Saturday, June 30, 2007

Citation du 1er juillet 2007

Bac Série STG - Session de juin 2007 -Dissertation de philosophie -

Sujet : Les échanges favorisent-ils la paix ?

"Dans l'exemple d'une rose en échange d'un peu d'amour, la beauté de la rose suffit a oublier et pardonner. […] Mais prenons par exemple un homme qui offre à sa femme un aspirateur à la Saint Valentin, cela est util (sic) certes mais celle-ci peut ne pas aimer et être mécontente ce qui va entraîner une dispute."

Candidat anonyme

(Ceux qui s’intéressent - entre autre - à la production de la nouvelle génération aux prises avec leur copie de philo-du-bac ont tout intérêt à filer voir le bêtisier du magnifique site-philo de Pierre-Jean Haution)

Le don n’existe pas : n’existent que des échanges (1). Je ne donne que pour recevoir : donner une rose pour recevoir un peu d’amour… Donner un aspirateur pour recevoir… oui, mais quoi donc ?

Lui : Tiens chérie, c’est la Saint-Valentin aujourd’hui, regarde ce que je t’offre.

Elle : Oh ! Merci mon amour. Vite j’ouvre la boite…

.. Quoi ? Un aspirateur !!! Pour qui tu me prends ? Pour ta bonne,hein ! Espèce de salaud !!!. Tu le passeras toi-même ton aspirateur.

Lui : Mais Chérie, regarde, c’est un Dyson.

Bref : dans l’échange, il doit y avoir homogénéité entre ce qu’on donne et ce qu’on reçoit. On admettra qu’il y a homogénéité entre la rose et l’amour, mais pas entre l’aspirateur et l’amour.

D’où deux questions :

1 - Contre quoi pourrais-je échanger un aspirateur ?

2 - En échange de quoi pourrais-je obtenir un peu d’amour ?

Je laisserai la première question aux spécialistes de l’électroménager, dont je ne fais pas partie.

En revanche, je considère que le « candidat anonyme » (que je soupçonne d'être une candidate) a une drôle de mentalité. Comment dire qu’on donne une rose en échange d'un peu d'amour, alors que l’amour est don de soi sans échange. J’admets que la citation laisse entendre qu’il s’agit d’un rituel de réconciliation et donc que le but est la remise en route de la réciprocité. Soit. Mais prendre ça comme exemple, c’est bien assimiler l’amour à de l’échange, et là ça ne marche pas. A moins de faire de l’amour quelque chose de mercantile.

Epouvantable.


(1) Voir ceci, et en particulier le Post du 2 décembre 2006


Friday, June 29, 2007

Citation du 30 juin 2007

L'amour vit d'inanition et meurt de nourriture.
Alfred de Musset
Le romantisme, c’est l’époque où on pouvait mourir d’amour. Quelle belle époque…
Sincèrement, vous y croyez ? Oui ? Alors, lisez attentivement ces billets d’amour échangés par Georges Sand et Alfred de Musset. (1)
- De Georges Sand à Musset :
Je suis très émue de vous dire que j'ai
bien compris, l'autre jour, que vous avez
toujours une envie folle de me faire
danser. Je garde un souvenir de votre
baiser et je voudrais que ce soit
là une preuve que je puisse être aimée
par vous. Je suis prête à vous montrer mon
Affection toute désintéressée et sans cal-
cul. Si vous voulez me voir ainsi
dévoiler, sans aucun artifice mon âme
toute nue, daignez donc me faire une visite
Et nous causerons en amis et en chemin.
Je vous prouverai que je suis la femme
sincère capable de vous offrir l'affection
la plus profonde et la plus étroite
Amitié, en un mot, la meilleure amie
que vous puissiez rêver. Puisque votre
âme est libre, alors que l'abandon où je
vis est bien long, bien dur et bien souvent
pénible, ami très cher, j'ai le cœur
gros, accourez vite et venez me le
faire oublier. À l'amour, je veux me sou-
mettre entièrement.
Votre poupée.
A priori, si vous n'avez pas compris que cette lettre en cache une autre, c'est beau, plein de poésie... Maintenant, lisez la première ligne et ensuite une ligne sur deux...
Alfred de Musset a répondu ceci :
Quand je vous jure, hélas, un éternel hommage
Voulez-vous qu'un instant je change de langage
Que ne puis-je, avec vous, goûter le vrai bonheur
Je vous aime, ô ma belle, et ma plume en délire
Couche sur le papier ce que je n'ose dire
Avec soin, de mes vers, lisez le premier mot
Vous saurez quel remède apporter à mes maux.
Maintenant, relire les premiers mots de chaque vers.
De la même manière George Sand a répondu ceci :
Cette grande faveur que votre ardeur réclame
Nuit peut-être à l'honneur mais répond à ma flamme.

...Romantic, isnt’it ?
-----------------------------------
(1) En cette période de vacances, on me permettra de céder la place à Georges et à Alfred…
D’ailleurs pour ceux qui ne seraient pas au courant, ça me permet de rappeler que Georges Sand était une sacrée coquine qui, alors qu’Alfred était malade comme un chien (Tourista ? Typhoïde ? C’était à Venise), s’envoyait en l’air avec le beau médecin vénitien qui venait le soigner…

Thursday, June 28, 2007

Citation du 29 juin 2007

Ça m'arrive souvent de ne penser à rien. - - C'est déjà mieux que de ne pas penser du tout.

Raymond Queneau - Pierrot mon ami (1942)

- Dis-moi Minou, à quoi tu penses ?

- A rien.

- Comment ça « à rien » ? Si tu penses, tu penses forcément à quelque chose.

….Tu ne veux pas me dire à quoi tu penses ?

- Mais non, tu sais que je n’ai rien à te cacher.

- Je suis sûre que tu pensais à notre grosse voisine qui oublie de fermer ses rideaux le soir.

- Mais tu n’y es pas du tout, Bonnie. D’ailleurs elle est très moche.

- Je suis sûre que si. Tu n’es qu’un gros dégoûtant.

- Ecoute, Bonnie, parfois tu peux avoir des rêveries, des images mal dégrossies qui passent dans ton esprit sans laisser de traces. Tu penses à tout ça, mais si tu devais dire à quoi tu penses, tu ne saurais pas.

- Moi, Minou, quand je pense, je sais toujours à quoi je pense. Tiens par exemple, je pense à une glace à la fraise dans son cornet de gaufrette : je vois ma langue qui la lèche, je sens le goût de la fraise, j’entends craquer la gaufrette sous mes dents…

Dis-moi, Minou. A quoi tu pensais il y a un instant. S’il te plaît…

- Maintenant que tu m’en parles, je sais à quoi je pensais, Bonnie. Je pensais à toi. Je voyais ma langue…

- Arrête Minou ! J’avais raison : tu n’es qu’un gros dégoûtant.

Finalement, je préfère quand tu penses pas du tout.

Wednesday, June 27, 2007

Citation du 28 juin 2007

Savoir pour prévoir, prévoir pour pouvoir.

Auguste Comte (1)

Voilà qui est bien banal et bien évident : la science - au moins depuis le 16ème siècle - se donne pour finalité (en dehors de la recherche fondamentale) non pas la contemplation de l’harmonie du monde (comme chez Aristote), mais bien sa transformation. Agir sur la nature, par la prévision de ses états futurs.

Voici deux exemples qui nous montreront que ce n’est pas si simple :

- La météo nous apprend qu’une dépression arrive et que des orages sont à craindre : alerte orange. Je remets à plus tard ma sortie, ou bien je m’équipe en conséquence. Qu’est-ce que ça change à la nature ? Réponse : rien.

- Je consulte les prévisions électorales avant le second tour des législatives : on m’annonce 500 députés pour le parti du Président. Je modifie mes projets : au lieu d’aller à la pêche à la ligne, je vais voter pour le candidat d’opposition. Qu’est-ce que ça change au résultat de l’élection ? Pas mal de choses.

Les sciences de la nature ne modifient pas leur objets par la connaissance qu’elles en ont (2).

Par contre, les sciences humaines ont ceci de particulier que la connaissance de l’objet étudié (= résultat des élections) suffit à le modifier (comportement électoral) : paradoxe d’une science qui, parce qu’elle est efficace, est en même temps à refaire en permanence.

J’ai connu des marxistes qui soupiraient en disant que si la bourgeoisie avait triomphé du prolétariat, c’est parce que les capitalistes avaient lu Marx et qu’ils ont su adapter leur stratégie pour éviter la révolution prolétarienne que celui-ci avait pronostiquée. D’un point de vue théorique, ce n’est peut-être pas très intéressant, mais d’un point de vue politique, c’est plus instructif.

(1) Certains attribuent la formule à Bacon.

(2) Bien entendu on laisse de côte la physique quantique et le matou de Schrödinger

Tuesday, June 26, 2007

Citation du 27 juin 2007

J’ai donc choisi de réfléchir à l’étude de l’oeuvre intégrale comme moyen pour réutiliser et affiner les outils de lecture propres au texte de théâtre, à propos d’un texte déroutant à première lecture : La Cantatrice Chauve.

Auteur : Cécile LEBOT - Maîtrise des outils de lecture du texte théâtral dans le cadre de l'étude d'une oeuvre intégrale : La Cantatrice Chauve de Ionesco

Pour qui a le temps de musarder sur le Net, Google réserve de délicieux moments. Comme celui des mémoires de maîtrise. Loin de moi l’intention d’offenser les auteurs de ces travaux dont l’éventuelle vacuité est plus souvent la conséquence des exigences du directeur de mémoire que de l’inconsistance de l’auteur.

Mais avouez que lire Ionesco, et puis enchaîner avec une phrase comme celle-là est plutôt décapant : on imagine madame Smith pontifiant sur les outils de lecture…

Les outils de lecture… tout est outils aujourd’hui. Si je dis « outil », à quoi vous pensez ? A un marteau ? A un tournevis ? Peut-être. Mais vous pourriez aussi penser à un logiciel comme Word ou comme Excel. Ça se dit beaucoup, et on n’arrête pas d’apprendre à maîtriser des outils, comme le rappelle opportunément notre citation. Hier, le président de la France a inauguré le satellite d’embarquement S3 à Roissy, outil pour Air France qui pourra ainsi accueillir les passagers dans les meilleures conditions. Un bâtiment de 750 mètres de long : un outil. Ça ne s’invente pas.

Alors vous croyez peut-être que je vitupère contre les manies de langage qui émaillent les propos de nos contemporains ? Sans doute, mais pas seulement. Je veux dire que pour y comprendre quelque chose, il faut absolument maîtriser la conceptualisation. Outil est ici un concept, qui se définit comme une idée générale, très générale même. Si vous ne généralisez pas le contenu du concept (ce qu’on appelle sa connotation), vous ne parviendrez pas lui faire désigner autant d’objets (sa dénotation). La règle est que plus le champ dénoté est vaste, plus le contenu connoté est restreint. Conséquence : vous avez un seul mot qui n’a finalement presque plus de sens, mais vous pouvez désigner n’importe quoi..

Supposons que cette inflation de certains termes se développe. Au lieu des 2000 ou 3000 mots qu’il faut pour se faire comprendre (oui, c’est vrai : certains se débrouillent avec 500), un dizaine suffirait. Quel repos !

Vous me schtroupfez ?

P.S. Si un mémoire de maîtrise sur la langage schtroumpf vous tente, allez-y ; je ne crois pas quel ce sujet ait déjà été tenté.

Monday, June 25, 2007

Citation du 26 juin 2007

Toute terre est la même à six pieds de profondeur.

Paul Claudel - L'Otage

D’abord, une remarque sur la nature des citations. Certaines citations paraissent si anonymes qu’on ne perd rien à ignorer leur auteur ; d’autres sont tellement solidaires de l’auteur et de l’œuvre dont elles sont extraites qu’on est à peu près sûr de les dénaturer à ne pas en tenir compte. Claudel fait partie de cette seconde catégorie : chaque citation de Claudel est tellement pleine de lui, chacune de ses œuvres est tellement présente dans le moindre de ses fragments, qu’à moins d’avoir le souvenir des émotions qu’il nous y a fait vivre, il est vain de vouloir le citer.

… Et pourtant je m’y risquerai aujourd’hui, avec un fragment exceptionnellement neutre : ça existe tout de même !

Je suis propriétaire de mon jardin. J’y creuse un trou : le fond du trou, il est à moi aussi bien que le reste de mon territoire. Aussi loin que je creuse ce sera la même chose. Mais à quoi bon creuser si au bout d’un certain temps je ne trouve plus aucune raison de persévérer ? Ce qui m’appartient, c’est ce dont je peux faire quelque chose. « A six pieds de profondeur », la Terre n’appartient plus à personne.

Vanité des choses humaines : notre activité bouleverse la Terre entre zéro et six pieds de profondeurs. Voilà tout, et c’est peu.

Est-ce si peu ? On connaît les conflits judéo palestiniens à propose de Jérusalem : les Israéliens prétendent légitimer leur prise de possession de la ville en démontrant, fouilles archéologiques à l’appui, que le sous-sol recèle des vestiges de la présence des Hébreux bien longtemps avant que les Palestiniens n’occupent les lieux. En sorte que le premier occupant, et donc celui qui a des droits sur ce territoire, c’est celui dont la trace est profondément enfouie dans les entrailles de la ville. Entre zéro et six pieds il se passe des choses, peut-être pas essentielles pour notre planète, mais très importantes pour nous.

Mais aujourd’hui, on se sent le besoin de contester la phrase de Claudel d’une autre façon. On a l’impression (mais là encore il faudrait se reporter à son ouvrage) qu’il veut dire que l’activité humaine est dérisoire parce qu’elle se contente de gratter la surface de la Terre. Or tous les écolos vous le diront : le drame, c’est justement que les activités des hommes ont des conséquences sur l’atmosphère - et ce à des altitudes qu’on mesurerait difficilement en pieds - et sur les océans, jusqu’au tréfonds de leurs abysses.

En sorte que si la Terre est partout la même, elle n’est plus la même qu’avant.

Sunday, June 24, 2007

Citation du 25 juin 2007

Il faut bien prendre garde d'inspirer aux hommes trop de mépris de la mort: par là, ils échapperaient au Législateur.

Montesquieu - Mes Pensées, 1736

«mépris de la mort »… En octobre 1944, lorsqu’à la bataille du golfe de Leyte, les premiers avions suicides japonais se sont écrasés sur les navires américains, en envoyant une quarantaine par le fond, ce fut la stupeur. Sans doute l’impacte des attentats du 11 septembre 2001 a-t-il été accentué par la reprise de cette technique de l’attaque suicide avec avions.

Que faire contre un ennemi qui affronte la mort de cette façon ? Bien entendu, la mort n’apparaît ici que comme un passage vers un au-delà bienheureux réservé aux braves qui se sacrifient ainsi (voir message du 29 janvier 2007).

Montesquieu, toujours aussi pragmatique, ne perd pas son temps en spéculations métaphysiques. Sa thèse est bien plus proche de notre quotidien : seule la peur - en en particulier la peur de la mort - peut contraindre les hommes à obéir aux lois.

On peut le regretter mais on ne parviendra pas avant longtemps à inspirer le respect des lois par la seule considération du bien et du mal. C’est en terme d’avantages et d’inconvénients que l’obéissance est évaluée, et la désobéissance sera choisie par ceux qui n’y trouvent aucun désavantage : c'est un des aspects les plus connus de l'utilitarisme.

Quel désavantage y a-t-il à désobéir ? Celui d’être puni. Est puni celui qui subit, du fait de sa faute, une souffrance, et en particulier qui est privé de sa liberté, voire même de sa vie. Mais quelle punition infliger à celui qui n’a rien ? A celui qu’on a spolié de tout ? Celui dont on a massacré la femme et les enfants, celui qu’on a enfermé dans un camps pour réfugiés, ou qui est né là, sachant qu’il n’en sortira jamais ? A celui dont la vie n’est que souffrances et misères ? Qu’est-ce qu’il a à perdre celui-là ? Et si il a une chance sur mille d’améliorer sa condition s’il commet un forfait abominable, pourquoi est-ce qu’il n’essaierait pas ? Et si des généraux, des prêtres, des ayatollahs le persuadent qu’après son sacrifice il ira vers les verts jardins ou les vierges d’Allah, qu’est-ce qu’il a à perdre à essayer ?

Il est donc impossible d’imposer le respect des lois à ceux qui n’ont pas de présent et encore moins d’avenir.

Vous voulez la sécurité ? Inutile de durcir les peines. Faites que chacun ait quelque chose à perdre à commettre un forfait.

Saturday, June 23, 2007

Citation du 24 juin 2007

Chair amie

Miss.Tic - Sous vêtements Miss.Tic pour "Nuits de satin"

Non, mais qu’est qui lui prend à la Miss de nous faire une ligne de lingerie ? Etait-elle poursuivie par le fisc, ou bien a-t-elle été prise au piège d’une promesse imprudente ?

Vous n’y êtes pas. Pas du tout même.

Voyez-vous, ce message ne peut faire pleinement son effet que s’il est imprimé sur une petite culotte (sur le soutif’ aussi, oui). La chère devenant chair : ça évoque bien sûr le trouble du frisson qui irradie le corps sous l’effet du désir (là dessus voir ceci et éventuellement cela). Ce message n’aurait pas du tout le même pouvoir évocateur s’il était peint sur un mur où imprimé sur une affiche. Nous devons l’imaginer avec le chatoyant du satin (Nuits de satin), se perdant dans des replis où le tissus et les secrets du corps féminin ne font plus qu’un…

Calmons nous.

Tout cela est la confirmation de la célèbre thèse de Mac Luhan : « Le médium EST le message ». Ou pour faire simple, le message (Chair amie), exerce sur nous une influence qui est redoublée par le moyen de transmission (la petite culotte). On a ainsi une inversion du rapport fond/forme : le moyen de transmission (forme) exerce sur nous une influence plus grande que le message (fond). Vous allez me dire que dans ce cas on peut carrément supprimer le message : s’il n’y avait que la petite culotte il n’y aurait plus de fond (1) et finalement ça nous ferait autant d’effet. Peut-être…Mais uniquement si vous avez gardé votre fraîcheur d’adolescent acnéique. Mais avouez que les tee-shirts aux innombrables messages montrent que l’union de la formule imprimée et du lieu où il se déploie (sur la poitrine dans le dos…) constitue un ensemble sur-signifiant.

D’ailleurs faites une petite expérience : écrivez un message d’amour directement sur votre peau, où vous voudrez, et allez montrer ça à votre petit(e) ami(e) : vous allez voir l’effet !

(1) Vous pouvez garder votre jeu de mots foireux pour vous.

Friday, June 22, 2007

Citation du 23 juin 2007

« Être comme il faut.
Règle sans exception. Les hommes dont il ne faut pas ne peuvent jamais être comme il faut. Par conséquent, exclusion, élimination immédiate et sans passe-droit de tous les gens supérieurs. Un homme comme il faut doit être, avant tout, un homme comme tout le monde. Plus on est semblable à tout le monde, plus on est comme il faut. C'est le sacre de la multitude. »

Léon BLOY - Exégèse des lieux communs

On a envie de couper cette citation en deux et de les présenter successivement :

« Les hommes dont il ne faut pas ne peuvent jamais être comme il faut » : voilà, se dit-on la dénonciation de l’exclusion et du mépris envers ceux qui sont différents, du SDF qui est mon frère, de Mouloud, qui est mon semblable (oui, mon frère aussi). Ce sont des gens dont l’exclusion sociale est aussi une condamnation à mort : ils ne devraient pas exister.

« Par conséquent, exclusion, élimination immédiate et sans passe-droit de tous les gens supérieur ». Changement de décor : on n’avait rien compris. Les exclus, ceux que la société vomit, ce ne sont pas les sans-droits, les réfugiés venus d’ailleurs. Ce sont les élites, ceux qui refusent d’entrer dans le moule parce qu’aucun moule ne peut leur convenir.

Bien sûr, il y a des restes de romantisme dans cette attitude qui consiste à nier son échec en l’attribuant à la peur des autres devant le génie incompris. Les poètes maudits, les héros tragiques font partie de cette sphère-là. Mais dans le même temps, il faut un roman comme Les Misérables pour attirer l’attention sur l’injustice sociale ; elle est là, mais personne ne la voit ; les soubrettes qui crachent leurs poumons dans des soupentes pas chauffées, ça fait un opéra « comique ». Nous sommes dans une société qui accepte l’exclusion, parce qu’elle accepte la hiérarchie jusque dans la vie intime : les immeubles Haussmann avec leurs étages pour les maîtres et ceux pour les serviteurs (pas chauffés justement) - et l’entrée de service, à ne pas oublier. Il ne s’agit pas de croire qu’une fois sorti de l’atelier celui qui commande et ceux qui obéissent n’existent plus. Lorsqu’on est dans sa chambre on est encore un maître ou un serviteur.

Et de nos jours, quand on va frapper à la porte - d’une Discothèque, de l’ANPE - on s’aperçoit que si on est arabe - ou noir, ou jaune, ou crépu, ou tanné, …, on n’est vraiment pas comme il faut.

Thursday, June 21, 2007

Citation du 22 juin 2007

<>Si l'ennui était mortel, l'école serait un cimetière.

Anonyme


Ça, c’est l’école Jules Ferry, avec ses enfants aux doigts violacés d’encre, leurs blouses grises, qui posent sur la photo de classe en rang d’oignons, comme des insectes dans des bocaux de formol…

Et aujourd’hui ? Vos enfants s’ennuient-ils à l’école ? Le maître est sans relief, ses leçons sont inintéressantes ? Oui, mais à la récré on s’échange les images de footballeurs ou les adresses porno sur le net.

Et au collège ? Le cours d’anglais est super chiant, mais comme c’est le bordel, on peut envoyer tranquille de SMS aux potes qui sont en cours de physique. Et là, qu’est-ce qu’on rigole. Mieux même qu’à la cantine.

Et au lycée ? Là stop : c’est ce que je connais un peu. Figurez-vous que les élèves - certains d’entre eux au moins - qui ne fichent rien de rien en classe, sont heureux au lycée, et même je suis sûr qu’ils s’ennuient ferme pendant les vacances. Séquence souvenir : j’ai voulu une fois exclure un élève particulièrement inactif de mon cours : il m’a répondu courroucé qu’il avait le droit d’occuper la place qui était la sienne dans la classe, et qu’il ne devait rien de spécial pour ça. Et surtout pas faire le travail demandé. Il était chez lui

Le lycée est leur demeure, l’endroit où ils ont leur relations sociales les plus performantes, où ils sont reconnus comme personne à part entière par leurs copains, voire même par leurs profs. Car ne vous y trompez pas, certains profs connaissent fort bien leurs élèves et savent ce qu’ils valent en dehors de toute référence scolaire. Oh, oui, quand on en a un - encore souvenir - qui est champion de France de judo, il vaut mieux être au courant. Mais celui qui est super à la guitare basse, où qui collectionne les papillons (oui, j’ai eu ça), ou qui a tous les tee-shirt d’ACDC, ou qui est libero dans son équipe de foot, tous ces gens sont parfaitement passionnants si on les conduits à parler de leur passions. Reste à loger ça dans un cours de physique ou de maths. De philo, ça passe, croyez vous ? Oui, mais s’ils le veulent bien.

Dernière anecdote : Un début d’année je tente de motiver une classe (genre math-techno) en proposant des exposés débat sur le sport : au premier rang, le probablement plus fort de la classe, le plus malin en apparence au moins, me regarde droit dans les yeux « Ah ! Vous voulez nous intéresser ? Ça sera dur. »

Je m’ennuie, parce que c’est mon choix.

Wednesday, June 20, 2007

Citation du 21 juin 2007

Les peintures sont les lectures de ceux qui ne savent pas lire.

Grégoire le Grand (VIème siècle)


Nous avons tous appris à l’école que les vitraux et les statues des cathédrales étaient comme des livres où les fidèles venaient lire les histoires édifiantes qu’ils ne pouvaient déchiffrer autrement..

Etre illettré en ces lointaines époques n’est pas si étonnant : à quoi bon savoir lire quand il n’y rien à lire ? Par contre, plus étonnant est qu’on ait pu déchiffrer quelque chose dans ces représentations qui nous paraissent si énigmatiques, parfois même à peine visibles parce que perchées à des hauteurs excessives.

On pourrait dire : ces représentations parlaient aux fidèles parce qu’elle mettent en image des gens de leur époque, habillés comme eux, occupés comme eux, identifiables au premier coup d’œil. Et c’est vrai. Mais ça ne suffit pas. Pour que l’image remplace le texte, il faut qu’elle soit elle-même codifiée. C’est à dire que, non seulement ses représentations soient conventionnelles - tel personnage immédiatement identifiable est Judas, tel autre Jésus, et Marie, etc.. - mais il faut que le message lui-même soit conventionnel, qu’il raconte toujours la même chose, ou le même extrait de la même histoire. Aucune invention n’intervient : la Synagogue est représentée par une femme un bandeau sur les yeux, parce qu’elle signifie que les Juifs n’ont pas su voir que le Christ était le Messie. Admettons que le premier à produire cette statue ait innové. Il n’en reste pas moins que les évêques, en passant en suite commande de la statuaire de leur cathédrales ont exigé la même, fixant rigoureusement les images et les représentations attendues, parce que le message était toujours le même. Bien sûr il y a toujours des surprises : des innovations du sculpteur ou du verrier, on en trouve dans les recoins, là où rien n’a été prévu. Ce sont des grotesques ou des personnages originaux, ceux précisément que leur créateur ont aimé glisser dans ces interstices de l’œuvre - c’est à dire du message.

On se demande aujourd’hui : où allons-nous avec ces jeunes qui ne lisent plus - voire même qui ont désappris à lire ? Hé bien, l’histoire nous le révèle : nous allons vers une « stéréotypation » (sic ?) de la culture par une codification des messages imagés.

Quelque chose comme ça ?

Peuples du Monde entier, unissez-vous! A bas l'impérialisme américain! A bas le révisionnisme soviétique!

Ça vous va ?


Tuesday, June 19, 2007

Citation du 20 juin 2007

<>Dieu le sait : jamais je n’ai cherché en toi que toi-même.

Héloïse - Lettre à Abélard.

Voyez ce que c’est que la renommée : voici un philosophe célébrissime à son époque, un théologien qui traite d’égal à égal avec le Pape, qu’on a catalogué comme hérétique, un des hommes le plus connus et admiré de son temps. Et tout ce qu’on en a retenu, c’est sa malheureuse histoire d’amour, et l’effroyable châtiment qui fut le sien. (1) « Trompettes de la renommée, vous êtes toujours aussi mal embouchées ».

Mais après tout… Si les thèses philosophiques et théologiques d’Abélard n’intéressent plus qu’une poignée de spécialistes, son histoire d’amour avec Héloïse est toujours aussi actuelle. Les histoire d’amour n’ont-elles donc pas d’histoire ?

Alors évidemment, certains diront que si l’espèce humaine s’est propagée à travers les siècles, les millénaires, les millions d’années, c’est que nos plus lointains ancêtres ont ressenti de l’attirance pour le sexe opposé. Les hommes ont aimé les femmes et les femmes ont aimé les hommes ; à moins qu’elles n’aient été violentées par eux : ça vous dirait d’imaginer que l’humanité n’a pu survivre que grâce aux mœurs de soudards de nos ancêtres ? Que vous, que moi, délicats représentants de la civilisations, nous soyons les rejetons de ces brutes ?

Il nous reste l’espoir d’être les descendants d’Héloïse : « jamais je n’ai cherché en toi que toi-même ». Ça c’est de l’amour. C’est de l’amour de bienveillance, et non de la concupiscence comme ci-dessus ; nous sommes dans l’agapè et non dans l’éros.

Oui, mais si nous étions les descendants d’Abélard ? Voici un professeur (précepteur même), à qui on confie une jeune élève…et qu’est-ce qu’il fait ? Il lui fait un enfant. Ça pourrait exister aujourd’hui, ça. Et ça serait aussi mal pris : la sexualité entre prof et élèves, c’est le tabou absolu dans l’Education Nationale, même quand il ne s’agit pas de pédophiles.

Les histoire d’amour n’ont-elles donc pas d’histoire ? Voyez la triste histoire de Gabrielle Russier : ça n’est pas si loin.



(1) Quoique… La castration d’Abélard a fait scandale parce qu’elle était habituellement réservée aux violeurs (et un peu aussi aux adultères…). Demandez aujourd’hui à des braves gens quel châtiment il faudrait réserver à des violeurs (et puis ajoutez les pédophiles pour faire bonne mesure). Vous m’en direz des nouvelles

Monday, June 18, 2007

Citation du 19 juin 2007

Toute morale admet les actes intentionnellement nuisibles en cas de légitime défense, c'est-à-dire quand il s'agit de conservation

Nietzsche, Humain, trop humain

Vous n’avez peut-être pas eu la chance de passer votre bac cette année. Voici donc une citation extraite du sujet-texte de la série ES (la suite ici). C’est parti, je ramasse les copies dans 4 heures…

Non ? Vous allez encore me dire que 4 heures c’est beaucoup trop long pour ce que vous avez à dire, et que de toute façon, Nietzsche enfonce une porte ouverte, puisque la légitime défense est fondée en droit et que la question est seulement de savoir si la meilleure défense ce ne serait pas l’attaque. Vous ne vous en tirerez pas si facilement.

Essayons tout de même de répondre. (1)

Il y a deux façons de contester ce passage de Nietzsche : d’abord on peut dire que la morale suppose le choix, et que si la survie est en jeu, on n’a pas le choix des moyens ; c’est mon agresseur qui a choisi pour moi. La légitime défense n’est certes pas immorale, elle est amorale.

Et puis il y a le Sermon sur la montagne : Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente lui aussi l'autre (2). J’ai le droit, nous dit le Christ, de sacrifier ma vie selon un principe qui transcende la conservation. Au fond, c’est la question du sacrifice, tout est là. Sacrifier sa vie est immoral si - et seulement si - la vie est le bien suprême.

Au nom de quelle morale est-il légitime de sacrifier sa vie, et donc de ne pas tenir compte de l’exigence de la conservation ?

Si la réponse ne nous paraît pas évidente, c’est que nous avons tous oublié la non-violence et Gandhi. Comment avons-nous pu oublier un tel message, comment se fait-il que personne ne le brandisse contre les violences terroristes ?

Je risquerai une hypothèse : dans les années 60, la non-violence était une mode relayée par les hippies et leur slogan peace and love. Lorsqu’une morale devient l’objet d’une mode, alors elle disparaît avec elle.

(1) Vous avez remarqué ? Quand on pose des questions c’est bien souvent pour avoir le plaisir d’apporter soi-même la réponse. Les élèves le savent bien qui attendent paisiblement que le maître réponde lui-même à la question qu’il vient de leur poser.

(2) « Vous avez appris qu'il a été dit : oeil pour oeil, dent pour dent.
Mais moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente lui aussi l'autre.. Si quelqu'un veut plaider contre toi et prendre ta tunique, donne lui encore ton manteau. Si quelqu'un te force à faire un mille, fais-en deux avec lui. Donne à celui qui te demande et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi. »
Evangile de Matthieu ch. 5 v.38-42

Sunday, June 17, 2007

Citation du 18 juin 2007

Gouverner, c'est résister.

Ramon Maria Narvaez (Duc de Valence 1800-1868. La suite ici)

Bon, encore de la Résistance, encore du 18 juin, encore de la définition-définitive du gouvernement… STOP !

La citation du jour offre à ses lecteurs sa page du 18 juin : à vous d’écrire (en bas rubrique "Commentaire") le Post que vous voudriez lire sous cette citation.

Pour vous aider un peu, je vous offre l’appui (facultatif) de ce questionnaire :

1 - Gouverner, c'est résister : à quoi ? à qui ?

2 - En quel sens faut-il prendre le verbe « résister » ? (pour vous aider branchez vous sur le TLF (ici) et tapez comme requête résister).

3 - Le fait de résister légitime-t-il celui qui gouverne ?

4 - Ajoutez les questions pertinentes que j’ai oubliées.

Les meilleures réponses seront publiées en Post.

Question subsidiaire pour départager les ex aequo :

Proposez une autre définition de l’acte de gouverner.

Saturday, June 16, 2007

Citation du 17 juin 2007

Adam avait-il un nombril?
Exemple de question oiseuse, extraite d’une chanson à calembours foireux. Voilà de quoi réjouir toutes les sensibilités.
… Pourtant la question est moins oiseuse qu’on ne pourrait le croire, et l’anomphalie d’Adam a fait débat jusqu’au 18ème siècle. Si Adam a été créé par Dieu, il ne peut avoir eu un nombril puisque le nombril est la cicatrice qui marque la séparation du nourrisson de sa mère (si on veut disons les choses comme ça). Et pourtant tous les peintres (à l’exception évoquée dans le lien de J-B Santerre) ont représenté Adam avec un nombril.
Mais cette question en cache une autre, ou plutôt elle nous détourne de l’essentiel : c’est que Dieu a crée l’homme, puis la femme, mais il les a créés adultes (d’ailleurs Eve ne devait pas non plus avoir de nombril). Si Adam n’a pas de nombril, c’est aussi qu’il n’a jamais été nourrisson, et donc Adam n’a jamais enfant : Dieu n’a pas créé l’enfant. L’enfant, c’est la création de la créature, pas celle du créateur.
Seulement, pour dire cela, il faut considérer l’enfance comme une réalité à part entière (1).
Longtemps (jusqu’au 18ème siècle et Rousseau), l’enfant n’a tout simplement pas existé ; entendez qu’il a été considéré ou bien comme un adulte en miniature, ou bien comme un petit animal qu’il faut dresser. C’est à dire qu’il n’a aucune réalité personnelle mais qu’il regorge des défauts et des vices dus à son manque de maturité. L’innocence et la naïveté enfantines, qui réjouissent nos cœurs de parents, ne sont alors que perversité. L’éducation de l’enfant est un dressage, jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de raison, et que dès lors il soit considéré comme adulte.
Chez Platon, le nombril est la cicatrice laissée par le châtiment divin, mutilation qui nous a séparés d’une part de nous mêmes (châtiment des hermaphrodites dans le Banquet) ; on nous dit aussi qu’il nous faut savoir trancher le cordon ombilical pour devenir adulte. Otto Rank considérait que la naissance est le premier des traumatismes, et Janov a inventé une thérapie fondée sur le cri primal (2).
Bref : l’enfance ce n’est pas forcément le paradis perdu. C’est aussi le souvenir d’une violence.
(1) Sur tout ce qui suit, voir Elisabeth Badinter - L’amour en plus. (Livre de Poche)

Friday, June 15, 2007

Citation du 16 juin 2007

Il faudrait pour le bonheur des Cités (Etats) que les philosophes fussent rois ou que les rois fussent philosophes

Platon - La République

Posons la règle suivante : ce principe énoncé par Platon est faux (1). Mais pour tous les autres cas, qu’on ait voulu ériger un philosophe en roi - ça je n’ai pas souvenir qu’on l’ait tenté, à part l’exception signalée en note - ou qu’on ait voulu rendre un roi philosophe - Denys le tyran de Syracuse, Frédéric II, Catherine II, Joseph II, bref tous les despotes éclairés - ça a été un échec sur toute la ligne. Pourquoi ?

Platon disait que cet échec venait de ce que les tyrans gouvernaient selon leurs passions : or la nature humaine est faite de telle sorte que la passion y soit toujours plus forte que la raison. C’est l’écart entre les exigences du gouvernement sage et la nature des gouvernants qui cause le malheur de la Cité.

Selon Platon, la politique devait être l’œuvre de la raison, entendez qu’il existe une science politique dont la possession légitime celui qui gouverne. Et c’est là que le philosophe apparaît : les Philosophes dont parle Platon sont essentiellement des savants. On parlerait aujourd’hui de sociologues, d’ économistes, de politologues, de juristes…

Mais justement : tout ça, est-ce que ça fait une science politique ? La politique est-elle objet de science ? Puis-je poser l’équation suivante : L’économie+la société+l’histoire+la psychologie+…= politique ?

Je vous laisse répondre. Mais avant tout, pensez que si vous souscrivez à l’idée que la politique est une science, alors la démocratie est une mascarade. La rationalité politique devient en effet une affaire de spécialiste, et un seul spécialiste vaudra toujours mieux qu’une foule d’ignorants. Pourquoi croyez-vous donc que les philosophes des « Lumières » se sont précipités à la cours des despotes « éclairés » ? N’est-ce pas qu’ils croyaient que la science et la compétence d’un seul pouvaient fonder un gouvernement sage ?

La démocratie est née le jour où on a admis que la foule valait mieux que l’individu, même savant. Et pour cela il faut admettre que la rationalité politique est l’effet du débat démocratique, que la vérité, c’est ce sur quoi nous sommes tombés d’accord.

La preuve en est que vous allez voter demain.

(1) Je dis que c’est une règle et non une loi, parce qu’il y a un cas où ça a marché : Marc-Aurèle (et encore : est-ce que ça a fait le bonheur des Romains ?). C’est donc l’exception qui confirme qu’on est bien en présence d’une règle et non d’une loi - qui n’admet pas d’exception.

Thursday, June 14, 2007

Citation du 15 juin 2007

Si tu ne sais pas où tu vas, n’oublie pas d’où tu viens.

Proverbe togolais, ougandais, béninois, ivoirien, congolais, africain (rayez la mention inutile)

Voilà un proverbe qui occupe sans doute une place de choix dans le Top-ten des idées toutes faites. Chacun le connaît, le répète à l’envie, mais avons nous cherché à le décrypter ?

n’oublie pas d’où tu viens

1ère idée : la famille, le village, on ne les quitte jamais totalement.

2ème idée : s’identifier à la tradition est aussi important que d’avoir un projet innovant.

3ème idée : dans l’existence d’un homme les racines qui le rattachent à son passé sont aussi ce qui le rattachent à la vie.

Bon, sommes-nous sapin ou poireau au point d’avoir besoin de racines ? La tradition nous aide-t-elle à vivre ? Les racines sont bien sûr nutritives, mais elles sont aussi des entraves à la liberté de mouvement. L’arbre est entièrement dépendant de son milieu parce qu’il ne peut en changer. Pour simplement imaginer un avenir neuf, il faut tourner le dos à la tradition, C’est la leçon de la société industrielle, et nous avons été nourris de ces représentations.

«Si tu ne sais pas où tu vas » : comment peut-on ne pas savoir où l’on va ? A moins d’être Alzheimer lorsque je sors de chez moi, je sais où je vais. Ai-je besoin de me référer au passé selon la sagesse africaine ? La question mérite au moins d’être posée.

Quant à moi, je proposerais un autre proverbe :

« Si tu veux savoir où tu dois aller, oublie d’où tu viens ». Ce qui me relie au passé est entrave pour inventer le futur.

La même ambiguïté se retrouve avec les liens, les attaches, etc. C’est Durkheim qui a théorisé cette idée avec la déliaison (1). L’individualisme, conséquence de l’éducation, supprime la référence à l’autorité et à la subordination de l’individu au groupe. Si vous voulez changer, il faut rompre les amarres, partir en oubliant d’où on vient. Partir comme Rimbaud, les poings au fond des poches crevées…

(1) Encore la déliaison…

Wednesday, June 13, 2007

Citation du 14 juin 2007

Ce n'est pas choquant que les Chinois servent un peu à financer notre protection sociale

François Fillon - Premier ministre - Déclaration mardi 12 juin 2007, sur France 2

Quand j’ai entendu parler de cette TVA sociale, j’ai été très fier. Oui, j’ai imaginé que le Premier ministre avait lu mon Blog (en date du 14 avril 2007), où je citais Alphonse Allais disant qu’il fallait faire payer les pauvres. Et je me disais ; « On diminue l’impôt sur les revenus des riches, et on augmente la TVA payée aussi par les pauvres. Voilà qui est clair et net » (1)

Stupide. Ce sont les Chinois qui vont payer, pas les pauvres (ou plutôt pas nos pauvres, parce qu’après tout, rien ne dit que ce ne sont pas les pauvres chinois qui soient visés).

Je renonce à vous expliquer comment tout ça marche, parce que ou bien vous le savez déjà ; ou alors, il faut vous soigner (avec ça par exemple). Mais ce qui intéresse le philosophe, c’est l’extraordinaire assurance du Premier Ministre, qui paraît gouverner l’avenir de la Chine aussi bien que celui de la France. Une chose est sûre : si les Chinois ne baissent pas de 5% leurs prix, vous allez payer votre Jean de Carrefour plus cher (notez que comme vous ne l’achetiez que 5€, ça ne fera pas beaucoup plus). La TVA quelqu’un va la payer ; si ce ne sont pas les chinois, ce sera vous. Mais, bon, notre Ministre Bien-Aimé a dit que ce seraient les chinois. J’ai confiance dans les dirigeants de mon pays.

Oui, mais… Rappelez-vous les fables de votre enfance : la laitière et le pot au lait… Perrette aussi croyait gouverner l’avenir, elle qui rêvait de richesses avant de perdre tout ce qu’elle espérait… « Adieu veaux vaches cochons couvées… »

Alors, distinguons entre le possible et le nécessaire : admettons qu’il soit nécessaire que la TVA soit augmentée. Mais il n’est que possible qu’elle soit financée par les baisses des prix à l’importation.


(1) Le 14 avril, je concluais : «Méfiez-vous des candidats qui vous promettent de baisser l’impôt et/ou la TVA : ils mijotent sans doute un mauvais coup contre votre liberté. » Hé bien on dirait que nous sommes protégés à 50% contre ce mauvais coup.

Tuesday, June 12, 2007

Citation du 13 juin 2007

Nous pouvons donc dire que la morale est un système de règles d’action qui prédéterminent la conduite. Elles disent comment il faut agir dans des cas donnés ; et bien agir, c’est bien obéir.

Durkheim - L’éducation morale (2ème leçon)

La Chambre Bleue n’est pas encore tout à fait en place : vous avez donc jusqu’à dimanche pour perfectionner votre éducation morale. La citation du jour a déjà fait ce qu’elle pouvait pour vous mettre à niveau (rappel ici). Aujourd’hui, retour sur un concept fondamental : la discipline. Mais pour que votre information soit aussi complète que possible, c’est au Grand Durkheim que nous demanderons cette leçon de morale.

Au Panthéon de l’Identité Française, à la lettre D, à côté de Descartes inscrivez donc le nom de Durkheim : ce fondateur de l’école française de sociologie est l’autorité à la quelle la France doit son renom dans cette science. Mais Durkheim ne s’est pas contenté de cela ; il a défini certaines règles de l’école républicaine. Il vous apprendra la discipline, comment l’enseigner, pourquoi l’apprendre.

Je ne reviendrai pas sur les raisons sociologiques qui justifient la discipline : on se reportera à l’analyse de l’anomie (22 juillet 2006). En revanche, ce qui importe ce sont les raisons morales avancées par Durkheim pour affirmer : Bien agir, c’est bien obéir.

La morale commence avec la vie en groupe (Durkheim - Sociologie et philosophie p. 75) ; autant dire que la morale tire son autorité de la suprématie de la société sur l’individu. Et il ne s’agit pas d’un rapport de force : il y a non seulement une conscience collective (coercitive), mais une spiritualité collective (1). La société est fondatrice de valeurs et comme telle elle assume une fonction de religion laïque, si tant est que cette expression ait un sens.

C’est la raison pour la quelle selon lui la discipline doit être enseignée par l’école républicaine, et non par la famille. Les cours de morale sont indispensables, parce que ce n’est pas nous - individus - qui faisons la morale, et elle ne dépend pas non plus des aléas historiques. Bon.

Mais alors, que faire de l’autonomie de la volonté sans la quelle aucune action vraiment morale ne serait possible ? Comment obéir et en même temps agir moralement ? L’esclave qui agit moralement simplement parce qu’il en a reçu l’ordre n’est pas un agent moral : son action est dénuée de sens moral.

La réponse de Durkheim est simple : c’est la compréhension de la nécessité des règles de moralité qui nous permet de vouloir faire ce que nous devons faire. C’est donc la science - la sociologie en l’occurrence - qui nous permet d’obéir et de bien agir (= d’avoir une volonté morale).

Compris ?

(1) Sur cette spiritualité, on se reportera à la préface de Bruno Karsenti à Sociologie et philosophie (Quadrige-Puf)

Monday, June 11, 2007

Citation du 12 juin 2007

La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchis depuis longtemps d’une direction étrangère, restent cependant volontiers leur vie durant mineurs et qu’il soit si facile à d’autres de se poser en tuteurs des premiers. […]

Kant - Réponse à la question : Qu’est-ce que les lumières ?

Du temps de Kant, la pensée relevait d’une disposition morale. Sa devise : Ose penser ! (voir post du 10 janvier 2007). Il faut assumer la responsabilité de ses pensées et non se contenter de penser comme les autres (pensée-unique).
Aujourd’hui, on est un peu plus « technique » : penser ça s’apprend, et il y a des coachs pour ça.
Imaginez que Kant publie son article aujourd’hui. Voici ce qu’il trouverait dans sa boite aux lettres :

Cher Monsieur Kant,

Le cabinet Do-it-coatching-France a bien reçu votre message.

Nous avons compris votre souci d’apporter à vos étudiants un self-développement par auto-training, évitant ainsi l’écueil de la dépendance et de l’addiction à l’autorité exogène.

Nous vous proposons une formation qui vous permettra de former et de suivre vos étudiants dans leur parcours d’autoformation.

Cher monsieur Kant, nous allons faire de vous un coach.

La formation que Do-it-coatching-France vous propose est un accompagnement qui convient dans les situations nécessitant un suivi, une aide et/ou une préparation. Vous pourrez ainsi acquérir et mettre en pratique les process Manager Coach dans l'exercice de vos fonctions actuelles.

Savez-vous, monsieur Kant ce qu’est un coach ? Le coach apporte un éclairage, des connaissances et des suggestions utiles pour la problématique ou le projet. Il accompagne, soutient, stimule la personne coachée, pour que celle-ci atteigne ses objectifs dans les meilleures conditions. En aucun cas il n'impose ses conceptions ou se substitue à la personne coachée. En devenant coach vous apprendrez donc à vos étudiants à devenir des performers véritables, à approfondir leur compréhension de questions portant sur des sujets précis, à élargir leurs connaissances pour (ré)agir au mieux dans les situations concernées (gestion du temps, du stress, des conflits, communication, mémorisation, affirmation de soi...)

L’équipe de formateurs constituée par Do-it-coatching-France comporte des sportifs de haut niveaux, des coach de stars et des experts en communications. Nous sommes sûrs que leur compétence vous permettra d’atteindre vos objectifs.

Les séances sont d'une durée variable (une à plusieurs heures), et renouvelables autant de fois que nécessaire.

Modalités : cabinet, domicile, entreprise, téléphone, mail, visio-conférence.

Les tarifs sont modérés et personnalisés.

Sunday, June 10, 2007

Citation du 11 juin 2007

Définition - La philosophie, c'est l'art de se compliquer la vie en cherchant à se convaincre de sa simplicité.

San-Antonio - Les pensées

Voici une définition de la philosophie faite par un non-philosophe (d’ailleurs aucun philosophe ne se risquerait à définir la philosophie)

Quelle image San-Antonio a-t-il de la philosophie ? Celle d’une théorie morale. Théorie, parce que c’est compliqué à trouver et encore plus à comprendre. Morale parce que cette théorie produit des principes organisant l’existence.

Je ne vais pas ferrailler avec lui sur ce sujet. Mais en revanche je prends acte du fait que là encore en parlant de philosophie, on parle de philosophie morale (on pourrait sans doute ajouter « politique »). Constatons que l’usage le plus courant du mot est à peu près synonyme de sagesse stoïcienne, autant dire de résignation : prendre son sort avec philosophie, c’est ne pas lutter contre ce qui nous arrive. Ce n'est donc ni leur physique ni leur logique que nous retenons, c’est leur morale qui est devenue le modèle de toute philosophie dans l’usage populaire.

Aujourd’hui encore, s’il y a une demande vis-à-vis de la philosophie, c’est essentiellement pour donner du sens à l’existence. Autant dire que la philosophie se limite au domaine de l’action.

Ça, c’est le côté lumineux de la philosophie, celle qui fait qu’on va vous tirer par la manche si vous vous dites philosophe pour vous demander de répondre à des questions sur le sens de la vie. Mais il y a le côté obscur de la philosophie, celui qui vous isole irrémédiablement des autres, cette complication qui fait peur ou qui fait rire (l'art de se compliquer la vie) en tout cas qui est incompréhensible (1).

Entre les deux, il y a l’expérience faite par beaucoup de l’enseignement de philosophie reçu en terminale. C'est lui qui va déterminer l’attitude vis à vis de la philosophie (bien qu’en réalité il s'agisse souvent d'une attitude vis à vis du prof de philo).

Et puis il y a le bac (2)… Tous les profs de philo vous diront la même chose : si on rencontre quelqu’un pour la première fois, et si on lui dit qu’on enseigne la philo, on est sûr que cette personne va nous dire dans les minutes qui suivent quelle note elle a obtenu au bac. J’imagine que vous n’iriez pas dire votre note de maths ou d’anglais. Peut-être même que vous l’avez oubliée. Mais pas la philo.

Au fait et vous, vous avez eu combien ?

(1) Lorsque je distribuais à mes élèves des textes qui contenaient un coquille facile à repérer et à corriger, ils ne la corrigeaient jamais parce qu’ils considéraient qu’en philosophie ces mots bizarres et inconnus existaient probablement.

(2) A propos c’est pour aujourd’hui. Vous avez préparé vos anti-sèches ?

Saturday, June 09, 2007

Citation du 10 juin 2007

On fait la guerre quand on veut, on la termine quand on peut.

Nicolas Machiavel - Le Prince (1513)

Et si les guerres, quelles qu’elles soient, ne finissaient jamais ? La guerre de cent ans, par exemple : est-elle terminée ?

Machiavel explique que même si on a eu l’initiative de la guerre, on n’a pas forcément celle de la paix. Vient en effet le moment où la « machine de guerre » n’obéit plus à son maître, où elle fonctionne selon sa propre logique : c’est que, pour déclencher une guerre on peut être seul, alors que pour faire la paix, il faut être au moins deux. Georges Bush l’a bien compris en Irak.

On pourra contester la généralisation de ce principe. On dira que la guerre est un fait historique et comme tel elle est définie par des actes précis : une déclaration de guerre, un traité de paix ou au moins une capitulation. La guerre est délimitée par des dates dans une chronologie historique. Elle s’achève donc bien un jour.

Oui, mais quand ? Une anecdote : il y avait autrefois - il y a bien longtemps… - un boxeur français qui s’appelait Alphonse Halimi. Ce boxeur avait gagné un combat important contre un adversaire anglais (1) ; à peine descendu du ring il a déclaré : « Aujourd’hui, j’ai vengé Jeanne d’Arc ! ». Et nous avions imaginé que la guerre de cent ans était terminée depuis…1475 (voir ceci).

On peut proposer la règle suivante : un fait est historique en raison de ses conséquences. Toutes les conséquences de ce fait en font donc partie. Le combat d’Halimi fait donc partie de la guerre de cent ans. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas le principe qui est faux, mais c’est qu’Halimi était un peu « sonné » quand il a fait cette déclaration.

Je crois quant à moi que la guerre est un cas parmi d’autres où l’on voit que les faits historiques ne sont pas si objectifs que ça, que leurs contours sont flous, leurs limites incertaines : certains faits continuent de produire des conséquences alors qu’on les croyait éteints depuis longtemps.

Sus à l’ennemi héréditaire !

(1) Il s’agit de Freddie Gilroy et c’était en 1960 (lire ici)

Friday, June 08, 2007

Citation du 9 juin 2007

La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort.

Xavier Bichat - Recherches physiologiques sur la vie et la mort (1800)

Cette formule a été retenue comme une définition du vitalisme : ce qu’elle n’est certes pas (1). Mais Bichat a le mérite de proposer une définition de la vie, ce que la science - à commencer par la biologie justement - nous refuse : on n’étudie plus la vie, mais le vivant (entendez : non plus cette totalité synthétique qu’est la vie, mais les phénomènes qui ont leur siège dans les êtres vivants).

Qu’est-ce que la vie ? Ou plutôt - pour faire plus concret - en perdant la vie, qu’est-ce qu’on perd ? Hé bien Bichat répond.

Bichat répond qu’en perdant la vie, on perd le principe vital. Le principe vital est « l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort » ; il est donc toujours pris dans un rapport de force, dans une lutte contre ce qui peut l’annihiler (le milieu extérieur, ou les dysfonctionnements de l’organisme).

- Chez l’enfant, ce principe est plus fort que les forces à combattre ;

- chez l’adulte il est égal ;

- chez le vieillard, il est plus faible.

En perdant la vie, l’enfant perd plus que le vieillard : on le pensait déjà me direz-vous, parce que l’espérance de vie est plus grande chez l’enfant. Mais on entend souvent par « espérance de vie » une durée de vie statistiquement prévisible. C’est donc une espérance quantitative. Bichat, lui, voit la vie comme une intensité actuelle : elle est plus forte chez le jeune que chez le vieillard. Ce qu’on perd en mourant, c’est précisément cette intensité. On dit que le vieillard s’éteint, comme la chandelle : flamme vacillante, qui n’éclairait déjà plus.

Voilà donc ce que le vitalisme de Bichat nous apprend : en perdant la vie on ne perd pas toujours la même « chose » selon qu’on est jeune ou vieux, en plein essor de vie ou au contraire devenu absolument végétatif. C’est cela que les chrétiens contesteront puisque pour eux l’âme ne se subdivise point, étant de nature divine elle est toujours identique à elle-même, de l’embryon au vieillard Alzheimer.

(1) Le vitalisme est une doctrine philosophique et une théorie scientifique aujourd’hui abandonnée pour la quelle entre l’âme, principe spirituel, et le corps comme agrégat de cellules siège de phénomènes physico-chimiques, il y a une réalité spécifique, la vie dont on ne peut déduire les propriétés des deux domaines précédents. De fait, je crois que Bichat était surtout soucieux de fonder la physiologie en la séparant de la physique.

Thursday, June 07, 2007

Citation du 8 juin 2007

Je n'ai pour ainsi dire jamais été trompé par les gens, par des lettres toujours et cette fois ce n'est pas par celles des autres, mais par les miennes. […]

Kafka - Journal - Prague , début avril 1922.
Voir ci-dessous l’ensemble de l’extrait.

Terrible Kafka… Dans la plus simple, dans la plus familière de nos conduites, je veux dire : la correspondance, il découvre le chancre de la déshumanisation. Lorsque nous prétendons retrouver nos amis grâce à notre correspondance, nous ne faisons que construire une illusion de plus, nous produisons des être fictifs (les fantômes) : ils communiquent entre eux. Ce qui compte c’est le corps. La présence corporelle des autres certes mais aussi de soi-même face aux autres

J’ai choisi de mettre le texte en annexe, afin de ne pas avoir à tout re-dire avec mes mots, de ce qu’il dit si bien avec les siens. Ce n’est pas seulement à des destinataires imaginaires qu’on écrit (voir l’exemple de Flaubert (1)) : c’est aussi soi-même qu’on invente lettre après lettre, comme si les affirmations, les positions qu’on y prenait dessinaient les contours d’une personnalité fictive qui finit par supplanter notre personnalité réelle si jamais nous arrivons à y croire nous-mêmes. Mais il faudrait aussi y ajouter tout ce qui pourrait arriver dans la réalité et qui n’existe ici que par le langage. Les baisers écrits ne parviennent pas à destination, les fantômes les boivent en route. Là encore qu’ajouter à une pareille formule ?

On a inventé nous dit Kafka toutes sortes de moyens pour nous rencontrer : chemin de fer, auto, aéroplane. Oui. Mais on a inventé dans le même temps le télégraphe et le téléphone (2) - Kafka considère que la présence physique ne peut être remplacée par la communication verbale - même orale - si elle se fait dans l’abstraction d’une voix désincarnée (téléphone). Tous ces moyens de communications au lieu de nous rapprocher des autres, nous éloignent de nous mêmes, parce qu’ils nous permettent de nous construire comme fiction, une fiction qui tient parce que tout passe ici par le langage. Nous évoquions ici même (3) les raisons qui poussent les internautes à communiquer à travers Blogs, liste de diffusion, forum, bref tout ce qui est « interactif ». Le besoin de s’adresser à quelqu’un, de rompre la solitude du mangeur de pizza devant son écran…

La communauté du Net… La Blogosphère…

Kafka hausse les épaules : des fantômes qui parlent à des fantômes, dit-il.

(1) Voir le Post du 17 mai 2007

(2) Il faudrait y ajouter le Net

(3) Post du 21 janvier 2007

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KAFKA - Prague , début avril 1922.
" Je n'ai pour ainsi dire jamais été trompé par les gens, par des lettres toujours et cette fois ce n'est pas par celles des autres, mais par les miennes. Il y a là en ce qui me concerne un désagrément personnel, sur lequel je ne veux pas m'étendre, mais c'est un malheur général La grande facilité d'écrire des lettres doit avoir introduit dans le monde -- du point de vue purement théorique -- un terrible désordre des âmes : c'est un commerce avec des fantômes, non seulement avec celui du destinataire, mais encore avec le sien propre ; le fantôme grandit sous la main qui écrit, dans la lettre qu'elle rédige, à plus forte raison dans une suite de lettres où l'une corrobore l'autre et peut l'appeler à témoin. Comment a pu naître l'idée que les lettres donneraient aux hommes le moyen de communiquer ? On peut penser à un être lointain, on peut saisir un être proche : le reste passe la force humaine. Ecrire des lettres, c'est se mettre nu devant les fantômes, ils attendent ce moment avidement. Les baisers écrits ne parviennent pas à destination, les fantômes les boivent en route. C'est grâce à cette copieuse nourriture qu'ils multiplient si fabuleusement. L'humanité le sent et lutte contre le péril ; elle a cherché à éliminer le plus qu'elle pouvait le fantomatique entre les hommes, elle a cherché à obtenir entre eux des relations naturelles, à restaurer la prix des âmes en inventant le chemin de fer, l'auto, l'aéroplane ; mais cela ne sert plus à rien ; l'adversaire est tellement plus calme, tellement plus fort ; après la poste, il a inventé le télégraphe, le téléphone, la télégraphie sans fil. Les esprits ne mourront pas de faim, mais nous, nous périrons. "

Wednesday, June 06, 2007

Citation du 7 juin 2007

Le point à queue ne sert d’aultre chose, que de distinguer les dictions, et locutions l’une de l’autre.

Estienne Dolet - La punctuation de la langue Françoise (1540)

Eloge de la virgule.

Elle ne sert d’aultre chose, que de distinguer… Quel mépris pour cette pauvre virgule, qualifiée même de point à queue : comme si elle n’avait pas son rôle et sa spécificité. On la considère donc comme le plus petit signe distinctif, la moindre de toutes les pauses (Littré), une sorte d’atome de ponctuation. Comme si on pouvait l’omettre sans dommage !

Et en effet, voyez les documents officiels dont on nous dit qu’ils sont mis au point, à la virgule près. C’est donc qu’elle compte quand même. Et puis toutes ces phrases à doubles sens dont on ne peut discriminer le sens qu’à la condition de considérer les virgules. Exemple (1):

- Les élèves qui ont fini leur devoir peuvent sortir (entendez : ceux des élèves qui ont fini)

- Les élèves, qui ont fini leur devoir, peuvent sortir (entendez : les élèves ont fini et peuvent sortir).

Alors, on sait qu’à l’époque d’Etienne Dolet c’étaient les typographes qui, la plupart du temps, ponctuaient les textes qu’ils imprimaient. Cela ne signifie nullement qu’elle n’apportait rien au texte, mais seulement que les auteurs laissaient aux imprimeurs la tâche de la mettre en place.

Mais c’est aussi pour moi l’occasion de remettre l’écrit à sa vraie place : qui est celle, irremplaçable, d’expression la plus précise du discours. Comment notre pensée peut-être accéder à la plus grand clarté possible sans la ponctuation ?

Tenez, voici un exemple.


Les grecs ne ponctuaient pas leurs textes, et même l’espace entre les mots et les paragraphes était omis. Voici donc le même texte de Platon, présenté d’abord comme à l’époque (non ce n’est pas l’écriture de Platon, faut pas exagérer), puis mis en forme et ponctué. Vous voyez facilement la différence, même si vous ne comprenez pas le grec (honte à vous !)

Conclusion style vieux ronchon : à l’époque où les SMS réalisent la plupart des contacts écrits, la mise à l’écart de la ponctuation paraît une érosion du sens très dommageable.

D’ailleurs, depuis le début de ce message, des virgules, j’en ai mis 26. A vous, de faire mieux (27…)

(1) Exemple emprunté à Jacques Drillon - Traité de la ponctuation français (Tel/Gallimard)

Tuesday, June 05, 2007

Citation du 6 juin 2007

Plaque commémorative - Rèderie (1) d’Amiens, avril 2007

Ah ! Le 6 juin…. Le Jour « J »… le Débarquement… Merci aux Américains (air connu…) d’avoir « préparé la Libération de la France ».

Mais au fait : si, en chassant les allemands, les américains n’ont fait que préparer la Libération, nous autres français, qu’est-ce qui nous restait à faire en plus pour être libres ?

Alors, on le sait et le Général De Gaulle n’a pas cessé de le marteler : la France a été libérée par les Français, de Caen à Strasbourg, en passant par Paris… . « Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré !... » (écoutez la suite ici).

Comme Marie était vierge et l’est restée par grâce divine, la France est combattante, éternellement. A l’heure où l’on célèbre « la France qui se lève tôt », je ne doute pas que le modèle qui nous est ainsi proposé soit celui de la France résistante, capable de se relever toute seule lorsqu’elle est à terre.

Oui, la lecture dans toutes les écoles de la république de la lettre de Guy Môquet ne doit rien au hasard. Il s’agit de réactiver la fibre nationale, dont on sait que c’est autour d’événements historiques symboliques qu’elle s’est constituée. Je dis « événements historiques symboliques » pour signaler que leur portée historique réelle n’a que peu d’importance : la plaque commémorative d’Amiens le dit naïvement. Nous avons attendu que les allemands soient partis pour nous libérer... Dit comme ça c’est cruel et c’est blasphématoire.

Blasphème… Regardez ce qui se passe pour la lettre de Guy Môquet : les ennemis du pouvoir qui se met en place disent : le Président souille la mémoire de la Résistance (communiste en l’occurrence) en la récupérant à des fins électorales. Que ce soit le cas ou pas ne m’importe guère, car ce que je veux souligner, c’est que tous, s’inclinent devant le héros et proclament sa dimension nationale.

Puisque il nous faut des héros, après tout autant choisir celui qui nous représentera le mieux.

Moi je propose Joseph Bara.(2)

(1) En dialecte Picard, la « rèderie » est une braderie. Celle d’Amiens a lieu le dernier dimanche d’avril (et le premier d’octobre). Allez-y c’est plein de choses surprenantes.

(2) Et me dites pas que je suis un mauvais patriote : « De Bara, de Viala, le sort nous fait envie… » : allez : chantez la suite !

Monday, June 04, 2007

Citation du 5 juin 2007

Le «déterminisme» est la seule manière de se représenter le monde. Et l'indéterminisme, la seule manière d'y exister.

Paul Valéry - Cahiers I, Philosophie

Encore de la « grosse philosophie », de celle qui nous met les neurones en surtension, au risque de les faire péter ? Et si ça n’est pas ça, alors c’est de la « grosse physique » qu’on se dit qu’il faut être un peu fou pour y comprendre quelque chose ?

Du calme, voyons ! Je laisserai le chat de Schrödinger à son peu enviable sort : on ne va pas se démoraliser avec une histoire de mort-vivant (pour les casse-cou : voyez ceci).

Raisonnons plutôt avec Paul Valéry : le «déterminisme» rend l’avenir totalement prévisible, comme si la totalité du temps était le fil d’une pelote enroulé sur lui-même. Il est donc - selon Valéry - « la seule manière de se représenter le monde », entendez la seule façon de le rendre intelligible (1). Ça veut dire que je peux connaître le monde, et faire des projets parce que je peux prendre appui sur ces prévisions (exemple : j’achète une maison parce que j’ai la certitude de pouvoir la payer compte tenu de mon plan de carrière prévisible).

Ça va là ? Bon, alors je continue. L'«indéterminisme », disons pour faire vite que c’est la part d’imprévisibilité du monde. Lorsque des phénomènes qui ne sont pas déterminés par des lois se produisent, c’est de façon totalement aléatoire. Exemple : les boules du Loto ont un comportement totalement imprévisible, ce qui fait qu’elles pourraient bien sortir 10 fois de suite les mêmes chiffres si ça leur chantait.

Or, dit Valéry, « l'indéterminisme, [c’est] la seule manière d'exister [dans ce monde] ». Autrement dit, nous devons considérer qu’il y a des lois, mais que le monde n’est pas entièrement quadrillé par elles, et qu’on va pouvoir y vivre, c’est à dire y agir, espérer y réaliser nos rêves, nos désirs. Autrement dit, il faut qu’il y ait des « trous » dans le déterminisme naturel pour que nous puissions avoir de l’espoir

Au fond, c’est là l’intérêt de cette citation : déterminisme et indéterminisme, il faut qu’il y ait un peu des deux. Je pourrais me dire : j’espère que les lois de la biologie sont rigoureusement à l’œuvre dans mon organisme, de sorte que si je suis malade la médecine puisse agit sur mon corps comme elle agit sur celui des autres. Ça, c’est le déterminisme. Mais comment croire que les lois du monde ont prévu mes fantasmes et mes désirs ? Et si je veux produire l’objet de mes désirs, comment y parvenir si le monde produit imperturbablement toujours les mêmes choses ? J’ai donc besoin d’indéterminisme.

D’ailleurs, ne vous en faites pas : avec la pollution, les rayonnements de toutes sortes, on va vous l’indéterminer la nature. Vite fait même.

(1) Allez, une définition du déterminisme, c’est cadeau : « Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, l'avenir comme le passé serait présent à ses yeux. » Laplace - Théorie analytique des probabilités. (1812)

Sunday, June 03, 2007

Citation du 4 juin 2007

Il n’y a point de bête au monde tant à craindre à l’homme que l’homme.

Montaigne - Essais II, 19

Montaigne a sous les yeux les atrocités des guerres de religions : il sait de quoi il parle lorsqu’il évoque la bête qu’est l’homme. Pour nous, qui vivons dans une époque un peu plus paisible (?), je proposerai de considérer sa citation comme un appel à ne pas transformer l’homme en bête.

Dans le plus solitaire, dans le plus fruste de nos contemporains, redoutons la ruse et la cruauté qui, patiemment accumulées au cours du temps, finissent par exploser en tueries incompréhensibles, dont les Etats-Unis n’ont pas le monopole. Faisons que chacun ait quelque chose à perdre en livrant une guerre à ses semblables..

Holà !! Où je vais, moi ? Ce n’est pas parce qu’on est dimanche (1) qu’il faut faire un sermon : n’est pas Kierkegaard qui veut…

Non, laissons de côté la leçon de morale, et interrogeons-nous sur la détention et la réinsertion des délinquants. Ça au moins c’est clair et actuel : plus de 60000 détenus pour 50000 places en prison, une promiscuité insupportable ; une misère matérielle et morale désespérante… J’entends le citoyen sévère mais juste : « Ces gaillards, ils ont fait ce qu’il faut pour en venir là. Il fallait y penser avant ». C’est oublier un peu vite que les conditions de détention ne font pas partie de la peine, qui est par définition limitée à la privation de liberté. Mais c’est surtout oublier que la prison fabrique des bêtes dont on peut dire qu’il n’y en a point au monde tant à craindre.

Que faire des délinquants ? Je veux dire : ou bien vous leur donnez des conditions d’existence qui leur donne des raisons de vivre paisiblement une fois rendus à la liberté ; ou bien vous en faites des bêtes féroces qui vont utiliser leur intelligence pour vous nuire. Et alors la seule peine valable - hors mis la perpétuité véritable - c’est la peine de mort.

Le projet de loi qui va être débattu à la chambre-bleue portera sur des peines accrues pour les récidivistes ; et c’est normal. Car, plus vous mettez en prison, et plus vous devrez remettre en prison. La récidive est la conséquence habituelle de la sanction.

Réinsertion : telle est l’alternative à la récidive. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire : «Faisons que chacun ait quelque chose à perdre en livrant une guerre à ses semblables »…

Allez en paix, mes bien chers frères.

(1) En plus j’ai pris de retard : on n’est même plus dimanche…

Saturday, June 02, 2007

Citation du 3 juin 2007

[...] s'il n'avait pas encore réalisé la moindre oeuvre d'importance et n'avait que gagné le droit d'apprendre à peindre, le jeune Adolf H. venait de franchir une étape essentielle sans laquelle il n'y a pas d'artiste: il se prenait définitivement pour le centre du monde.
E. Schmitt - La part de l'autre (citation proposée par Alexandre)
Selon E. Schmitt, la condition pour être artiste c’est d’être le centre du monde, c’est à dire être seul, être au-dessus des autres, gouverner le monde. C’est ainsi que l’art deviendrait la propédeutique de la tyrannie : Hitler et surtout Néron sont là pour le prouver.
Bigre, ça fait beaucoup de responsabilité pour un seul homme… Comment l’artiste y arrive-t-il ?
Réponse : en étant un génie.
Vérification :
- 1 - Le génie quel qu’il soit est toujours seul parce qu’il n’a personne avec qui communiquer à son niveau. Mais la solitude de l’artiste de génie est très particulière : son génie consiste justement à créer un monde nouveau qui ne connaît d’autres lois que les siennes. Comment ne serait-il pas seul dans ce monde qui est son monde ? Et comment n’en serait-il pas le seigneur, et comment tous ceux qui en dépendraient ne seraient-ils pas ses sujets ?
- 2 - Vous avez déjà vu des tableaux d’Hitler ? Ils sont d’une grande banalité, et pourtant on ne les voit pas, comme si on nous les cachait… Moi, j’ai trouvé ça :



(Tableau d’Adolf Hitler représentant Vienne)
mais c’est tout ou à peu près. (1) Qu’est-ce qui nous fait si peur ? Est-ce parce que tout ce qu’a fait Hitler est absolument mauvais, ou bien est-ce parce que le fait d’avoir été un artiste renforce ce caractère maudit de cet homme ? L’artiste maudit en quelque sorte ?
La première hypothèse est la plus vraisemblable, mais on voit bien que pour Schmitt c’est l’art qui est responsable de la monstruosité d’Hitler.
- 3 - Petite plongée dans l’histoire de la notion d’artiste. On a relevé que la notion d’artiste n’apparaît qu’avec la Renaissance (2). Auparavant, ceux qui nous nommons des « artistes » ne sont considérés que comme des artisans, des ouvriers appartenant à des guildes ou à des confréries. Pourquoi ? C’est qu’avant la Renaissance, Dieu seul peut être un créateur : les hommes ne peuvent qu’imiter la création, pas la produire, comme le bon ouvrier exécute les plans du maître. Or, nous l’avons vu, la notion d’artiste est solidaire de celle de création.
A la Renaissance, l’homme accède au rang de créature capable de créer. Avec la notion d’artiste, c’est celle de génie qui apparaît. Le génie c’est celui qui comme Dieu, crée un monde ; mais à la différence de Dieu, l’homme créateur sort de son cadre parce qu’il n’est qu’une créature. Le génie accède à la création grâce à une inspiration surnaturelle qui fait de lui un fou : c’est la divine folie de la mélancolie (voir ceci). Là est l’origine de la peur suscitée par l’artiste : pour accéder au pouvoir créateur, l’artiste a dû pactiser avec des forces qui peuvent être celles du mal : comme Faust, il a vendu son âme au Diable. Et c’est là que Hitler aurait découvert le passage vers la « part maudite » (3) de son être.
- 4 - Seulement voilà : Hitler était sûrement maudit ; mais il n’était pas un génie… de la peinture
(1) J’ai entendu dire que les tableaux peints par Hitler étaient conservé au Canada, et qu’il y avait polémique par savoir si on pouvait les exposer en public.
(2) Là dessus et sur ce qui suit, voir Panovsky - L’œuvre d’art et sa signification.
(3) L’expression est de Bataille, mais je ne la prends pas exclusivement dans ce contexte.

Friday, June 01, 2007

Citation du 2 juin 2007

Quand je serai grand, je serai Président de la République

Anonyme

- Nicolas !... Nicolas !... Viens ici !

- Oui M’an, oui M’an.

- Arrête de sauter partout comme ça, Nicolas, tu es fatiguant tu sais. Où étais-tu que tu ne me répondais pas ?

- Dans ma chambre M’an

- Et qu’est-ce que tu y faisais ?

- J’étais entrain de construire un avion stratosphérique pour aller à l’école

- Quel enfant tu fais… Mais dis-moi, ton projet de la semaine dernière, c’était bien un sous-marin à bulles de savons ?

- Oui, mais j’ai trouvé mieux de faire une bicyclette volante. Et puis c’était trop long, alors que préfère l’avion stratosphérique.

- Ecoute Nicolas, ce qui ne va pas avec toi c’est ça tu vois. Tu es toujours entrain de te lancer dans une nouveauté et puis encore une autre avant même que la première soit terminée. Il faut te calmer Nicolas, tu dois réfléchir avant de commencer quelque chose et te demander si tu as fini ce que tu avais entrepris avant.

- Oui, M’an

- Mais j’ai un autre souci, Nicolas. Tu sais que le Père abbé de la Moranderie m’a téléphoné.

- Qui c’est ça, qui c’est ??

- Mais enfin, ce que tu es distrait, Nicolas ! C’est le Recteur des études du Pensionnat de l’Adoration du Sacré Cœur. Ton école, Nicolas... Tu te rappelles de ça au moins ?

- Mais oui, mais oui.

- Alors vois-tu Nicolas, il paraît que tu as dit à ton professeur d’éducation religieuse que quand tu serais grand, tu voudrais être Président de la République. C’est vrai ça ?

- Ben oui… Il me demandait comment je voudrais servir le Seigneur quand je serai grand, et je lui ai répondu que je voudrais le servir en servant mon pays. Voilà.

- Mais tu sais, Nicolas, la République, les bons pères du Pensionnat, ils ne pensent pas qu’elle puisse t’aider à servir le Seigneur. Le Père abbé est très inquiet pour toi.

- Bon, bon, c’est tout ? Je repars parce que je vais remonter mon vélo que j’avais démonté pour faire ma bicyclette volante.

- Nicolas, as-tu pensé à prendre ta Ritaline ? (1)

(1) Ritaline