (voir lien Deutéronome), Platon l’a dit (Protagoras - voir le texte en annexe).

Vous me direz que les intégristes bibliques ne sont pas légion parmi nous, et que personne ne songe vraiment à rétablir la peine de mort contre les pédophiles, s’il s’agit non pas de faire un exemple (et comment des malades seraient-ils sensibles à l’exemplarité ?), mais de les empêcher de nuire. Mais tout porte à croire que le retour obsessionnel de la question conduit un certain nombre d’esprits un peu fragiles à envisager cette réponse.

L’idée qui sous tend cette question, c’est en effet que le criminel est criminel par nature, et la peine d’emprisonnement qui lui est infligée, peut éventuellement racheter sa faute, elle ne peut en revanche en faire un individu sans danger pour les autres.

Et c’est bien ce que Lombroso avait défendu comme idée : avant d’envisager la responsabilité de la société il avait dégagé plusieurs types physiques de criminels, ce qui supposait que leur crime était inscrit dans leur corps avant de l’être dans les faits. Opinion répandue très généralement à l’époque : n’oublions pas que les bagnards étaient relégués à Cayenne une fois leur peine accomplie. C’était donc là une réponse à la question : Que faire des criminels ?

Voilà. Les braves gens qui pensent que la lapidation c’est bon pour les islamistes et que nous n’en sommes plus là, demandez-leur ce qu’ils veulent faire des pédophiles.

Je suis sûr qu’ils vous proposeront le camps de concentration.

****************

Annexe.

Hermès : Dois-je répartir ainsi la justice et la pudeur parmi les hommes, ou les partager entre tous ? — Entre tous, répondit Zeus ; que tous y aient part, car les villes ne sauraient exister, si ces vertus étaient, comme les arts, le partage exclusif de quelques-uns ; établis en outre en mon nom cette loi, que tout homme incapable de pudeur et de justice sera exterminé comme un fléau de la société. (Platon - Protagoras 322c)

Friday, September 28, 2007

Citation du 29 septembre 2007

L'homme est un adolescent diminué.

Michel Houellebecq - Extension du domaine de la lutte

La citation de Houellebecq ne se comprend qu’avec le secours de la néoténie.

La néoténie, qu’est que c’est ?

- Définition - Néoténie : La néoténie décrit, en biologie du développement, la conservation de caractéristiques juvéniles chez les adultes d'une espèce. (lire la suite)

- Si vous voulez avoir une idée réjouissante des manipulations liées à la valorisation de la néoténie, vous pouvez aussi lire ça !

- Mais si, après tout ça, vous vous demandez encore en quoi ça peut vraiment vous concerner, ne bougez pas, j’arrive.

1 - L’homme descend du singe, tout le monde le sait (ou d’un ancêtre commun, on ne s’arrêtera pas à ça). Si l’homme est plus évolué que le singe, à quoi le doit-il ?

Réponse : au fait que le crâne de l’homme adulte a toutes les caractéristiques de celui du fœtus de chimpanzé (voir image ci-dessous). Ajoutons pour être tout à fait clair, qu’entre le crâne du fœtus humain et celui de l’homme adulte il n’y a pas de différence notable, à l’opposé de ce qu’on constate chez le chimpanzé.

2 - Alors, si on prend au sérieux la néoténie ainsi entendue, on doit reconsidérer la hiérarchie des ages de la vie.

Le propre de l’homme, c’est de conserver sa vie durant les caractéristiques du fœtus qu’il a été - ou pour faire simple - de l’enfant, voire de l’adolescent. Bref, ce qui fait de l’homme un homme, c’est qu’il n’est jamais homme (= adulte).

3 - Si je m’en tiens à une évaluation très courante, ce que l’adulte possède en plus de l’enfant, c’est le sens des réalités. Mais si ce plus est en réalité un moins, alors on dira que ses grands exploits, l’humanité les a accomplis par caprice, comme un enfant qui veut que les fées lui donnent tout tout de suite.

Voyez les Grands voyages. Christophe Colomb s’engage sur une mer inconnue avec pour seule carte la description qu’en donne Saint Augustin, qui lui garantit qu’il y a pour 20 jours de navigation. Seul un enfant aurait pu y croire. Christophe Colomb l’a cru.

Si donc vous avez des rêves déraisonnables, réfléchissez y à deux fois avant de les jeter pardessus bord !

Thursday, September 27, 2007

Citation du 28 septembre 2007

- Un docteur de la loi se leva, et dit à Jésus, pour l’éprouver : Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ?
- Jésus lui dit : Qu’est-il écrit dans la loi ? Qu’y lis-tu ?
- Il répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, et de toute ta pensée ; et ton prochain comme toi-même.
- Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela, et tu vivras.
- Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : Et qui est mon prochain ?

Evangile de Luc, 10, 25-28

Le docteur ose poser la question que personne n’ose poser : qui est mon prochain ?

Personne n’ose la poser, parce qu’elle est trop simple : ne pas paraître ignorant en ignorant quelque chose de si évident. Mais la réponse de Jésus montre que ce n’est pas si évident, puisqu’il utilise une parabole pour répondre : la parabole du Bon Samaritain (1).

Pourquoi faire appel au Samaritain ?

Par rapport aux juifs, le Samaritain est un étranger. Aujourd’hui, nous devrions réécrire cette parabole avec le Bon Turc, ou le Bon Chinois (mettez qui vous voudrez, je ne veux vexer personne) : ce qui compte c’est que, pour cet étranger, nous sommes tous des étrangers. Le Bon Samaritain secoure quelqu’un qu’il ne connaît pas, qui n’est pas de son monde, voire même, quelqu’un qui appartient à une société qui lui est hostile.

Et c’est avec celui-là qu’il faut être miséricordieux, parce que c’est celui-là qui est mon prochain.

Alors, ça veut dire que le prochain, c’est celui qui est éloigné et non pas proche - on comprend qu’il faille une parabole pour nous expliquer cela.

Répondons maintenant au Docteur de la Loi : le prochain, c’est mon voisin, certes, mais aussi le voisin de mon voisin. L’essence du prochain, c’est dans l’éloignement qu’elle se manifeste le plus évidemment : quand je dis que je préfère ma femme à ma belle-mère, ma belle fille à ma voisine, et ma voisine à l’étranger, j’admets que tous ces gens font partie de ce que j’appelle le « prochain ». Mais je surcharge alors le prochain d’une couche d’affectivité particulière : c’est cela qui doit être mis à l’écart pour que la véritable miséricorde puisse se manifester.

Au S.D.F. d’aujourd’hui :

- Désolé mon vieux, mais je ne te connais pas : qui tu es toi ?

- Parce que tu ne me connais pas, tu dois me reconnaître : je suis ton prochain.

- Mon prochain ? Tu n’entres pas dans mes quotas. Dehors !

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(1) Voici La parabole du Bon Samaritain (qui n’est autre que la suite de notre citation) :
Jésus reprit la parole, et dit : Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba au milieu des brigands, qui le dépouillèrent, le chargèrent de coups, et s’en allèrent, le laissant à demi mort.
Un sacrificateur, qui par hasard descendait par le même chemin, ayant vu cet homme, passa outre.
Un Lévite, qui arriva aussi dans ce lieu, l’ayant vu, passa outre.
Mais un Samaritain, qui voyageait, étant venu là, fut ému de compassion lorsqu’il le vit.
Il s’approcha, et banda ses plaies, en y versant de l’huile et du vin ; puis il le mit sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie, et prit soin de lui.
Le lendemain, il tira deux deniers, les donna à l’hôte, et dit : Aie soin de lui, et ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour.
Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé au milieu des brigands ?
C’est celui qui a exercé la miséricorde envers lui, répondit le docteur de la loi. Et Jésus lui dit : Va, et toi, fais de même. (Luc, 10 30-37)

Wednesday, September 26, 2007

Citation du 27 septembre 2007

L’esquisse ne nous attache peut-être si fort, que parce qu’étant indéterminée, elle laisse plus de liberté à notre imagination, qui y voit tout ce qu’il lui plaît.

Diderot - Salon de 1767

Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, Diderot ne fait pas l’éloge de l’esquisse, qui n’a aucun des mérites qu’on lui imagine, qui ne l’aura que si l’effort essentiel de la transformer en œuvre est fait (1). Ou plutôt, si l’esquisse a du génie, celui-ci est dans l’imagination, que ce soit celle de l’artiste ou celle du spectateur. Lui manque le travail qui, en matérialisant son contenu, lui donnera une existence - mais aussi la figera dans une forme définitive.

L’esquisse nous attache, mais elle n’est pas une œuvre. L’essentiel reste à faire.

Je crois que notre époque a tout à fait choisi l’esquisse contre l’œuvre définitive.

Déjà, les tableaux de nos maîtres sont devenus de plus en plus « inachevés » : Cézanne en est peut-être l’exemple le plus évident. Les zones où la toile apparaît sans peintures (des « réserves ») sont comme des invites à imaginer ce que le pinceau de l’artiste n’a pas réalisé. L’esquisse est non seulement compatible avec l’élan créateur, mais en plus elle est un appel au spectateur, pour qu’il se transforme en créateur.

Comment goûter l’œuvre ? Suffit-il pour qu’elle existe qu’elle ait coûté du temps et de l’effort (le « cul qui a poussé tout ça ») ? A ce compte bien des chefs d’œuvre devraient disparaître de nos musées, et bien des croûtes devraient y entrer.

Retenons que Diderot nous donne une clef pour évaluer l’œuvre de l’artiste : il faut distinguer entre ce qui nous charme, nous excite, nous transporte, et la valeur réelle de l’œuvre dont on admettra qu’il faut pour l’apprécier du temps et de la réflexion. L’imagination suffit pour une première approche ; un dialogue attentif avec l’œuvre est nécessaire pour le second.

Le rapport affectif n’est pas rejeté, mais, si on ne le complète pas par un rapport intellectuel, alors on risque de tomber dans le kitsch.


(1) Voyez ce savoureux texte d’où est extrait ma citation. C’est le cadeau du jour…
« M. de Buffon et M. le président de Brosses ne sont plus jeunes ; mais ils l’ont été. Quand ils étoient jeunes, ils se mettoient à table de bonne heure, et ils y restoient longtemps. Ils aimoient le bon vin, et ils en buvoient beaucoup. Ils aimoient les femmes ; et quand ils étoient ivres, ils alloient voir des filles. Un soir donc qu’ils étoient chez des filles, et dans le déshabillé d’un lieu de plaisir, le petit président, qui n’est guère plus grand qu’un Lilliputien, dévoila à leurs yeux un mérite si étonnant, si prodigieux, si inattendu, que toutes en jetèrent un cri d’admiration. Mais quand on a beaucoup admiré, on réfléchit. Une d’entre elles, après avoir fait en silence plusieurs fois le tour du merveilleux petit président, lui dit : Monsieur, voilà qui est beau, il en faut convenir ; mais où est le cul qui poussera cela ?
Mon ami, si l’on vous présente un canevas de comédie ou de tragédie, faites quelques tours autour de l’homme ; et dites-lui, comme la fille de joie au président de Brosses : Cela est beau, sans contredit ; mais, où est le cul ? Si c’est un projet de finance, demandez toujours où est le cul ? À une ébauche de roman, de harangue, où est le cul ? À une esquisse de tableau, ou est le cul ? L’esquisse ne nous attache peut-être si fort, que parce qu’étant indéterminée, elle laisse plus de liberté à notre imagination, qui y voit tout ce qu’il lui plaît. C’est l’histoire des enfans qui regardent les nuées ; et nous le sommes tous plus ou moins. » - Diderot - Salon de 1767

P.S. Je ne résiste pas au plaisir de souligner que la question que Diderot pose ici à propos du « projet de finance » est exactement la même que celle qu'on se pose aujourd'hui à propos du projet de budget du gouvernement.

Tuesday, September 25, 2007

Citation du 26 septembre 2007

N'est-ce pas une chose bien bizarre que le songe n'offre presque jamais à mon imagination que l'espace étroit et nécessaire à la volupté ? Rien autour de cela ; un étui de chair et puis c'est tout.

Diderot - Lettre à Sophie Volland

Qu’est-ce qu’une femme ? Un étui de chair et puis c'est tout.

Avant de mépriser Diderot et de le considérer comme un adolescent qui trouverait ses draps pollués chaque matin, relisez je vous prie cette citation. Si l’espace ouvert par le songe a l’étroitesse nécessaire à la volupté, il est néanmoins trop étroit pour l’imagination.

Diderot, ce libertin, qui affirmait aussi (à Grimm) : « Il y a un peu de testicule au fond de nos sentiments les plus sublimes et de notre tendresse la plus épurée. », aurait-il regretté ce petit peu de testicule qui venait réduire le champ de son imagination ? Sans doute, et voici pourquoi.

Une rumeur dit que Sophie Volland n’était pas la plus belle des femmes, mais que c’était la plus gaie, celle dont l’éclat de rire du matin mettait la journée sur le chemin du bonheur. Mais surtout, Sophie est l’amante à qui on écrit plus souvent qu’on ne la baise (1).

En un mot, les amours de Denis et de Sophie ayant été découverts par la mère de la demoiselle (38 ans quand même…), les amants séparés n’ont plus que le page blanche et leur imagination pour se rencontrer (2). Si les songes sont étroitement utilitaires (jouir point final), l’imagination quant à elle ouvre grande les portes de la création. Là où des amants lassés des jouissances répétées auraient été déçus l’un par l’autre, les amants séparés vivent avec l’image de l’autre, c’est à cette image qu’ils destinent leurs récits, c’est avec leur sensibilité, leur intelligence, leurs désirs qu’ils dialoguent en attribuant tout cela à l’autre. Comme en seraient ils déçus ?

Mesdames, si votre compagnon vous ignore - sauf le samedi soir après avoir éteint la Télé, partez en vacance sans lui. Et voyez combien vous lui manquez, et tout ce qu’il va trouver à vous raconter en vous téléphonant chaque soir.

Quoi ? Ça tiendrait dans un SMS ?

C’est un goujat : changez d’homme.

(1) Permettez que moi aussi j’adapte mon style à l’esprit de Diderot qui rôde autour de moi ce matin.

(2) Il y avait quand même de temps à autre des lacunes dans la vigilance de madame Mère, de quoi rallumer la flamme charnelle.

Monday, September 24, 2007

Citation du 25 septembre 2007

La santé contient la maladie, au deux sens du mot contenir.

Docteur Henri Ey (cité par Canguilhem, La connaissance de la vie, p.168)

Quelle différence entre la santé et la maladie, entre le normal et le pathologique ?

Georges Canguilhem s’est efforcé de montrer que l’erreur était d’effacer la frontière entre les deux, mais qu’on ne gagne rien non plus à les voir comme deux états opposés.

1 - On supprime la frontière entre les deux, dans le domaine psychiatrique, lorsqu’on prétend qu’entre le psychiatre et le fou il n’y a rien d’autre que l’épaisseur du mur capitonné de l’asile : l’un est dehors, l’autre est dedans. Si l’un est fou, l’autre l’est aussi. Pire : c’est le psychiatre qui est fou, parce qu’il n’y a pas pire fou que celui qui croit en la folie. Comme il n’y a pas de normes, le délire est un discours comme un autre, juste un peu plus poétique.

Mais en réalité, dit Canguilhem, en faisant de la relativité des normes une règle, on évite de se poser la question de la santé.

2 - On relie aussi le normal au pathologique en faisant de celui-ci ce qui « prolonge en le grossissant l’état normal ». C’est un point de vue très répandu au XIXème siècle, que Freud invoque encore pour justifier l’utilisation des états pathologiques pour la connaissance des états normaux (1).

3 - Contre cela, voici la définition de Canguilhem : « La santé c’est le luxe de pouvoir tomber malade et de s’en relever. Toute maladie est au contraire la réduction du pouvoir d’en surmonter d’autres. » C’est vrai dans le domaine physiologique. Ça l’est également dans le domaine social : le psychiatre est « normal » parce qu’il a un champ de possibilité plus étendu que son malade.

4 - Canguilhem défend le point de vue synthétisé par Henri Ey dans notre citation : alors que la santé résulte de l’équilibre qu’ont les différentes fonctions de l’organisme entre elles et avec le milieu où il vit, la maladie résulte de la rupture de cet équilibre. Mais que le milieu change, et ce qui aurait été maladie avant, devient santé après : nouvel équilibre.

La norme est un état qui sélectionne l’un de ces équilibre et rejette les autres comme pathologiques. La maladie est alors définie comme un état régressif compte tenu des besoins et des capacités d’un organisme placé dans un milieu donné.

(1) Freud disait : « Là où, dans l’état normal il y a une fêlure, dans l’état pathologique il y a une brisure »

Sunday, September 23, 2007

Citation du 24 septembre 2007

Si l'on ne construit pas un monde de partage des richesses, c'est un monde de conflits multilatéraux qui nous attend.

José Bove - Interview dans l'Express du 15 novembre 2001

- Partager les richesses ? Qu’est-ce qu’il veut dire José ? Moi je ne me vois pas partager mon salaire gagné à la sueur de mon front avec le feignant qui chôme à longueur de vie. Voilà.

- Mais non, pas du tout ! José veut dire : « Partager les sources de la richesse, de façon à ce que chacun puisse vivre dignement sans prendre aux autres ».

- Stupide : moi, j’ai un champ, il me rapporte 100. Je le partage avec mon voisin, il ne me rapporte plus que 50. Je le partage avec le village entier, et je crève de faim, et les autres avec moi. Voilà.

- Oui, mais derrière tout cela, il y a la juste mesure. Prends l’exemple des 35 heures : le partage du travail, sans enrichir, empêche justement les plus démunis de « crever de faim » comme tu le dis.

- Alors, là, tu fais complètement erreur. Tu oublies ce que Notre Président nous explique à longueur de jour. Si tu partage le travail, tu fabrique de semi-chômeurs, et en réalité, tu appauvris le marché de l’emploi. « Travailler plus », ça veut dire qu’en ne partageant pas le travail, on gagne plus justement. Et du coup, ça va créer les conditions de la reprise économique, et donc ça va stimuler l’emploi.

Ce ne sont pas les emplois qui donnent du travail, c’est le travail qui crée les emplois. Voilà.

- Ce que tu me dis là est très étonnant. Si je comprends bien c’est l’accumulation des richesses - ou si tu veux la concentration des moyens de production - qui, au lieu de paupériser la classe laborieuse, va contribuer à élever son niveau de vie ? Pour reprendre ton exemple, lorsque j’ai gagné 100 au Loto, si je partage cette somme avec ma nombreuse famille, personne n’y gagne. Si je la garde pour moi, je vais, en devenant riche faire des pauvres en moins ?

- Voilà.

Saturday, September 22, 2007

Citation du 23 septembre 2007

Une société, où l'on travaille sans cesse durement, jouira d'une plus grande sécurité : et c'est la sécurité que l'on adore maintenant comme divinité suprême.

Nietzsche Aurore (1881)

Croyez-vous que Notre Président soit un nietzschéen convaincu ?

… Comme vous j’en doute sérieusement, mais je ne doute pas qu’existent des vérités plus ou moins intemporelles, caractérisées par des réseaux de faits qui persistent au cours de l’histoire : ce que Nietzsche a pointé ici, nous le voyons nous aussi.

Nietzsche développe l’idée : la sécurité résulte du « dur labeur, du matin au soir, parce qu’il use la force nerveuse dans des proportions extraordinaires ». On reproche aux malfrats d’être des feignants qui ne font rien d’autre que piller leurs contemporains. Bien sûr : imaginez-vous qu’après une journée de travail harassant on ait encore la force de ressortir pour dresser des guet-apens au coins des rues ? Un maçon qui a terrassé toute la journée est un honnête homme le soir venu.

Bien, mais tout ça c’est bien convenu. Tout ça ne serait pas digne de Nietzsche, s’il s’en tenait là.

Ecoutez la suite de son texte :

« Dans la glorification du "travail", dans les infatigables discours sur la "bénédiction du travail", je vois la même arrière-pensée que dans les louanges des actes impersonnels et conformes à l'intérêt général : la crainte de tout ce qui est individuel. On se rend maintenant très bien compte […] [que le travail], c'est là la meilleure police, qu'elle tient chacun en bride et qu'elle s'entend vigoureusement à entraver le développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance. » (1)

Le travail ne fait pas que fatiguer le travailleur : il l’abrutit. Et c’est pour ça que c’est un honnête homme. Là on reconnaît Nietzsche.

Finalement, je souhaite que Notre Président ne soit pas nietzschéen.

(1) Excusez-moi de citer ainsi le texte mais je n’ai pas su faire mieux.

Friday, September 21, 2007

Citation du 22 septembre 2007

Travaillez, prenez de la peine:
C'est le fonds qui manque le moins.

Jean de la Fontaine - Fables Livre cinquième - Le laboureur et ses enfants

Dans les maternelles, là où les enfants auront échappé à la lettre de Guy Moquet, sera apprise par cœur la fable de la Fontaine « Le laboureur et ses enfants ».

Voici un « conducteur » pour le commentaire agréé par le Ministère :

- Travaillez : ça veut dire : ne restez pas à la charge de vos parents ni de l’Etat, soyez productif, faites rentrer des sous dans l’Entreprise, et donnez le reste à la caissière de Carrefour. (1)

- Prenez de la peine : là on veut dire que c’est en vous levant tôt et en vous fatiguant pour votre patron que vous pourrez trouver le Trésor dont on parle à la fin.

- C’est le fonds… : On ne parle pas du fond de culotte, punissez tous ces petits voyous qui rient au fond de la classe. Le fonds avec un « s » veut dire : « Ce qui constitue une richesse de base, un ensemble de ressources que l'on peut exploiter ». Ici, c’est le travail à faire qui est la richesse à exploiter.

- … qui manque le moins : ne manquez pas d’ajouter qu’il y a toujours du travail et que ceux qui ne travaillent pas, ceux qui ne se lèvent pas tôt, sont des feignants et des assistés.

N.B. Les maîtres sont avertis que ceux d’entre eux qui insisteront sur le fait que la fable parle d’un « riche laboureur » et qui en plus insinueraient qu’un pauvre journalier aurait enrichi seulement le propriétaire du champs, verront leur note pédagogique baissée, et qu’ils ne seront pas invité au banquet de fin d’année sur les pelouses de l’Elysée.

(1) Quoi ? J’ai oublié les impôts ? Mais de quoi vous parlez ? Les impôts doivent être supprimés, parce que la fiscalité, en pénalisant les salaires décourage de travailler. Vous ne le saviez donc pas ?

Thursday, September 20, 2007

Citation du 21 septembre 2007

Inventaire d'une collection d'ustensiles se trouvant dans la maison de Sir H. S. et qui doivent être vendus aux enchères publiques la semaine prochaine.

1. Un couteau sans lame auquel manque le manche. […]

Hans Georg Lichtenberg (1742-1799)

Tous les amateurs d’aphorismes (et peut-on être amateur de citations sans être amateur d’aphorismes ?) se doivent de connaître Lichtenberg. Son Inventaire (à lire ici) est connu grâce à son célèbre couteau, mais il faut savoir que des milliers et des milliers d’aphorismes lui sont dus, et que c’est une tradition inepte qui le cantonne parmi les auteurs humoristiques.

Admettons que Lichtenberg nous pose la question suivante : que reste-t-il d’un couteau sans lame auquel manque le manche ?

N’importe qui haussera les épaules en disant : « Stupide ! Qui donc va perdre son temps à répondre à une pareille question ? Et le pire, c’est qu’il y ait quelqu’un qui la pose. »

Demandons à l’Encyclopédie Techno-science de répondre. Après de savantes descriptions qui nous plongent dans la préhistoire du couteau, tout ce qu’on trouve à nous dire c’est qu’Asimov, affirme que les couteaux, outre une lame, ont un manche par mesure de sécurité. Nous voilà bien avancés : le sérieux semble décidément inapproprié pour parler de Lichtenberg.

Hé bien, le philosophe relèvera le défi : un couteau sans lame auquel manque le manche, ce n’est pas rien du tout. Ça nous conduit au concept du couteau : car si on comprend que le couteau sans lame ni manche n’a aucune chance d’exister, c’est que le concept du couteau, lui, implique ces deux éléments.(1)

Pourrait-on faire la même chose avec l’homme ?

- Ecoutez tous ! Etes-vous d’accord avec la définition suivante : « L’homme - Un être sans âme au quel il manque le corps. »

- Je sais ! Je sais ! Moi m’sieu je sais !!! Ça veut dire que le concept de l’homme c’est un être doué d’un corps et d’une âme. Les grecs, vous l’avez dit M’sieur, j’me rappelle, y disaient que « l’homme est un animal raisonnable ». J’ai bon, hein ?

- Très bien, Kévin. Mais, pourrais-tu me dire ce que j’ai ajouté, juste après ?

- Heuh…

- Tu oublies simplement que pour nous, aujourd’hui, il n’y a pas de concept d’homme.

Tu n’as pas été attentif, Kévin : tu me recopieras la conférence de Sartre, l’existentialisme est un humanisme, pour la prochaine fois. Signée par les parents, hein, tu n’oublieras pas ?

N.B. Ceux qui me trouvent injustes sont eux aussi des ignorants, car voici ce qu’écrit notre auteur : «… il y a au moins un être chez qui l'existence précède l'essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et (…) cet être c'est l'homme » - idem

(1) Sartre s’est penché, non pas sur le concept du couteau, mais sur celui du coupe-papier
C’est dans sa conférence L’existentialisme est un humanisme :
« Lorsqu'on considère un objet fabriqué, comme par exemple un livre ou un coupe-papier, cet objet a été fabriqué par un artisan qui s'est inspiré d'un concept; il s'est référé au concept de coupe-papier, et également à une technique de production préalable qui fait partie du concept, et qui est au fond une recette. Ainsi, le coupe-papier est à la fois un objet qui se produit d'une certaine manière et qui, d'autre part, a une utilité définie, et on ne peut pas supposer un homme qui produirait un coupe-papier sans savoir à quoi l'objet va servir. Nous dirons donc que, pour le coupe-papier, l'essence — c'est-à-dire l'ensemble des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le définir — précède l'existence; et ainsi la présence, en face de moi, de tel coupe-papier ou de tel livre est déterminée. Nous avons donc là une vision technique du monde, dans laquelle on peut dire que la production précède l'existence. »

Wednesday, September 19, 2007

Citation du 20 septembre 2007

ABSURDE, adj. et subst. masc.
I. Emploi adj.
A. [En parlant d'une manifestation de l'activité humaine : parole, jugement, croyance, comportement, action] Qui est manifestement et immédiatement senti comme contraire à la raison au sens commun; parfois quasi-synonyme de impossible au sens de « qui ne peut ou ne devrait pas exister »

Trésor de la Langue Française (dictionnaire en ligne ici)

Le quiz du jour :

A quelles conditions les citations suivantes ne sont-elles pas absurde ?

1 - Le cri du sentiment est toujours absurde ; mais il est sublime, parce qu'il est absurde. - Charles Baudelaire

2 - Dieu c'est l'absurde. - Raoul Rigault

3 - Il est pour moi, physicien, absurde de penser que l'univers se soit fait par "hasard". - Alfred Kastler

4 - Que ce monde soit absurde, c'est l'affaire des philosophes et des humanistes. Mais qu'il soit injuste, c'est notre affaire à tous. - Gilbert Cesbron

5 - Le sens de la vie, c'est ce qui reste quand on se débarrasse de tout ce qui est absurde. - Julie Zeh - La Filles sans qualités

6 - Parce que le beau est toujours étonnant, il serait absurde de supposer que ce qui est étonnant est toujours beau. - Charles Baudelaire - Salon de 1859

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Propositions de réponses (à ne lire que si vous séchez) :

1 - Définition du sublime : c’est le sentiment désespéré qu’aucun sens ne vient sauver.
2 - Dieu est dans l’absurde parce qu’aucun sens ni aucune valeurs ne lui préexiste ; rien n’est absurde à condition de comprendre l’intention de Dieu. Est donc absurde ce que nous ne comprenons pas : c’est la part du Transcendant vu par notre pauvre raison (Pascal)
3 - Les causes de l’Univers sont les mêmes que celles qui le font fonctionner. Le hasard étant opposé au nécessaire, les lois de l’univers étant radicalement déterministes, alors le hasard ne peut exister. Et donc il ne peut avoir « créé » l’Univers.
4 - L’absurdité du monde est une affaire en débat : il s’agit du sens qu’on peut lui donner. L’injustice est du domaine des faits. Elle ne relève pas de valeurs discutables ; elle est universelle.
5 - Le sens de la vie est parfaitement compatible avec l’absurdité de tout le reste. Cette compatibilité suppose donc que ce sens ne soit pas contaminé par l’absurdité, donc que celle-ci soit dans des domaines étrangers à « la vie », ou que le sens de la vie relève d’une décision strictement personnelle (donatrice de sens)
6 - Tout a est b ; donc quelque b est a (Exemple : s’il pleut, alors les pelouses sont mouillées ; si les pelouses sont mouillées alors peut-être est-ce parce qu’il a plu.)

Tuesday, September 18, 2007

Citation du 19 septembre 2007

L'occasion porte tous ses cheveux au front; quand elle est passée vous ne pouvez plus la faire revenir; elle est chauve sur le derrière de la tête et ne retourne jamais plus.

Rabelais - Gargantua - Ch. XXXVII

On connaît cette image de l’Occasion opportune, qui permet d’identifier l’homme d’action au fait qu’il agit ni trop tôt - la tignasse de l’Occasion doit être à portée de main - ni trop tard, car elle est chauve sur le derrière de la tête et ne retourne jamais plus.

Les grecs avaient un concept fait tout exprès pour ça : c’est le « kairos » qui désigne le temps de l’action opportune (voir ici). Au même titre que la phronésis (prudence), le kairos caractérise l’excellence de l’action : l’homme qui sait saisir le kairos possède un don qui lui permet de réussir dans ses entreprises.

Et en effet, il y a une bien science de l’action, mais elle ne s’enseigne pas : celui qui la possède, possède en réalité un don particulier que même la science du sage ne pourrait donner : il sait reconnaître l’Occasion quand elle se présente ; et il sait passer à l’acte quand il le faut.

Quant à celui qui ne possède pas ce don, souvent il cumule ces deux insuffisances : il est dans l’ignorance de l’occasion, du fait de l’indécision.

Voyez Perceval, dans le Roman du Graal de Chrétien de Troyes :

Perceval, dans sa quête du Graal, arrive au Château du Roi Pêcheur pour y retrouver le saint Graal. Ecoutez la suite, racontée par l’ermite : « Chez le Roi Pêcheur héla, alors tu vis la lance qui saigne, et tu fus alors en si grande peine d'ouvrir ta bouche et de parler que tu ne pus demander pourquoi cette goutte de sang sort par la pointe de fer blanc ! Et le Graal que tu vis, tu ne demandas pas quel riche homme s’en servit. ». Perceval n’a pas reconnu l’occasion, parce qu’il n’a pas osé demander ce que sont ces étranges objets qu’on lui présente en silence. Comme on le sait, plus jamais il ne fut donné à quiconque de voir le Graal. (1)

Hé bien, voyez vous, si Perceval avait su saisir l’occasion, la Chrétienté posséderait aujourd’hui le Saint Graal, et des gens comme Dan Brown en seraient réduits à écrire des bluettes pour Kiosque de gare.

(1) Pour ceux que l’ancien français ne dérangeraient pas, qu’ils se reportent aux textes (ici et là) mis en ligne par nos amis canadiens

Monday, September 17, 2007

Citation du 18 septembre 2007

La bonté, mais c'est une création de l'homme, sa plus grande, sa plus merveilleuse et pour ainsi dire sa plus divine - une création contre nature !

Edmond et Jules de Goncourt - Journal - 9 septembre 1866

L’exemple choisi par les Goncourt (1) dans le monde des oiseaux me rappelle une information glanée récemment : certains oiseaux (des rapaces je crois) pondent 2 œufs, alors qu’ils ne peuvent nourrir durablement qu’un seul petit. Le second - le plus faible - sert de réserve alimentaire au plus fort lorsque la pénurie de nourriture apparaît.

Vous rappelez-vous de la polémique indignée lorsqu’on a commencé à parler du bébé-médicament, cet enfant qu’on procrée parce que génétiquement il sera le seul à pouvoir fournir les greffons nécessaires à soigner les malformations d’un premier né ? La nature ne fait pas tant de chichis : ce qui compte c’est qu’il y en ait un qui survive et peu importe la manière.

La bonté (que nous entrecroiserons avec la morale pour aller vite) est bien contre-nature, ça veut dire que nous préfèrerions voir périr l’espèce plutôt que de nous livrer à des actes jugés barbares. Qu’est-ce qui est « contre-nature » ? N’est-ce pas le fait de refuser de privilégier la diffusion ses gènes en procréant les générations futures ? La nature - à supposer qu’elle veuille quelque chose -veut l’intérêt de l’espèce et non celui de l’individu. La morale n’est pas certes liée à l’intérêt individuel, mais surtout elle est tout à fait étrangère à la considération de l’espèce (2). Lorsque Kant parle de l’humanité, il parle d’une idéal de valeur, pas de l’espèce.

Mais la nature a vite fait de reprendre ses droits. Voyez le cas de ces survivants d’un crash aérien dans les Andes (dans les années 70 - n’était-ce pas une équipe de foot ou de rugby ?). Pour survivre, une seule solution : manger les morts. Oui, mais c’est du cannibalisme : c’est abominable. Les oiseaux n’auraient pas fait tant de manières. Les hommes non plus : pour finir ils se sont dit que le Christ avait demandé à ses disciples de le manger : « Prenez et mangez car ceci est mon corps… », et que le miracle de la communion répétait cette situation.

Bref, un peu de civilisation nous éloigne de la nature ; beaucoup de civilisation nous en rapproche.

(1) Citation complète :

« Une chose, depuis hier, m'a rendu très rêveur. Nous étions au Jardin des Plantes. Il y a un hoko, qui a coursé et pouillé devant nous un oiseau plus petit que lui et cent fois plus faible que lui, une pénélope, je crois. Il l'a à peu près tué, puis est resté, dans une vigilance terrible, à côté de cette bête, qui essayait de le désarmer en faisant la morte.
Alors j'ai songé à tous ces blagueurs, qui disent que la nature est la leçon et la source de toute bonté. Que de passions mauvaises et naturelles de cette bête forte contre cette bête faible ! La bonté, mais c'est une création de l'homme, sa plus grande, sa plus merveilleuse et pour ainsi dire sa plus divine - une création contre nature ! »

(2) D’où l’originalité d’une éthique de la responsabilité, comme la propose Hans Jonas (voir Post du 5 novembre 2006)

Sunday, September 16, 2007

Citation du 17 septembre 2007

J'ai passé ma vie entière à essayer de dessiner comme un enfant

Picasso

Picasso avait-il conscience du tort qu’il faisait à l’art en général et aux artistes en particulier en disant cela ?

Sans doute pas, parce que pour le savoir il faut se mêler à la foule dans une expo d’art moderne. Combien de fois en passant devant des tableaux de Picasso - ou mieux encore : de Miró - entend-on « Ça, Fripounet m’en a rapporté un de la Maternelle » ?

Picasso, dessiner comme un enfant ? Ça dessine comment un enfant ?

Comme ça ?

En réalité, les enfants font des dessins très stéréotypés, dont on peut dire qu’ils sont issus de leur développement psychomoteur plus que de leur génie propre. Non pas que certains enfants ne savent pas - d’instinct dirait-on - produire des œuvres déjà originales : mais alors ce sont des dessins produits par des enfants, mais ce ne sont pas des dessins d’enfants.

Picasso a-t-il jamais dessiné comme un enfant - étant enfant ? Quant on connaît sa précocité, on peut en douter. Raison de plus me direz vous pour le croire lorsqu’il affirme que toute sa vie il a essayé de dessiner comme un enfant.

Mais enfin, si l’enfant artiste est un mythe, qu’est que ce mythe contient comme vérité sur l’art ?

- que rien n’est plus facile que d’être un artiste, et la déconstruction de l’idole édifiée par les artistes romantiques pour se représenter eux-mêmes comme des génies est désormais accomplie.

- que les traditions, les écoles, en un mot l’Académisme tue l’art.

L’art naïf - si on veut bien entendre par là l’absence de techniques sophistiquées de représentation - a montré ce qu’il en était.

Voyez ce tableau du Douanier Rousseau :

on a l’impression que les nuages vont lui tomber sur la tête, quand à ses pieds ils n’arrivent pas à toucher le sol. Mais est-ce un tableau infantile ?

Saturday, September 15, 2007

Citation du 16 septembre 2007

… ouais c'est pas mal mais un peu trop déshabillé sur les bords et ça donne plus trop de charme à la chose...

Jeanine et Jackotte, le 28 octobre, 2006 (à propos de cette photo du calendrier des Dieux du stade)

Les Dieux du Stade, Calendrier du Rugby

L'endroit le plus érotique d'un corps n'est-il pas là où le vêtement bâille ? demande Roland Barthes (voir Post du 2 avril 2006) : Jeanine et Jackotte sont bien d’accord avec lui. Pour que la « chose » ait du « charme », il faut qu’on ait envie d’arracher le vêtement (1). C’est ça l’érotisme. Mais manifestement le filon exploité ici est plutôt celui de l’esthétisme : le corps est traité comme une statue ; après tout les Grecs nous ont donné l’exemple avec leurs athlètes, discoboles et autres. Alors, pourquoi pas les Rugbymen?

Mais justement : demandons-nous pourquoi ce sont précisément eux, les Rugbymen, qui ont été les premiers (parmi les sportifs) à exploiter cette veine de l’érotisation du corps masculin. Laissons de côté la valeur phallique du ballon, largement utilisée dans cette photo. Des beaux athlètes il doit y en avoir dans d’autres sports : imaginez-vous Roger Federer à poil avec sa raquette sous le bras ? Non, parce qu’il faudrait aussi l’imaginer entrain lifter son passing comme ça : ça ne passe pas.

C’est donc dans l’exercice du sport qu’il faut chercher l’origine du fantasme.

Ne devrions nous pas considérer que dans une partie de rugby, le corps à corps - par exemple celui des mêlées spontanées - est un stimulant ? Certains n’y voient que la glorification du combat sans le quel le rugby ne serait pas. Mais pour les autres ? Voyez avec quel entrain les joueurs se jettent sur un tas de corps, bras et jambe confondus : si le destin du ballon enterré là dessous ne vous passionne pas, vous êtes forcément conduit à y voir une mêlée amoureuse.

Admettez que les dames s’intéressent plus au joueur qu’au ballon.

Et les gays, alors ?

Hein ? Mais non ! J’ai pas dit que le rugby était un sport de tapettes…

(1) Quoi ?! Vous avez envie de dégager le ballon en touche ? Mais demandez à Jeanine et Jackote : l’essentiel n’est pas ce que cache le ballon mais ce que montre le reste de la photo.

Friday, September 14, 2007

Citation du 15 septembre 2007

La fonction de l'artiste consiste, autant qu'à créer des images, à les nommer.

Jean Dubuffet

1 - Quand vous allez dans une expo de peinture (ou de sculpture) allez-vous systématiquement voir le titre de l’œuvre devant la quelle vous vous trouvez ?

2 - La Joconde est-elle un titre choisi par Leonard de Vinci ? S’il a choisi de la nommer différemment (Mona Lisa) perdons-nous quelque chose en l’oubliant ? S’il ne l’a pas nommée du tout, l’œuvre en est-elle affectée ?

3 - Les œuvres contemporaines sont parfois sans titre propre (« Compositions en rouge jaune et bleu » (Mondrian), les « Nus couchés », les « Untitled ») ou bien désignées par des numéros. Pensez-vous que ces artistes renient leur art en faisant ça ?

On l’aura compris : cette citation m’interpelle, comme on dit, mais je n’arrive pas à lui donner une véritable consistance.

Doit-on admettre que Dubuffet, dans un effort pour découronner l’acte créateur, en viendrait à dire que le fait de titrer une œuvre est aussi important que de la créer ; et donc que créer ce n’est pas plus important que titrer.

Mais à ce compte, l’image finit pas se résorber dans l’inessentiel, parce que le titre c’est du langage, donc de la chose imprimable. On n’a plus qu’à fermer les musées et les remplacer par des catalogues.

On lui fera le crédit de penser que cette faible hypothèse n’est pas valable, et que sa véritable pensée est ailleurs.

Supposons donc qu’il veuille dire que le titre restitue le contexte de l’œuvre, et que celui-ci doive être défini par l’artiste afin que l’oeuvre ait un sens. Dès lors,

- ou bien il faut titrer l’œuvre pour restituer son « hors-champs », ce quelque chose qu’on devrait voir si les murs du musée étaient transparents.

- ou alors il faut faire du musée le contexte de l’œuvre en l’intégrant à sa création : c’est ce qui se passe pour les Installations.

Les gens malintentionnés diront que l’avantage c’est que l’œuvre ne survivra pas à son déménagement. (1)

(1) A méditer en cette journée du Patrimoine.

Thursday, September 13, 2007

Citation du 14 septembre 2007

Qu'est-ce que la beauté d'imitation ? La conformité de l'image avec la chose.

Denis Diderot - Discours sur la poésie dramatique

Paradoxale image, qui ne serait belle qu’à condition qu’on oublie qu’elle existe !

En voici l’illustration la plus parfaite que je connaisse :

Source : voir ici

Les amateurs auront reconnu la technique de l’écran transparent : pour ceux qui ne connaissent pas, qu’ils repèrent les icônes à droite de l’écran : eux seuls attestent qu’on a là, au milieu de la pièce, une image et non la réalité.

J’observe pourtant que Diderot prend soin de limiter le critère de la conformité à la beauté « d’imitation ». Le rôle de l’image ne serait-il pas en effet de nous entraîner au-delà du réel, dans un monde que nous ne découvririons que grâce à elle ?

Pour faciliter la comparaison entre ces deux sortes d’image, en voici une qui appartient à la même catégorie technique :


source : voir ceci

Nous sommes devant une sorte de couloir où il y a indéfiniment des chats qui regardent des chats… Il s’agit bien sûr d’une la mise en abyme, qui a pour effet de creuser un espace imaginaire en plein milieu de l’espace réel, et cela grâce à l’emboîtement d’images d’écrans d’ordinateurs (1). Cet espace fantastique n’existe pas et pourtant nous le voyons, il nous paraît aussi réel que l’espace ordinaire. Il nous entraîne au-delà du miroir, alors que l’exemple précédent avait pour but de nous faire oublier qu’il y avait un miroir.

Bien entendu, cela n’implique nullement que cet exercice soit gratuit : bien au contraire la stricte imitation comme la mise en abyme peuvent répondre à des fonctions très différentes.

Mais c’est une autre histoire, dont on reparlera peut-être un jour.


(1) Il s’agit couramment d’un simple jeu de miroirs : on remarquera que le procédé est ici un peu plus subtile, puisque l’image encastrée est à chaque fois différente de l’image qui l’encadre.

Wednesday, September 12, 2007

Citation du 13 septembre 2007

Il n’y a pas de faits, seulement des interprétations.

Nietzsche - Fragments fin 1886 - début 1887

Ceux qui s’en tiennent à l’absolue, à la tranquille certitude des évidences ; ceux que la science a abreuvé de vérités doivent lire ce texte de Nietzsche (1). Ceux qui aiment pardessus tout la simplicité des oppositions binaires doivent aussi le lire.

Que nous dit Nietzsche ? Les faits n’existent pas. L’objectivité non plus. Tout est interprétation. La subjectivité n’est qu’une interprétation parmi d’autres. Entendez : non pas qu’il y a une manière subjective et une manière objective d’interpréter le monde, mais bien que croire en la subjectivité c’est une interprétation de notre rapport au monde, une interprétation parmi d’autres.

Et maintenant, voilà l’essentiel : notre interprétation des choses qui constituent le monde (et le monde n’est rien d’autre que la collection de toutes les choses) est l’œuvre de nos besoins ou pulsions. Ou plutôt, ces besoins étant conflictuels, c’est notre pulsion dominante, la plus forte, celle qui aura triomphé des autres, qui va monopoliser l’interprétation. Tout Nietzsche est là.

- Alors, devons-nous croire ce que dit Nietzsche, simplement parce que c’est beau, simplement parce que c’est dérangeant ?

La seule façon de démontrer que Nietzsche se trompe serait de trouver ne serait-ce qu’un seul cas où notre vision des choses - d’une chose - ne satisferait à aucun besoin, aucune pulsion. C’est à ça qu’on reconnaîtra un fait.

La physique et la cosmologie semblent bien avoir fait le ménage : plus de Providence qui fait tourner le soleil autour de la Terre pour l’éclairer partout également. L’univers est non seulement antérieur à l’homme, mais lorsque celui-ci aura disparu - et la science pronostique son départ au grand déplaisir de l’instinct de conservation - l’univers continuera d’exister. Voilà des faits.

Seulement, Nietzsche n’a pas tout à fait tort, car on sent bien l’énorme résistance qu’il faut vaincre pour faire triompher ces vérités. Même les astrophysiciens, dans leur recherche de l’hypothèse la plus vraisemblable pour expliquer l’apparition et l’évolution de l’univers tiennent compte du scénario qui rend possible, dès l’origine, l’apparition de l’homme. C’est ce qu’ils appellent le « principe anthropique ».

(1) Voici le texte :

« Contre le positivisme, qui en reste au phénomène, « il n’y a que des faits », j’objecterais : non, justement, il n’y a pas de faits, seulement des interprétations. Nous ne pouvons constater aucun factum « en soi » : peut-être est-ce un non-sens de vouloir ce genre de chose. « Tout est subjectif », dites-vous : mais ceci est déjà une interprétation, le « sujet » n’est pas un donné, mais quelque chose d’inventé-en-plus, de placé-par-derrière. – Est-ce finalement nécessaire de poser en plus l’interprète derrière l’interprétation ? Ceci est déjà de l’invention, de l’hypothèse. Dans la mesure exacte où le mot « connaissance » a un sens, le monde est connaissable : mais il est interprétable autrement, il n’a pas un sens par-derrière soi, mais d’innombrables sens « Perspectivisme ». Ce sont nos besoins qui interprètent le monde : nos pulsions et leurs pour et contre. Chaque pulsion est une sorte de recherche de domination, chacune a sa perspective, qu’elle voudrait imposer comme norme à toutes les autres pulsions. »

Tuesday, September 11, 2007

Citation du 12 septembre 2007

Entre le pénis et les mathématiques [...], il n'existe rien ! Rien ! C'est le vide !

Céline - Voyage au bout de la nuit, p.420

Ce qui intéresse dans ce genre de formule, c’est son improbabilité. Supposez qu’on vous dise : « Admettons qu’on évoque le pénis pour caractériser l’être humain. A quel autre terme penseriez-vous également pour cela ? ». Avouez que ce ne sont pas les mathématiques qui vous viendraient à l’esprit en premier !

D’ailleurs est-ce que ça veut seulement dire quelque chose ?

Certes, Céline veut sans doute nous faire entendre que le pénis qui symbolise (1) le désir et la Chair, regroupe tout ce qui n’est pas une abstraction n’existant que dans l’esprit, - symbolisé par les mathématiques. Mais, est-ce raisonnable ? (2)

Application - Le désir de la Chair et les constructions de l’esprit, c’est comme le pénis et les mathématiques : il n’y a rien entre les deux. Ça veut dire que tout doit être interprété comme déguisement de l’un de ces deux termes. Voyons un peu :

* Les civilités : déguisement du pénis

- Madame, permettez-moi de déposer mes hommages à vos pieds

- Ah bon ? C’est comme ça que vous appelez ça ?

* L’amour : déguisement du pénis

- Ma chère âme, ton regard est pour moi comme l’aimant qui attire le fer, ta voix comme un céleste appel, ton corps comme le berceau où je veux me recueillir.

* La religion : avatar des mathématiques

- La sainte Trinité (1=3) : est comme trois hypostases dans la même monade.

* L’idéologie politique : avatar des mathématiques

- L’émancipation du prolétariat sera l’œuvre des prolétaires eux-mêmes…

… Là, j’entends comme une protestation : l’émancipation politique a plus de réalité que le théorème de Pythagore. Bon, si vous voulez.

Mais alors dites que l’émancipation c’est TF1 et les courses à Carrefour le samedi matin.

(1) Permettez que j’attribue provisoirement le qualificatif de symbolique au pénis et non au phallus.

(2) Flaubert le pensait. Voici ce qu’il écrit à une amie - Edma Roger des Genettes - le 18 avril 1880 ; il parle de son futur roman Bouvard et Pécuchet : « La volupté y tient autant de place que dans un livre de mathématiques »

Monday, September 10, 2007

Citation du 11 septembre 2007

Heureux celui qui lit, et ceux qui écoutent les paroles de la prophétie, et gardent ce qui s’y trouve écrit, car le temps est proche.

Apocalypse de Jean 1, 3

le temps est proche : la fin du monde est pour demain. Nous devons nous y préparer.

Il y eu des périodes de l’histoires où les hommes vivaient dans la certitude que la fin du monde était proche : Luther en particulier a cru que sa génération était la dernière, que l’Apocalypse (1) était pour très bientôt, dans 30 ans peut-être. D’ailleurs cette attente était parfois précédée par celle du règne de Jésus Christ pour 1000 ans après qu’il eut chassé l’Antéchrist (voir le millénarisme). L’attitude de ces hommes à l’égard des évènements historiques de leur époque doit aussi s’expliquer par là.

Hier la crainte d’un conflit nucléaire faisait que cette fin du monde était un horizon crédible : a son apogée, lors du conflit des fusées de Cuba, on a pendant quelques jours cru que la fin du monde était pour demain. Et puis on s’est mis à creuser des abris anti-atomiques, pendant que le cinéma nous abreuvait de films de survivants (2)…

Aujourd’hui, les illuminés des sectes - protestantes ou autres - ont réactivé cette croyance et cette attente. Et Dieu sait ce que cela nous promet si jamais ils accèdent à une influence politique importante (quoique, avec Georges W. on en a déjà une petite idée).

Mais je voudrais attirer votre attention sur un fait tout simple : la fin des temps ne se comprend que dans le cadre d’une histoire de l’humanité, c’est à dire des créatures temporelles, située entre le début (création) et la fin des temps (qui n’est autre que celle de l’histoire). Il y a une temporalité, un devenir et donc un instant « t » où cette période s’achèvera.

- Avez-vous pensé que cela n’a aucune sens pour Dieu ? Lui, il est l’éternité, dans la quelle il n’y a ni début, ni milieu, ni fin. Eternité sans devenir, que seule l’image d’un instant sans durée, distendu indéfiniment vers le « passé » et ver le « futur » peut évoquer pour nous. Dans l’éternité, rien ne commence et rien de s’achève. L’Apocalypse a toujours déjà commencé, elle a toujours déjà existé : votre sort est déjà scellé.

Si nous n’entendons pas le galop des Cavaliers de l’Apocalypse, c’est qu’on y est trop habitué : il est devenu un bruit de fond.

(1) L'Apolcalypse n'est pas seulement la fin des temps : elle est surtout la révélation de ce qui va s'y passer.

(2) Mad Max en était la version road movies

Sunday, September 09, 2007

Citation du 10 septembre 2007

Panem et circences

Juvenal - Satire

« Du pain et des jeux », revendication du peuple romain à l’égard du pouvoir, jugée révélatrice des mœurs du peuple sous l'Empire romain par les premiers chrétiens.

Contrairement à une idée assez répandue, les jeux du cirque visés par cette formule de Juvénal sont essentiellement des épreuves d’athlétisme, et non les sanguinaires combats de gladiateurs. Les premiers chrétiens ont utilisé cette formule pour dénigrer la passion pour le « sport » qui éloigne de la spiritualité qui devait selon eux être le seul souci des hommes.

Que cette passion ait existé ou pas chez les romains, nous ne le saurons peut-être jamais tant le débat est vif entre les historiens. Mais je serais tenté de le croire, lorsque je lis les journaux en cette période de Rugby-mania : que la France livre un match décevant, et on croit qu’elle vient de connaître une défaite politique ou économique grave. Un connaisseur affirmait récemment dans une interview : « Lors de son premier match, la France a perdu une bataille, mais elle n’a pas perdu la guerre ! » Rien que ça !

Qu’est-ce donc qui est en jeu dans cette passion qui aligne les « cicenses » sur le « panem » ? Peut-être faut-il y regarder à deux fois avant de répondre : l’excitation de l’exploit. Parce que, si les supporters attendent l’exploit, la foule, elle, attend la victoire. Et si la foule attend la victoire, c’est parce qu’elle sent que c’est elle qui vient de la remporter. Nous sommes grands parce que nos joueurs sont grands.

Et c’est cela qui intéresse les politiques. Eux qui sont habitués à susciter les passions de la foule, ils en trouvent une qui surgit là, comme ça : il n’y a pas à la produire, elle existe. Il ne reste plus qu’à la gouverner.

C’est une passion de la foule, qui se manifeste principalement lorsque plusieurs spectateurs sont assemblés : la retransmission des match sur grand écran en des lieux publics montrent que beaucoup préfèrent sortir de chez eux pour voir le même spectacle que sur leur télévision, mais le voir à plusieurs. On mange son « panem » tout seul ; on regard les « circenses » à plusieurs.

C’est peut-être ça qui fait que certains se méfient de cette liesse populaire, et que les politiciens en raffolent.

Saturday, September 08, 2007

Citation du 9 septembre 2007


Le pouvoir ne protège pas - Il se protège.

Miss.Tic

Le pochoir de Miss.Tic - avec en prime la photo de l’artiste sans lunettes noires - est sur le site si agréablement dénommé: Guillotine. Tous renseignements disponibles au Fan Club.

Le pouvoir ne protège pas - Il se protège... Ajoutons que cet avertissement prend tout son sens quand le pouvoir prétend justement protéger les citoyens…

La conjonction de ce pochoir avec les discours musclés sur la sécurité et la protection des honnêtes citoyens raisonne comme un avertissement : avec son sourire ironique, la Miss a l’air de dire : « Comment ? Ne faites pas comme si vous ne le saviez pas… ».

Je sais que beaucoup de gens ont besoin de croire à la sincérité des politiciens, et qu’on résiste au message de Machiavel nous avertissant que la seule passion de l’homme politique c’est la conquête et la conservation du pouvoir. A l’heure où la France est sous « sarkothérapie », il est sans doute mal venu de prodiguer ce genre d’avertissement.

Mais l’histoire nous a transmis bien des fois ce message : la meilleure façon pour le pouvoir de se protéger de la contestation, c’est de le faire au nom de la sécurité publique. Remarquez qu’il serait facile de chercher des exemples dans les dictatures du XXème siècle. Mais il y a moins outrancier et donc plus convainquant : voyez le président Bush qui, malmené par les élections, cherche à revenir dans les sondages en réactivant la peur de Ben Laden et d’Al Qaeda. C’est la vidéo de Ben Laden qui lui sert à justifier une nouvelle fois l’intervention en Irak.

Peut-être, direz-vous. Mais si pour gagner en popularité, le pouvoir nous protège effectivement de la racaille, alors l’essentiel n’est-il pas là ?

Regardez encore le pochoir : que fait la Miss ?

Elle flingue.

Et qui est dans la ligne de mire ?

Friday, September 07, 2007

Citation du 8 septembre 2007

Définition - Imputer une action à quelqu’un, c’est la lui attribuer comme à son véritable auteur, la mettre pour ainsi parler sur son compte et l’en rendre responsable.

Dictionnaire de Trévoux (cité par Paul Ricœur - Le juste p. 44)

Aujourd’hui, il semble que la vox populi ait trouvé un relais au plus haut niveau de l’Etat. En témoigne cette affirmation que la démence ne saurait être cause de l’extinction de l’action judiciaire : entre un doux dingue qui ne ferait pas de mal à une mouche et l’obsédé pathologique qui viole et qui tue, il faut faire la différence, et le crime doit être poursuivi en justice parce qu’il a eu lieu et non pas seulement lorsqu’il a été voulu, ou assumé.

Si on ne mélange pas cette revendication avec l’appel à la vengeance (1), le problème est alors un problème de droit, qui ne se réglera pas sans une élucidation philosophique. La question est de savoir si on peut imputer l’acte à celui qui vient de le commettre, sachant qu’imputer juridiquement parlant implique l’obligation de subir la punition et de réparer sa faute - le pénal et le civil.

Ce n’est pas pour rien que l’ouvrage de Ricœur cité en référence est fait de conférences prononcées devant des magistrats : c’est que la question de la responsabilité pénale est d’abord celle du sujet de l’action. Question strictement philosophique (même si la psychiatrie s’en empare aussi à juste titre). Je ne peux ici que renvoyer au texte de Ricœur. Mais ce que je voudrais dire c’est que dans le discours présidentiel sur la question, j’entends l’idée que ce qu’on doit sanctionner, c’est l’acte, et que la justice poursuivra celui qui l’a accompli, même quand il n'aurait pas été en état ni de savoir, ni de vouloir ce qu’il faisait. Alors, certes, les braves gens disent : « Ça n’est pas possible de ne pas savoir ce qu’on fait. Ou bien c’est une fausse excuse, ou bien c’est qu’on a fait exprès de se mettre dans cet état d’inconscience. On aurait dû pouvoir l’éviter. » Mais au fond, ce qu’on veut, c’est, coûte que coûte, que quelqu’un paie.

Ce n’est pas nouveau : c’est comme ça qu’au moyen age on a fait des procès à des animaux.

(1) On entends certains dire en effet « Tu as tué mon enfant, je te mets une balle dans la tête ». L’idée ici, c’est que la victime - ou ses proches - doivent avoir le droit de se faire justice eux-mêmes. Voir là-dessus mon Post du 14 juin 2006.

Thursday, September 06, 2007

Citation du 7 septembre 2007

Du point de vue de la médiocrité humaine qu'il n'a cessé de dépeindre, toutes classes sociales confondues, un homme en valait toujours un autre...

Anonyme (commentaire sur Marcel Aymé)

La notion de médiocrité à eu une aventure sémantique tout à fait révélatrice : signifiant initialement «moyen » (le médiocre est celui qui est simplement dans la moyenne), le mot en est venu à signifier ce qui est au-dessous de la moyenne, tant l’idée de n’être que dans la masse des être moyens (ou individus lambda (1)) a signifié être sans originalité, sans qualités remarquables, bref, être insuffisant. Cette aventure sémantique reflète sans doute l’influence des élites sur la culture

Un homme en [vaut] toujours un autre, peut s’entendre de trois façon différentes :

- Ou bien les hommes sont considérés comme ayant tous les mêmes caractéristiques. Il s’agit de l’homme moyen, de l’individu lambda évoqué ci-dessus, ou du médiocre au sens originel.

- Ou bien l’égalité tient au fait que l’homme ne peut avoir de plus ou de moins, parce qu’il est considéré comme un absolu. C’est l’enfant de Dieu, celui qu’Il aime comme Sa créature, celui que je dois respecter simplement parce qu’il est Homme.

- Ou bien parce qu’il est un néant, un pur zéro, et comme 0=0, il n’y a pas lieu de considérer qu’un homme peut en dépasser un autre. C’est ainsi que Marcel Aymé considérait ses contemporains (idem pour Céline)

Autrement dit, il y a des égalités plus ou moins respectables, et nul doute que l’égalité dans la médiocrité soit insupportable.

Et si les médiocres se révoltaient ? Si ils disaient : c’est nous qui sommes les plus nombreux, c’est à nous de dire ce qui est bon et ce qui est mauvais. Vous, les êtres exceptionnels, vous qui vous permettez de nous mépriser, vous n’êtes que des monstres, des déviants qu’il faut stériliser pour éviter qu’ils ne polluent l’espèce humaine…

Tout Nietzsche et une bonne partie de Platon sont dans la description de ce danger.

(1) Lambda, correspondant comme on le sait à notre "l" dans l’alphabet grec, est la lettre qui est juste au milieu de l’alphabet.

Wednesday, September 05, 2007

Citation du 6 septembre 2007

L’Eternel (à Noé et ses fils) : "Pour vous, fructifiez, multipliez, foisonnez sur la terre et la dominez."

Genèse 9, 7

Mme de Saint Ange à Eugénie : « J'ai la propagation [de l’espèce] dans une telle horreur que je cesserais d'être ton amie à l'instant ou tu deviendrais grosse »

Sade - La philosophie dans le boudoir.

Après avoir démontré que Dieu n’a pas inventé l’enfant (voir post du 17 juin 2007), je reviens sur la question : si l’Eternel demande aux hommes (et pas qu’une fois) de peupler la terre, est-ce pour multiplier les âmes qui vont louer Sa Grandeur, ou bien parce que la Création ne serait pas si parfaite sans l’homme ?

Au fond, la question est : pourquoi faire des enfants ? Autrefois, alors même que cette question ne se posait guère, puisqu’on n’avait que très rarement le contrôle de la natalité, la réponse était généralement que les enfants avaient pour tâche de prendre en charge leurs vieux parents - y compris leurs funérailles. Transposé de nos jours, la réponse serait donc : faites des enfants car ce sont eux qui paieront vos retraites.

Oui, mais voilà : la solidarité intergénérationnelle ce n’est plus à la mode, et les fonds de pensions remettent au goût du jour la rente. Plus besoin d’enfants, un bon gestionnaire financier suffit.

En tout cas, loin d’être un épouvantable péché, refuser de faire des enfants est devenu tellement banal qu'on peut construire une publicité là-dessus, ainsi que le montre la vidéo suivante :



Ainsi donc, on aurait dû voter Miss.Tic (cf. Post du 29 avril 2007).

Citation du 5 septembre 2007

Mes problèmes ont commencé très tôt. Je suis allé dans une école pour professeurs inadaptés.

Hal Eaton

Oui, notre jeune Kévin, dont nous avions suivi la rentrée l’an dernier (9 sept), s’est fait étendre au bac. Il redouble, mais comme quelques uns de ses copains ont eu la bonne idée d’en faire autant, il y a une joyeuse petite bande qui est entrain de se reformer au fond de la classe. Hélas, la prof de maths est toujours madame Lemercier dont nous avons déjà suivi les démêlées avec notre jeune héros (4 juin 2006 et encore le 1er octobre)

- Alors Kévin, cette rentrée ? Comme ça se passe ?

- Bof, m’en parle pas… J’ai encore Lemercier comme prof principale

- Madame Lemercier ? La prof de math ?

- Ouais, et je peux te dire qu’on se demande tous comment elle a fait pour en arriver à être prof de Spé-math en TS… Je me rappelle que l’an dernier elle s’endormait carrément pendant qu’on faisait les exos qu’elle venait de nous donner. Il lui est même arrivé d’oublier de les corriger : Alzheimer est pas loin.

- Tu exagères vraiment : je l’ai rencontrée l’an dernier, c’est une femme d’âge mûr c’est vrai mais elle doit avoir de l’expérience.

- De l’expérience ? A ouiche, elle en a, mais c’est pour rien faire. A la pose de 5 heures, elle file pour se prendre un café, et elle ne revient qu’un quart d’heure après. Même les copains qui vont fumer leur clope dans la rue reviennent avant elle.

- N’empêche que c’est un prof très important pour toi : tu dois la respecter.

- Très importante ? Oui elle l’est en effet : elle doit faire dans les 80 kilos, et elle a une paire de roploplos qu’on se demande si c’est à elle tout ça. En plus elle met depuis la rentrée des décolletés vertigineux : on dirait le Grand Camion du Colorado !

- Kévin, si tu me parlais de ton prof de géographie plutôt ?

Monday, September 03, 2007

Citation du 4 septembre 2007

Le plus beau présent de la vie est la liberté qu'elle vous laisse d'en sortir à votre heure.

André Breton - Introduction à Jacques Rigaut dans "Anthologie de l'humour noir"

Brrr… Vous n’avez rien de mieux à nous proposer, monsieur Breton ? Parce que si le mieux pour nous c’est de pouvoir nous faire sauter le caisson quant on en a envie, alors qu’est-ce que ça doit être le reste : je veux dire tout ce que la vie nous offre par ailleurs.

- Vous ne voudriez pas plutôt contempler un tableau de Rembrandt ? Ecouter une suite pour violoncelle de Bach ? Lire Zarathoustra ? Aller au cinéma pour une rétrospective Godard ? Ou alors voir l’avenir se refléter dans les yeux d’un petit enfant ? Entendre son rire s’égrener en cascade cristalline ? Non ? Je vois : vous êtes du genre à préférer manger une gros gâteau au chocolat ? Non plus ? Ah ! Ça y est. Vous aimeriez plutôt passer un 5 à 7 crapuleux avec une copine ?

- Non, merci, je préfère savoir qu’il y a une fenêtre au 15ème étage d’où je pourrais sauter si le cœur m’en dit.

Alors là, permettez moi de protester : à part pour la rétrospective Godard où en effet la défenestration serait peut-être à conseiller, tous ces cadeaux de la vie valent mille fois mieux que la possibilité du suicide.

Breton a une vision tragique de la vie, ça tient à son époque peut-être. Je sais que Malraux a une scène de la Condition humaine comme ça (1) : un prisonnier va être brûlé vif dans la chaudière d’une locomotive. Il a une capsule de cyanure pour éviter ce supplice : mais elle lui échappe des doigts, et c’est précisément une liberté essentielle qui file avec elle.

On est renvoyé à l’analyse durkheimienne du suicide : celui-ci est l’indice de l’orgueilleux individualisme contemporain, selon le quel l’individu ne se conçoit plus à travers son appartenance au groupe. Autrefois c'était le groupe social qui était en quelque sorte le propriétaire du corps des individus ; l'individu, aujourd’hui son corps lui appartient et il en fait ce que bon lui semble. C’est ce que Durkheim appelle la déliaison (voir ceci). Le suicide, c’est le mépris pour les autres, ceux qui réclament que nous restions en vie pour eux (2).

Dans le Phédon Socrate aussi condamne le suicide individualiste en ces termes « Que dirais-tu su tu étais le berger d’un troupeau et que tu voies tes brebis se tuer ? » (1).

Quoique, vu comme ça, Breton a peut-être raison…

(1) Je cite de mémoire.

(2) Libé a publié hier une page consacrée au philosophe néerlandais Ton Vink, spécialisé dans le conseil aux candidats au suicide. Il insiste sur l’information des proches : prévenez les autres quand vous voulez vous suicider.

Sunday, September 02, 2007

Citation du 3 septembre 2007


Si on enlevait l´air du ciel, tous les oiseaux tomberaient par terre.

Jean-Claude Van Damme (1)

La colombe légère qui, dans son libre vol, fend l'air dont elle sent la résistance, pourrait s'imaginer qu'elle volerait bien mieux encore dans le vide.

Kant Critique de la raison pure ", (introduction). (2)

Voyez l’injustice : alors que cette citation de Kant, l’une des plus connues peut-être, apparaît comme la géniale image permettant de comprendre la critique de l’idéalisme, celle de Jean-Claude Van Damme apparaît dans des bêtisiers. Il suffit de citer le nom de notre cinéaste belge pour faire rire : d’ailleurs je suis sûr que vous vous tordez déjà (3)

Bien sûr, il en va ici comme toujours en matière de citation : tout dépend du contexte. Si on considère les citations dans leur ensemble (voir (1) et (2)), on voit que notre philosophe belge s’intéresse plus à la nature de l’air qu’à son rapport aux oiseaux. Et que Kant s’intéresse plus aux colombes qu’à l’air qui les porte. Mais qui donc, à part quelques philosophes y voient malice ?

La vérité, c’est que Van Damme doit être un parfait crétin, parce qu’il se mêle de penser alors qu’il a de gros muscles. Oui, de même que nous avons mis plusieurs siècles (ou plusieurs millénaires, voire même plusieurs millions d’années (4)) à admettre qu’une belle femme pouvait en plus être intelligente, de même nous considérons que Monsieur Muscle est nécessairement bas du plafond. Oui, même Schwarzie, il ne doit la considération dont il jouit aujourd’hui qu’au fait qu’avec l’âge on a fini par les oublier, ses muscles.

Alors, qu’est-ce que ça veut dire tout ça ? Consultons les néo-darwiniens.

Si nous admettons que ce qui compte dans une espèce, c’est ce dont elle dispose pour se propager à travers des millions d’années, nous dirons que la beauté des femmes garantit la procréation, et la musculature des hommes la protection de la progéniture. Mais si la pensée est disqualifiée comme incompatible avec ces caractéristiques, alors c’est que la pensée n’est pas nécessaire pour la sauvegarde de l’espèce - voire même qu’elle y ferait obstacle.

On a presque envie de se faire créationniste.


(1) Citation complète : " Je suis fascine par l´air. Si on enlevait l´air du ciel, tous les oiseaux tomberaient par terre....Et les avions aussi.... En même temps l´air tu peux pas le toucher...ça existe et ça existe pas...Ca nourrit l´homme sans qu´il ait faim...It´s magic...L´air c´est beau en même temps tu peux pas le voir, c´est doux et tu peux pas le toucher.....L´air c´est un peu comme mon cerveau... " J.C. Van Damme

(2) Citation complète : La colombe légère qui, dans son libre vol, fend l'air dont elle sent la résistance, pourrait s'imaginer qu'elle volerait bien mieux encore dans le vide. C'est justement ainsi que Platon quitta le monde sensible parce que ce monde oppose à l'entendement trop d'obstacles divers, et se risqua au-delà de ce monde, sur les ailes des idées, dans le vide de l'entendement pur."

(3) Oui, je l’avoue, j’ai moi-même exploité le filon.

(4) Lucy qui était déjà une belle femme (comme on peut le constater) était sûrement très intelligente pour son époque.

Citation du 2 septembre 2007

Il n'y a de bons professeurs que ceux en qui subsiste la révolte de l'élève.

Edmond Gilliard - L'Ecole contre la vie

Le prof parle, il pense qu’il a quelque chose à apprendre à ses élèves. Eux, ils sont là, devant lui, à attendre…à attendre quoi donc ? Au fait, qu’est-ce qu’ils font, les élèves ?

En réalité ça dépend : vous avez ceux qui sont là pour travailler (1), et rien que ça. Si vous pouviez dicter votre cours ils seraient les plus heureux du monde, même si vous dictiez des pages de l’annuaire téléphonique. Et puis vous avez celui qui, goguenard, vous attend au virage : il va faire juste ce que vous allez lui commander : ni moins, ni - surtout - plus. Ça, c’est pour la semaine de la rentrée, parce qu’après, si vous n’avez pas su le mettre au travail, alors là vous allez souffrir.

Face à ce genre d’élève, il vous faut être un « bon professeur », c’est à dire leur faire comprendre qu’il faut qu’ils se révoltent ; ou plutôt, il faut leur donner envie de se révolter, c’est à dire : envie de comprendre. C’est là que la phrase de Gilliard prend son sens : le bon prof, c’est celui qui perçoit l’indifférence de ses élèves comme l’ennui de celui qui est résigné à ne plus utiliser son intelligence, c’est à dire à ingurgiter des tonnes d’informations en se disant que ça lui servira le jour … de l’interro surprise. Mais pour le reste, pour le monde extérieur, alors là, c’est une autre chanson : là, on s’excite et on balance des vannes pour charmer les copains. L’école, c’était autre fois le monde des blouses grises et des tableaux noirs. La couleur à tout envahi, mais elle n’a rien changé.

Oui, il faut casser tout ça ; mais aucun système ne pourra échapper à l’ennui, s’il ne se donne pas pour tâche exprès de stimuler l’intelligence : et c’est là que la révolte est utile. L’intelligence est refus d’admettre sans examen ce qu’on veut nous apprendre.

C’est d’ailleurs la méthode que Descartes préconise :

«[Mon] premier [précepte est] de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être » (2).

Voilà, c’est ça que les élèves devraient dire à leur prof : vous avez intérêt à vous justifier, mon gaillard, sinon, ça être le souk dans la classe.

(1) En général, ce sont plutôt les filles qui font ça : je ne dis pas qu’elles le font toutes, bien entendu. Mais je dis que, quand un élève travaille comme ça, c’est le plus souvent une fille.

(2) « Le premier [précepte] était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle : c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention ; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute. » Discours de la méthode (2ème partie)